La démonstration part de deux constats. D’abord, pour gérer une ville, les citoyens n’ont nul besoin d’un maire partisan : certaines communes, d’ailleurs, ont à leur tête des élus qui ne se réclament d’aucun bord. Ensuite, Paris doit être considérée comme une œuvre d’art totale, profondément vandalisée par la mairie actuelle. Pour cette raison, et même si mon domaine habituel est la protection du patrimoine, que j’aborde largement dans le livre, j’y parle aussi de questions telles que la propreté, l’entretien de la voirie ou la circulation. Car leur mauvaise gestion dénature la ville, et contribue à la polluer et à la vandaliser. J’y traite aussi d’écologie, car Anne Hidalgo prétend mener une politique de protection de l’environnement, alors que la réalité démontre l’inverse. Comment prétendre sauver la planète quand on n’est même pas capable d’entretenir les espaces verts d’une ville ?
Cette disparition de Paris, en marche depuis plusieurs années, s’est nettement accélérée depuis l’élection de 2014. Mais elle est progressive, et beaucoup ne la voyaient pas, comme une grenouille ne s’aperçoit pas qu’on l’ébouillante peu à peu si on la plonge dans une eau froide au départ. Les yeux se dessillent désormais, et cela est en grande partie dû à l’action des réseaux sociaux, notamment de Twitter, et de la création du mot-dièse #saccageparis qui a fédéré tous ceux qui se battent contre cette évolution, et leur a donné une plus grande visibilité. Mouvement informel et complètement apolitique (certains de ses membres sont même des électeurs d’Anne Hidalgo en 2014), il est régulièrement cité par la presse et contribue à la prise de conscience des Parisiens. Livre d’un Parisien né à Paris, dont les parents sont nés à Paris, La Disparition de Paris est la traduction d’une colère contre ceux qui détruisent cette ville.
Quand un visiteur arrive à Paris, la première impression naît de la rue, de l’état de la voirie et de l’espace public. Et dès ce premier contact, le constat est implacable : Paris se dégrade et n’est plus digne de ce que devrait être une grande capitale. La ville est sale. Et en accuser les Parisiens comme certains le font est scandaleux. Car les Parisiens, pas davantage que n’importe quelle autre population, ne sont sales. En revanche, il suffit de quelques-uns pour salir une ville, si celle-ci n’est pas nettoyée. Et c’est bien l’absence de vigilance, d’entretien et - osons le mot - de répression, qui est responsable de cette situation. La question de la propreté n’est même pas celle du budget affecté au nettoyage des rues. L’incompétence de l’organisation suffit à l’expliquer comme je le démontre dans le livre. Remarquons seulement que si la taxe de balayage (qui existe dans seulement trois villes françaises) était dépensée comme il se doit, Paris pourrait disposer en permanence d’une personne nettoyant les trottoirs pour 500 m de rue.
La dégradation de l’espace public se voit à d’autres signes, notamment à l’état du mobilier urbain traditionnel, qui remonte pour l’essentiel au Second Empire. Celui-ci disparaît, ou n’est plus entretenu. Paris est la capitale du scotch, un scotch qui rafistole les feux et les réverbères, elle est aussi la capitale du tag et des autocollants, qui couvrent les panneaux de signalisation, les murs et les monuments. Les poubelles des rues, autrefois fermées et possédant une certaine esthétique, ont été remplacées par ce qui ressemble à des préservatifs géants, souvent pleins car on ne les vide pas suffisamment souvent, ou troués. Les rats se délectent ainsi de la saleté, et ces animaux qui étaient naguère relégués dans les sous-sols se baladent désormais en plein jour à la surface, dans les squares ou dans les rues.
Ce mobilier urbain haussmannien qui disparaît ou est laissé à l’abandon, on le remplace - pardon, on le « réinvente » - avec des objets improbables. Des bancs informes en bois brut aux urinoirs permettant aux hommes de se soulager en pleine rue, ces objets dont personne ne peut défendre l’esthétique contribuent encore davantage à salir l’espace public.
La publicité à Paris est anarchique. Le règlement local de publicité y permet à peu près tout, et même le code du patrimoine, qui interdit théoriquement les publicités à proximité des monuments, ne s’y applique pas. Quant aux affiches géantes sur les chantiers patrimoniaux, si le premier responsable en est le ministère de la Culture qui les a autorisées, la mairie de Paris en use et en abuse, allant jusqu’à essayer de les installer avant le début des travaux, comme ce fut le cas pour la façade de l’église de la Trinité.
Les travaux, anarchiques et non contrôlés, dont les installations perdurent souvent bien au-delà de leur terme réel, contribuent également à désorganiser l’espace public. Certaines rues voient les chantiers se succéder rapidement faute de coordination entre les différents services. Les compétences disparaissent, comme celles des géomètres chargés de mesurer les pentes des rues pour que l’eau de pluie s’évacue naturellement vers les caniveaux, et des caniveaux vers les égouts. Désormais, la moindre averse provoque des flaques immenses, souvent devant les passages piétons, au détriment des familles, des handicapés et des personnes âgées, quand ce n’est pas la totalité de la rue qui se retrouve noyée.
Plus grave encore : contrairement à ce que martèle la communication de la mairie, les arbres disparaissent de Paris, et le livre le démontre, chiffres et exemples à l’appui. Ceux des rues sont coupés et rarement remplacés, sinon par des arbres en pot. Ceux des jardins privés, qui servent de poumons à la capitale, sont fréquemment supprimés pour construire toujours davantage. Ce bétonnage ne se fait pas qu’aux dépends de la végétation : les constructions des faubourgs, qui donnent leur cachet à la ville, sont impitoyablement rasées pour construire plus moderne et plus haut. Pour ne rien dire des tours, les plus anti-écologiques des constructions, auxquelles les Parisiens sont opposés comme ils l’avaient exprimé lors d’une concertation organisée du temps de Bertrand Delanoë (Anne Hidalgo était alors première adjointe à l’urbanisme). Mais les concertations à Paris se résument à une alternative : les Parisiens sont pour, on y va ; les Parisiens sont contre, on le fait quand même !
L’écologie parisienne passe aussi par la « végétalisation » qu’on nous sert à toutes les sauces. Les pieds d’arbre sont « végétalisés », et chacun sait à quoi cela ressemble : des terrains vagues, au mieux avec un peu d’herbe, au pire qui ressemblent à une décharge sauvage, même sur les plus belles places de Paris, comme celle de la République.
Les jardins parisiens sont eux aussi laissés à l’abandon, notamment les parcs historiques. Le plafond de la grotte des Buttes-Chaumont est couvert de filets pour empêcher les pierres de tomber sur les visiteurs, la naumachie du parc Monceau n’est plus seulement une fausse ruine, les squares publics deviennent infréquentables pour les familles faute de gardiens. Et même un jardin bien entretenu comme le square Jean XXIII au chevet de Notre-Dame est menacé désormais par le réaménagement des abords de la cathédrale.
Le patrimoine bâti parisien n’est pas mieux traité que le patrimoine végétal. Fontaines à l’abandon et hors d’eau, églises qui tombent en ruine, peintures murales qui se délitent dans l’indifférence générale sont les cas les plus fréquents. Même si cela s’est un peu amélioré ces trois dernières années, le constat est encore dramatique, et les monuments historiques se dégradent sous nos yeux.
Pour comprendre l’ampleur de ce désastre, lisez La Disparition de Paris. Étayé par des photos, des faits et des chiffres, il démontre l’impensable : Paris est un joyau menacé. Il doit être défendu. ■
La disparition de Paris - Didier Rykner - Les Belles Lettres - 240 pages.