“Ce rapport est un terrible avertissement sur les conséquences de l’inaction” écrit sans prendre de gants Hoesung Lee, le président du Giec dans un communiqué. « Il montre que le changement climatique est une menace grave et croissante pour notre bien-être et la santé de cette planète. Nos actions aujourd’hui détermineront comment l’Humanité et la nature s’adapteront aux risques climatiques croissants » avertit-il.
Sept ans après son dernier rapport, le Giec enfonce le clou : le changement climatique actuel est « sans précédent » et ses conséquences sont désormais « généralisées » et souvent déjà « irréversibles ». Dans un premier volet rendu public en août 2021, les scientifiques dressaient un constat sans équivoque de la situation. « La température globale sur la surface de la terre était plus chaude de 1,09° entre 2011 et 2020 qu’elle ne l’était entre 1850 et 1900, avec une hausse plus importante au niveau des mers (1,59°) qu’au niveau des océans (0,88°C) ». Avec comme principale conséquence une hausse du niveau des mers de 20 cm « plus vite que lors de m’importe quel autre siècle depuis au moins 3000 ans » s’alarmaient les experts. Entre 2011 et 2020, « l’étendue moyenne de la banquise en Arctique a atteint son plus bas niveau depuis 1850 » et la fonte des glaciers a connu un recul « sans précédent depuis 2000 ans » ajoutent-ils. Autre constat, la concentration de CO2 qui est « la plus élevée depuis au moins 2 millions d’années ». Une situation qui ne s’est pas améliorée depuis le rapport de 2014. Elle s’est même aggravée. « Depuis 2011 (date des mesures du rapport de 2014), la concentration de gaz à effet de serre a continué d’augmenter dans l’atmosphère ». Elle a atteint en 2019, écrivent-ils, « son plus haut niveau depuis au moins 2 millions d’années » pour le CO2 et « depuis au moins 800 000 ans pour le méthane et le protoxyde d’azote, deux autres gaz à effet de serre ».
Ce premier volet pointait également l’influence « sans équivoque » des activités humaines à l’origine du réchauffement. « De nouveaux modèles, de nouvelles analyses et méthodes (…) permettant de mieux comprendre l’influence humaine sur un éventail plus large de variables climatiques » soulignaient-ils. Lors d’une présentation de ce premier volet, la climatologue et coprésidente du Giec, Valérie Masson-Delmotte expliquait sans ambages que « les activités humaines sont à l’origine du changement climatique, c’est indiscutable, c’est un fait établi ». Le schéma actuel des précipitations : responsabilité « probable » de l’influence humaine ; salinité des eaux océaniques proches de la surface, influence « très probable » ; recul des glaciers, responsabilité des hommes « probable » ; fonte de la banquise, « extrêmement probable » que l’homme soit « la cause principale », etc. Au fil des pages de ce premier rapport, la responsabilité de l’homme dans le réchauffement climatique est désignée très distinctement.
Des répercussions « irréversibles »
Les conséquences de tout cela ne sont guère réjouissantes. Elles sont même plutôt inquiétantes. « Toutes les régions vont vivre des répercussions du changement climatique ». Certaines seront même « irréversibles pour des siècles voire des millénaires » s’alarmaient-ils déjà en août dernier. Le deuxième volet de leur rapport le confirme : « Le changement climatique provoqué par les humains (…) a un impact négatif généralisé et a causé des pertes et des dommages à la nature et à l’Humanité, au-delà de toute variation naturelle ». « L’augmentation des extrêmes météorologiques et climatiques a eu des impacts irréversibles poussant les systèmes humains et naturels au-delà de leur limite d’adaptation » complètent-ils. Et pour les chercheurs la réalité est tangible (vagues de chaleurs à répétition, acidification des océans, montée des eaux, incendies, inondations…).
Le Giec montre aussi que la question est d’ores et déjà sanitaire : « Dans toutes les régions, les événements de chaleur extrême ont provoqué des morts ». Le rapport évoque encore la montée des maladies respiratoires avec les fumées provoquées par les gigantesques incendies de forêt. Les pluies diluviennes qui s’abattent sur certaines régions du monde sont aussi à l’origine de la progression du choléra et de l’apparition de nouvelles maladies. Les fortes chaleurs comme les pluies ne sont pas sans effet non plus sur la santé mentale des personnes.
Le rapport enchaîne avec les conséquences sur nos sociétés. Le changement climatique a notamment « réduit la sécurité alimentaire et l’accès à l’eau » pour des millions d’habitants en Afrique, en Asie, en Amérique centrale et du Sud entraînant des problèmes de « malnutrition ».
Le réchauffement climatique touche encore les écosystèmes, les animaux, les plantes et leurs espaces naturels. Les experts ont pu constater que de nombreuses espèces animales avaient par exemple tendance à remonter vers le nord pour échapper à la montée des températures. Ces vagues de chaleur ont aussi un effet sur la mortalité des espèces dans les zones froides (acidification des océans, fonte du permafrost, …). « L’étendue et la magnitude des impacts du changement climatique sont plus importantes qu’estimés dans les précédents rapports » se désolent les chercheurs qui pointent des « dégâts substantiels et des pertes de plus en plus irréversibles pour les écosystèmes terrestres, d’eau douce, côtiers et marins ».
« Nous n’en sommes qu’au début »
En ville aussi, les dégâts sont palpables avec une augmentation de la pollution de l’air et des perturbations à prévoir sur les chaînes d’approvisionnement et les réseaux de transport. Le rapport évoque encore « les dégâts dans les secteurs sensibles au climat, avec des effets régionaux sur l’agriculture, la forêt, la pêche, l’énergie, le tourisme et la productivité du travail en extérieur ».
L’avenir que nous prédit le Giec est sombre. « Nous n’en sommes qu’au début » explique même Gonéri Le Cozannet, chercheur au Bureau des recherches géologiques set minières (BRGM) et coauteur du rapport (voir pages suivantes). Rapport qui distingue deux périodes, le court terme (2021-2040) et le moyen-long terme (2040-2100). Pour le court terme, avec ce que nous avons déjà produit de CO2, les jeux sont faits : « le réchauffement climatique, en atteignant 1,5°, causera une augmentation inévitable de risques climatiques multiples ». Pour la seconde période, tout la différence est de savoir où sera placé le curseur des températures. Dans un scénario de réchauffement à +4°C, jusqu’à 4 milliards de personnes pourraient connaître une pénurie chronique d’eau en raison de sécheresses. A +2°, le nombre des personnes touchées se situerait plutôt entre 800 millions et 3 milliards. Le risque d’extinction des espèces uniques et menacées sera au moins dix fois plus élevé dans un scénario à +3° C que dans le cas d’un monde à 1,5°. Aujourd’hui les estimations penchent vers un réchauffement de 2,7° avec des risques d’impacts « de plus en plus complexes à gérer » et qui se produiront simultanément.
« Une courte fenêtre d’opportunités »
« Si nous nous engageons beaucoup plus fortement qu’actuellement, nous pouvons arriver à éviter beaucoup de graves conséquences » tente de rassurer Wolfgang Cramer, directeur de recherche au CNRS à l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale et corapporteur. Pour autant, ce (très) léger optimisme est vite oublié lorsque le rapport évoque l’existence « d’un fossé entre le niveau d’adaptation actuel et les niveaux nécessaires pour réduire les risques climatiques ». « La plupart des mesures d’adaptation sont fragmentées, à petite échelle, progressives, adaptées aux impacts actuels et aux risques à court terme et focalisés davantage sur la planification que sur la mise en œuvre » regrettent les rapporteurs. « Il est maintenant clair que des changements mineurs, marginaux, en réaction ou progressifs ne seront pas suffisants » assènent-ils. « L’adaptation ne peut pas empêcher toutes les pertes et tous les dommages ».
« Les preuves scientifiques sont sans équivoque : le changement climatique est une menace pour le bien être de l’Humanité et la santé de la planète écrivent en conclusion les experts. Tout retard dans la mise en œuvre d’une action concertée, globale et anticipée en faveur de l’adaptation et l’atténuation nous fera rater la courte fenêtre d’opportunité, qui se referme rapidement, pour garantir un avenir vivable et durable pour tous ». ■