Pourtant « relativement » épargnés par la Covid-19, ils ont subi de plein fouet les mesures de l’état d’urgence sanitaire. Confinement, isolement social (vis à vis de leur université et de leur promotion) et pédagogique (enseignement à distance), et précarité ont été autant d’atteintes à leur santé psychique, parfois graves, toujours anxiogènes.
Parmi les étudiants, ceux en première année d’études de santé ont subi la double peine. Pour eux, à la crise sanitaire se sont ajoutés les nombreux dysfonctionnements de la réforme mise en oeuvre à la rentrée 2020. Ainsi, des milliers d’étudiants ont été mis et laissés en grande difficulté face aux défis de l’enseignement, de leurs parcours et des examens.
Pour répondre à leur désarroi et leur colère, a été créée au Sénat une mission d’information « éclair » (dix sept auditions en quinze jours) dont j’ai été nommée rapporteure. Cette mission a rendu ses conclusions début mai, dressant un état des lieux de la situation, formulant des recommandations tant pour pallier, en urgence, les manquements subis par la promotion 2020, que pour améliorer, par la suite, le déploiement de la réforme.
Grâce aux auditions de toutes les parties prenantes (étudiants, parents, universitaires, professionnels, ministères…), il est rapidement apparu que la réforme, malgré de bons objectifs, avait été trop vite appliquée, insuffisamment préparée et pas assez pilotée.
Les objectifs de la réforme : la réussite des étudiants, la progression dans les études et la diversification des profils des futurs étudiants en santé
Sélectionnant sur QCM les futurs professionnels et forçant de nombreux non-admis à repartir de zéro après une voire deux années de bachotage, le concours PACES (1) apparaissait inadapté et inhumain. De plus, ceux qui réussissaient étaient pour l’immense majorité issus d’un bac scientifique mention bien ou très bien et plutôt issus des villes universitaires.
Les objectifs de la réforme étaient clairs : diversifier les profils des promotions et permettre en cas d’échec de poursuivre dans une licence choisie, en ayant acquis des équivalences universitaires.
Salués par tous, ces objectifs corrigeaient les défauts du concours PACES pour accéder aux filières MMOP (2).
A titre personnel, en tant que membre de la commission de la culture du Sénat, qui s’était saisie pour avis de la loi portant cette réforme, j’en avais salué les constats et les ambitions : « [N]ous mettrons un terme à la casse désastreuse de ceux qui ont loupé la PACES de très peu et qui voient quasiment la fin de leur vie arriver... Nous ne devons pas mettre nos jeunes dans de telles situations d’échec. Les étudiants qui ont le mieux réussi les QCM feront-ils demain de meilleurs médecins ? Je n’en crois rien. »
Une mise en oeuvre chaotique dans un contexte sanitaire inédit
Le nouveau dispositif substitue à l’ancienne PACES deux nouvelles voies d’accès aux filières MMOP : le parcours spécifique « accès santé (PASS) » et la licence « accès santé » (L.AS).
Cette nouvelle architecture étant, il faut le souligner, particulièrement complexe à appréhender, d’autant plus en 2020 par la présence de la dernière promotion des redoublants PACES, un schéma est plus intelligible (3).
Bien que la crise sanitaire ait aggravé les difficultés de mise en oeuvre de la réforme, elle n’explique - et n’excuse - pas tout.
D’abord, il y a eu de nombreux manquements en matière de communication. En amont, les professionnels de santé ont été trop peu consultés pour définir les objectifs chiffrés du numerus apertus (4). Les étudiants, eux, n’ont eu accès qu’à des informations lacunaires pour comprendre les enjeux de la réforme et l’importance du choix de licence en LAS ou de mineure en PASS. De plus, le dialogue au sein même des universités, souvent très insuffisant, n’a pas permis de créer toute la diversité des parcours et donc des choix, pourtant indispensables à la réussite et à la diversité des étudiants. Enfin, les échanges incomplets entre les universités et les deux ministères ont ouvert la voie à des interprétations très hétérogènes de la réforme, apportant absence d’équité et confusion pour les étudiants.
Ces défaillances ont engendré des incompréhensions, des choix d’orientation par défaut et in fine une très mauvaise acceptabilité de la réforme.
L’urgence : corriger les injustices subies par la promotion 2020
Elle a incontestablement « essuyé les plâtres ». J’ai proposé, en mai, pour cette promotion, des mesures correctives exceptionnelles afin de rétablir une certaine sérénité en offrant des perspectives à ces étudiants : augmenter le nombre de reçus, redoublement exceptionnel en PASS, ouverture suffisante de places en LAS 2, ou encore ouverture d’une « chance » supplémentaire pour accéder en MMOP.
Certaines mesures ont été reprises par le Gouvernement, hélas partiellement et tardivement pour des étudiants rudement éprouvés, et la traduction de ces mesures dans les universités peine encore à voir le jour.
Ils devront donc être particulièrement épaulés et accompagnés par la suite, afin que cette année éprouvante soit compensée par des perspectives claires et justes pour chacun.
L’avenir : réussir la réforme, une nécessité de santé publique
Outre les objectifs affichés, il y a aussi, bien sûr, celui de combler les grandes inégalités territoriales en matière d’accès au soin en formant plus de professionnels. Il est donc indispensable d’en corriger les errements afin d’assurer, à l’avenir, la présence de praticiens dans tous les territoires.
La première mesure : mieux expliquer la réforme. Il faudra expliquer aux bacheliers et aux étudiants les enjeux de la réforme, et les choix qui leur sont possibles. Cela passe par des équipes dédiées dans toutes les universités pour accompagner, épauler, donner des informations claires (sur les places, les cursus, les options PASS ou LAS) dès le lycée et lors de l’inscription sur Parcoursup. Il s’agit là de mettre en place un vrai choix éclairé.
La seconde mesure : mieux piloter et suivre la réforme. Préserver l’autonomie des universités n’est pas générer de l’iniquité. La communication inter - et intra - universitaire, et ministérielle devra ainsi mieux cadrer le contenu des programmes, les amplitudes horaires et nécessairement engager toutes les composantes à harmoniser leurs propositions. En outre, les règles du jeu doivent être claires concernant la notation, le grand oral, l’admissibilité et la publication des places proposées, et ce dès la rentrée universitaire.
La troisième mesure : mieux financer la réforme. Il s’agit d’offrir un nombre de places et de choix suffisants en licence, et surtout de maintenir le parcours choisi en LAS 2. Cela nécessite d’investir dans des moyens pédagogiques, matériels et humains ad hoc pour les universités. Cela nécessite aussi de la transparence dans l’allocation et l’utilisation de ces moyens.
La dernière mesure implique une forte évolution des formations de santé et les moyens à apporter. Diversifier les stages de médecine, c’est permettre la découverte de toutes les pratiques hors des CHU et, au premier rang, la médecine générale en dehors des villes. Financer des fauteuils en odontologie et créer des facultés là où elles font défaut, c’est former plus de dentistes… La richesse des expériences dans la formation est une première approche nécessaire pour mieux connaitre ces métiers de la santé.
Pour conclure, j’insisterai sur le fait que la crise actuelle a montré à quel point les métiers de la santé sont indispensables, vitaux. La réforme ne peut souffrir d’une seconde année d’errements et d’erreurs, car elle doit permettre à des étudiants engagés et qui se projettent dans ces belles professions de réussir leur parcours, et de rejoindre les rangs de ceux qui soignent sur le terrain ; c’est très attendu par les habitants dans les territoires. Il y a urgence à rectifier ce mauvais départ et mettre des moyens car la santé est un bien prioritaire. ■
1. PACES : Première année commune aux études de santé
2. MMOP : Médecine, Maïeutique, Odontologie et Pharmacie
3. Source : Rapport d’information de Mme Sonia de LA PROVÔTÉ, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication n° 585 (2020-2021) - 12 mai 2021
4. La réforme remplace le numerus clausus par un numerus apertus, établi par chaque université en lien avec l’Agence régionale de santé (ARS) et possiblement modulable, qui fixe le nombre d’étudiants admis en deuxième année de chaque filière de santé en fonction des capacités d’accueil de l’université et des besoins en offres de santé sur le territoire.