Il fait simplement le constat que l’adaptation se fait à un rythme trop lent pour contenir l’augmentation des risques du changement climatique, induits notamment par les canicules, les précipitations et les sécheresses plus intenses et plus fréquentes.
En ce qui concerne l’élévation du niveau de la mer, le constat est identique : nous savons que l’élévation du niveau de la mer, actuellement de 4 mm/an environ, se poursuivra pendant plusieurs siècles. Même si les émissions de gaz à effet de serre s’arrêtaient subitement aujourd’hui, l’océan, les glaciers de montagne et les calottes de glace au Groenland et en Antarctique continueraient à s’ajuster au réchauffement de 1,1°C que nous observons aujourd’hui, et le niveau de la mer atteindrait environ 1 m en 2300.
La première urgence pour éviter une accélération de l’élévation du niveau de la mer est donc de ne pas renoncer aux objectifs de l’accord de Paris, et de limiter le réchauffement climatique bien en-deçà des 2°C au-dessus de la période préindustrielle. Seule l’atteinte de cet objectif permet de stabiliser l’élévation du niveau de la mer au rythme actuel et d’accorder plus de temps pour l’adaptation aux risques de submersion marine, d’érosion côtière et de salinisation des sols et des estuaires.
La seconde urgence, c’est l’adaptation, et tout particulièrement l’adaptation aux submersions chroniques à marée haute par conditions météorologiques normales. Ces submersions chroniques perturbent déjà aujourd’hui les transports et les activités portuaires dans certains secteurs tels que la côte de la Virginie aux Etats Unis ou dans le Pacifique Ouest. Elles sont amenées à se multiplier dans entre 2030 et 2050, un peu partout dans le monde, et en particulier dans les zones peu exposées aux vagues et à faible marnage comme la Méditerranée ou les Antilles. L’exemple de Venise et de la barrière Mose, présenté dans le chapitre 13 du rapport du GIEC de février 2022, montre qu’il faut parfois plusieurs décennies pour mettre en place une infrastructure permettant de prévenir ce type de submersions. Dans le rapport du GIEC, l’urgence à l’adaptation est donc motivée par le constat que concevoir et mettre en œuvre l’adaptation côtière et sa gouvernance prend du temps, parfois plusieurs décennies.
Au-delà de 2°C, le niveau de la mer continuera à accélérer. Il pourrait atteindre 1 cm/an après 2050, et peut-être davantage dans le cas d’une fonte rapide des calottes de glace au Groenland, et surtout en Antarctique. Ainsi, 1.7 m d’élévation du niveau de la mer en 2100, 4 ou 5 m en 2150 et 15 m en 2300 ne peuvent totalement être exclus aujourd’hui, selon le rapport du GIEC publié en juillet 2021. Pour préparer l’après 2050, l’anticipation est donc la clé. Le rapport du GIEC illustre comment cadrer cette anticipation. Il s’agit tout d’abord de procéder à un inventaire des mesures d’adaptation possibles, par exemple de protection ou de relocalisation des enjeux, ou encore des mesures d’accompagnement telles que des systèmes d’alerte ou des réglementations limitant la construction en zones basses. Par la suite, il s’agit de déterminer quelles mesures seraient possibles ou pertinentes aujourd’hui, en 2030, en 2050 ou ultérieurement. Cette démarche permet non seulement d’anticiper la faisabilité et l’efficacité d’une stratégie d’adaptation, mais aussi d’examiner les conséquences à long terme des choix actuels. Dans le cas de la barrière de la Tamise, par exemple, les mesures envisagées permettraient d’assurer la protection contre les inondations jusqu’à 3 m d’élévation du niveau de la mer environ. Au-delà de 3 m, l’infrastructure actuelle ne suffira plus, et une autre barrière devra être construite plus en aval dans l’estuaire, afin de protéger Londres et sa région de submersions marines. Ce type d’analyse nécessite un travail très important de scénarisation des grandes tendances climatiques, sociales, économiques et environnementales : ce sont ici les UK Climate Projections, mises à jour tous les 10 ans, et qui servent de référence pour l’adaptation au Royaume-Uni.
Dans le rapport du GIEC de février 2022, de nombreuses mesures d’adaptation sont évaluées au regard de leur faisabilité, de leur efficacité, ainsi que de leur cohérence avec les autres objectifs de développement humain, de protection de l’environnement et de réduction des émissions de gaz à effets de serre. Par exemple, la relocalisation des enjeux est une mesure très efficace, mais dont la faisabilité est souvent compromise par l’enthousiasme modéré qu’elle suscite sur le terrain. Les mesures consistant à donner de l’espace pour les écosystèmes, tels que les marais côtiers, les systèmes dunaires, ou, en outre-mer, les coraux ou la mangrove, ont des effets bénéfiques pour les écosystèmes et le paysage, mais il n’est pas certain qu’elles soient suffisantes pour garantir des niveaux de protection satisfaisants contre les inondations si l’on échoue à stabiliser l’élévation du niveau de la mer autour de 4 mm/an. Les mesures d’ingénierie sont efficaces, et certainement indispensables en milieu urbain, mais elles ont des conséquences à long terme : une fois la côte urbanisée et protégée par une digue, il est difficile d’envisager une autre trajectoire d’adaptation. De plus, on sait que l’adaptation, lorsqu’elle consiste à mettre en place des digues, des enrochements ou des épis, se fait souvent au détriment des écosystèmes côtiers et de la qualité des milieux hydro-sédimentaires.
Le rapport du GIEC de Février 2022 fait le constat que les progrès sont réels en matière d’adaptation côtière, notamment en Europe. Pourtant, aucun pays n’a aujourd’hui déployé un dispositif complet pour anticiper l’élévation du niveau de la mer. Par exemple, la réglementation française permet de limiter l’urbanisation des zones inondables, mais nous avons beaucoup à apprendre de nos partenaires américains, italiens et néo-zélandais pour ce qui concerne la gestion des submersions chroniques à marée haute. De même, nous pourrions être davantage inspirés des exemples hollandais et anglais d’anticipation de l’adaptation pour les défenses côtières, les sites industriels, urbains ou patrimoniaux majeurs ou encore les sites et sols pollués. En Australie et en Nouvelle-Zélande, le rapport du GIEC de Février 2022 montre que l’adaptation à l’élévation du niveau de la mer souffre d’un manque de coordination, de cohérence et d’efficacité de sa gouvernance. Ceci peut encourager à compléter le dispositif réglementaire et institutionnel existant, afin de ne pas être pris de court lorsque les effets de l’élévation du niveau de la mer se manifesteront de manière évidente en France et ailleurs dans le monde.
Plus généralement, le rapport du GIEC de Février 2022 peut être vu comme une boîte à outil à la disposition de chacun. Quelles que soient nos responsabilités, nous prenons quotidiennement des décisions qui favorisent ou défavorisent l’adaptation et la transition écologique. Ces décisions peuvent être individuelles, par exemple en adoptant des comportements adaptés lors de canicules, ou collectives, par exemple en transformant la ville pour limiter les ilots de chaleur urbain, favoriser la marche et le vélo, comme montré dans le chapitre 6 du rapport sur la ville. Le rapport du GIEC montre que nous ne sommes pas aujourd’hui sur une trajectoire favorable en ce qui concerne le changement climatique. Mais il montre également qu’il nous reste une courte fenêtre d’opportunité pour contenir l’augmentation des risques, tout en atteignant les objectifs de développement social et économique durable de l’agenda 2030. ■
* Coauteur du rapport du Giec