Le 13 janvier dernier après des débats agités, le projet de loi sur la gestion de la crise sanitaire et sa principale disposition, la mise en place du passe vaccinal était voté par le Sénat. Dans la foulée, le groupe LR du Sénat demandait la création d’une commission d’enquête sur l’adéquation du passe vaccinal à la situation. Il était finalement décidé que la commission des Affaires sociales serait dotée des prérogatives d’une commission d’enquête. Un peu plus d’un mois après, le 24 février, les rapporteurs Chantal Deseyne (LR), Olivier Henno (centriste) Michelle Meunier (PS) et la présidente de la commission des affaires sociales du Sénat, Catherine Deroche rendaient leur rapport.
Pour ces sénateurs (qui ont voté le projet de loi) et comme ils l’écrivent dans leur rapport, le passage du passe sanitaire au passe vaccinal était, à leurs yeux, plus que justifié au regard de « la dynamique épidémique de la fin de l’année 2021 » marquée par la multiplication des cas liés au variant Delta puis Omicron.
Ils rappellent ensuite que ce passage d’un passe à un autre a été présenté par le Gouvernement comme un moyen de faire face à une cinquième vague annoncée et à son impact sur le système hospitalier. Dans l’étude d’impact jointe au projet de loi déposé le 27 décembre 2021, le Gouvernement insistait particulièrement sur la situation hospitalière le conduisant à proposer ces mesures nouvelles : « au 26 décembre 2021, on dénombrait 16 431 patients hospitalisés pour cause de covid-19, parmi lesquels 3 160 étaient pris en charge en soins critiques. Ainsi, le taux d’occupation des lits de réanimation continue d’augmenter et s’établit désormais à 65 % de la capacité d’accueil. De plus, la tension hospitalière est accrue par la circulation d’autres virus à la faveur de la période hivernale et par les nécessaires reprogrammations d’interventions chirurgicales qui avaient été reportées lors des précédentes vagues épidémiques ». Au 8 janvier, 21 721 personnes étaient hospitalisées, 3 821 personnes en soins critiques. Pour le gouvernement, la réponse ne peut alors être que vaccinale. Cela permettrait de « réduire les tensions sur le système hospitalier en prévenant les potentiels cas graves de la covid-19 par une augmentation de la couverture vaccinale et de limiter les risques de contamination des non-vaccinés en leur interdisant l’accès à certains lieux et en réservant leur accès aux seules personnes vaccinées » argumentait le gouvernement. Une incitation à la vaccination au moyen du passe vaccinal « très clairement assumée par le gouvernement » notent les rapporteurs. Et ce coup de pression a eu l’effet escompté. La part de la population ayant reçu au moins une première injection, est passée de 77,6 % au 21 novembre 2021 à 79,8 % au 16 janvier 2022, pour atteindre 80,4 % au 13 février 2022. Entre le 20 décembre et le 23 janvier, 800 000 personnes ont reçu une première dose de vaccin. « L’annonce du passe vaccinal a donc été suivie d’une hausse certaine des primo-vaccinations entre la mi-décembre 2021 et la fin janvier 2022 mais elle n’a pas permis de cibler en priorité les personnes non vaccinées les plus âgées, qui présentent le plus de risques de développer une forme grave du covid-19 et d’être hospitalisées » regrettent cependant les sénateurs qui enfoncent le clou : « Plus la population est âgée, moins la progression de la vaccination a été importante, alors que les risques de développer une forme grave de la covid-19 augmentent avec l’âge ». Cibles principales ratées en fin de compte. Le rapport constate ensuite que l’explosion des contaminations au variant Omicron - près d’un Français sur cinq aurait été contaminé (Avis du Conseil scientifique du 19 janvier 2022) – et des annonces dès début février de la levée de certaines mesures confiscatoires a « certainement contribué à limiter le principal effet du passe vaccinal d’inciter les personnes non vaccinées » à recevoir une injection. « En outre, ajoutent-ils, la moindre dangerosité du variant Omicron, comparée à Delta, a pu désinciter à la vaccination pour un schéma initial ou pour un rappel ». « La succession d’annonces parfois contradictoires [du gouvernement], avant même que certains outils de gestion de l’épidémie soient applicables, a contribué à brouiller le message adressé à la population » soulignent les rapporteurs. La perspective d’une amélioration de la situation sanitaire, annoncée par le Gouvernement par la levée de certaines restrictions dès le début du mois de février, « a certainement contribué à limiter le principal effet du passe vaccinal qui est d’inciter les personnes non vaccinées à entrer dans la vaccination ».
Le rapport se montre sévère aussi avec le suivi et l’évaluation du passe sanitaire et du passe vaccinal qui est jugé « très insuffisant » alors même qu’ils restreignent les libertés publiques et imposent d’importantes contraintes pour la population. « Il est nécessaire que la proportionnalité et l’utilité de ces mesures puissent être évaluées » exigent-ils, et contrairement à ce qui est écrit dans l’étude d’impact du projet de loi « l’affirmation selon laquelle le passe sanitaire a permis de limiter les conséquences de l’épidémie sur le système de santé n’est appuyée sur aucune étude ou évaluation de cet outil » pointent les sénateurs. « De la même manière, les effets du passe vaccinal sur la maîtrise de l’épidémie et plus particulièrement sur la vaccination ne font pas l’objet d’un suivi spécifique en vue de son évaluation » s’agacent-ils.
Critique aussi du processus de décision. Les élus du Palais du Luxembourg s’étonnent par exemple que « ni le conseil scientifique, ni le conseil d’orientation sur la stratégie vaccinale n’ont été formellement saisis pour émettre un avis sur l’opportunité de transformer le passe sanitaire en passe vaccinal avant que le Premier ministre annonce cette décision le 17 décembre 2021 ». « Nous n’avons pas été saisis officiellement pour la mise en place du passe vaccinal. Cela dit, moi-même et plusieurs de mes collègues avons eu une série de contacts informels avec les équipes du ministère de la santé. » a admis en audition le Professeur Alain Fischer, président du conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, pourtant toujours prompte à émettre un avis. « Nous avons discuté du passe vaccinal, mais nous n’avons rien écrit, contrairement à ce que nous avions fait pour le passe sanitaire » a lui aussi reconnu le Professeur Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique. Visiblement, cela ne leur a posé aucun souci ni à l’un, ni à l’autre. Or, déplorent les sénateurs, « ces carences, constatées pour l’ensemble des étapes où l’expertise scientifique doit appuyer des choix politiques, sont regrettables : elles nuisent à la légitimité de la décision et ne permettent pas d’évaluer convenablement l’utilité sanitaire d’un outil pourtant restrictif des libertés publiques ».
Sans parler de « la place prépondérante du conseil de défense sanitaire dans la prise de décision » qui « fait peu pour faciliter la compréhension de la politique menée par un corps social soumis depuis deux ans à un certain stress ». La commission d’enquête qui a comptabilisé pas moins de 80 réunions de ce conseil de défense émet finalement des doutes sur son intérêt au regard des objectifs poursuivis. « La substitution du conseil de défense au conseil des ministres, et donc la soustraction de la décision au jeu normal des institutions, ne trouve sa justification que dans le caractère exceptionnel de la situation. Or l’exception dure depuis deux ans » concluent-ils.
Les rapporteurs qui qualifient le passe vaccinal de « pur gadget » « qui a paru servir de justification au relâchement des réflexes prophylactiques » et constatant l’évolution de l’épidémie depuis la mi-janvier 2022 demandent « d’engager sans délai, mais avec prudence, la levée du passe vaccinal ». Les auteurs du rapport plaident pour que les conditions de la réversibilité de la décision soient établies, en cas par exemple d’apparition d’un nouveau variant dangereux. Enfin, « la levée du passe vaccinal n’est pas synonyme de levée du passe sanitaire dans les hôpitaux ni de l’obligation vaccinale pour les soignants, qui par hypothèse sont les personnes le plus souvent en contact avec des personnes fragiles et doivent se prémunir contre tout risque de transmettre le virus » précisent-ils.
Le gouvernement a laissé entendre que le passe vaccinale serait suspendu à la mi-mars. ■