Le continent africain est entré en 2015 dans un long cycle électoral qui verra la tenue de plusieurs scrutins électoraux cruciaux pour la stabilité politique et de facto la pérennité de sa croissance économique qui en dépend (Guinée et Côte d’Ivoire en octobre 2015, Bénin en mars 2016, Congo-Brazzaville en juillet 2016, Gabon à l’automne 2016, Rwanda et Sénégal en 2017…).
Parmi ceux-ci, la prochaine élection présidentielle en République Démocratique du Congo (RDC) en octobre 2016, fait figure de « galop d’essai » pour celles qui vont advenir en Afrique centrale (Rwanda, RCA).
Même correctement organisées et pacifiques, les élections peuvent être des moments compliqués dans certains cas où la démocratie est pourtant bien implantée. Dans les pays en développement qui constituent désormais la majeure partie des Etats africains, les défis électoraux sont grands sans pour autant être insurmontables. Il faut cependant des dirigeants qui placent les intérêts du pays avant les leurs, à l’image de ce qu’a su faire Goodluck Jonathan au Nigéria au printemps dernier, en reconnaissant rapidement la victoire de son adversaire, Muhammadu Buhari, évitant ainsi les troubles post-électoraux, dans un pays également en proie à la menace terroriste de Boko Haram.
Au-delà de ce calendrier, qui fait du scrutin de l’automne 2016, l’étalon de scrutins du proche voisinage à haut risques, ce qui est en jeu à Kinshasa est un peu un condensé de tous les maux et défis du continent.
Il en va ainsi de la bonne gouvernance, bien évidemment, d’un potentiel géologique énorme, gagé par d’immenses ressources naturelles, puissant facteur d’inclusion sociale, mais hélas le plus souvent témoin de pratiques que l’on voudrait considérer comme des reliquats du passé : gabegie, kleptokratie, corruption endémique, tentation de troquer la démocratie au profit du népotisme, atteintes criminelles à la biodiversité…
Il en est aussi du formidable capital humain que constitue 77 millions d’habitants et autant de locuteurs francophones, dont l’âge moyen est estimé à un peu moins de 18 ans.
Ainsi, par sa superficie (2,350 millions de km2) et ses 10292 km de frontières - qui en fait un des principaux pôles d'attraction régionale -, sa diversité culturelle et linguistique (premier bassin linguistique francophone avec 77 millions de locuteurs français), la RDC qui fait figure de scandale « géologique » (or, diamants, pétrole, gaz, bauxite, terres rares), a pourtant toutes les cartes pour être une nation pilote sur le continent africain et au-delà.
Néanmoins, il y a matière à urgente inquiétude. En effet, même si les élections présidentielles sont prévues l'an prochain, force est de constater que le président sortant, Joseph Kabila commence, lui aussi, à montrer quelques velléités de changer la Constitution pour pouvoir se présenter une 3ème fois, foulant ainsi au pied la Constitution du 18 février 2006 et ce afin de se succéder à lui-même, assurant le pouvoir à la famille Kabila depuis 20 ans, depuis la succession post mortem de Joseph Kabila, à la suite de son père, Laurent Désiré Kabila - qui fut président de mai 1997 à janvier 2001.
Joseph Kabila, qui succéda à son père, quelques heures seulement après le décès de celui-ci, en 2001, n'a pas réussi, hélas, en deux mandats (2006, 2011) précédés de scrutins contestés, à relever son pays de l'ornière. C’est, du reste, ce que l’Union européenne ainsi que la Conférence des Evêques de RDC, Human Rights Watch (HRW) indiquent à travers leurs missions d’évaluation en amont des différents processus électoraux passées.
Plus récemment, plusieurs manifestations contre la modification de la loi électorale, ont d’ailleurs été sévèrement réprimées dans la violence, sans que la Communauté internationale ne s’en offusque outre mesure. Pire, la tournée de François Hollande, qui l’amène du 1er au 3 juillet, au Bénin, au Cameroun et en Angola, évitera scrupuleusement Kinshasa.
On se souvient, du reste, de l’attitude quelque peu irrévérencieuse du Président François Hollandeà l’occasion du XIVème Sommet de la Francophonie, en octobre 2012, qui en « snobant » de manière ostentatoire, le président de RDC, avait ainsi inauguré la politique africaine du nouveau locataire de l’Elysée, sur une forme de défiance à l’encontre du cadet des présidents de la région (44 ans), sous couvert de mobilisation de l’opposition congolaise, issue, notamment de la diaspora parisienne.
Si François Hollande était revenu en RDC, il y aurait pourtant pris conscience de l’émergence d’une société civile très active et très inventive. A l’instar du mouvement « Balai citoyen » du Burkina-Faso ou de l’association « Y’en a marre » sénégalaise, les mouvements « Lucha » de la ville orientale de Goma ou encore l’ONG « Filimbi » (Coup de sifflet en langue swahili), sont des expressions fortes de l’opposition citoyenne au pouvoir en place à Kinshasa.
Cette « inventivité » est aussi politique. Elle prend racine dans un rapport très distant entre un centre et une périphérie séparée par plus de 3500 km, soit la distance - peu ou prou - entre Lisbonne et Helsinki !
De nouvelles figures politiques émergent donc en dehors des ornières de la vie politique kinoise, à l’instar du gouverneur de la région du Katanga, Moïse Katumbi Chapwe. Ce dernier, est gouverneur depuis février 2007, et fut, auparavant, député pourtant issu du même parti (Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie - PPRD) que le président Kabila.
Il n’est certes pas le seul à pouvoir s’appuyer sur un bilan économique et éducatif positif, car lui, comme son collègue du Kasaï-Occidental voisin, Alex Kande Mupompa, qui préside aux destinées de l’Association des Provinces de la République Démocratique du Congo, ont réussi à assoir une certaine vision innovante de la démocratie locale, forte de l’attractivité de compagnies minières étrangères et la cession des permis d’extraction à des sociétés locales.
Le cas de la Mining Company Katanga (MCK) créée à l’initiative de Moïse Katumbi en 1997, vient, du reste, témoigner que le développement endogène des provinces orientales et sud-orientales permettant d’assurer un développement plus inclusif des populations locales est non seulement possible, mais est souhaitable et attendu.
Le Président de la RDC, en décidant, du reste, de lancer des poursuites contre le puissant gouverneur de Lubumbashi, vient d’ailleurs confirmer que Moïse Katumbi est désormais considéré par Joseph Kabila comme un rival sérieux en vue de l’élection présidentielle de 2016. L’instrumentalisation de la justice par Kabila contre de potentiels rivaux est un signe inquiétant démontrant qu’il compte bien se représenter une nouvelle fois, alors que ces élections devraient constituer un moment de choix démocratique.
La France, tout comme la communauté internationale devrait ainsi se préoccuper davantage de la situation en RDC, afin de s’assurer que la Constitution soit bien respectée par le Président Kabila. Il en va de la responsabilité de la France à l’égard des citoyens de ce pays francophone majeur sur le continent