Sans remettre en cause l’intérêt de la numérisation des services publics et des efforts de l’Etat pour lutter contre la fracture numérique, la défenseure des droits pointe à nouveau et comme il y a trois ans dans un précédent rapport les « difficultés persistantes » pour certaines catégories de Français d’avoir accès à leurs droits en raison d’une « dématérialisation à marche forcée ». Or, pour Claire Hédon, il importe que cette dématérialisation « ne soit pas subie », notamment pour les plus démunis, et qu’elle ne constitue pas « un nouveau frein dans l’accès aux droits ». « C’est au service public de s’adapter à l’usager, et non l’inverse » insiste-t-elle. Une alerte de la défenseure des droits qui s’appuie sur un constat et des chiffres : en 2021, près de 115 000 réclamations (+15 %) ont été adressées à l’institution, 90 000 d’entre elles concernent les services publics pour 35 000 en 2014. Ces réclamations concernent pour une très large majorité des questions autour de la dématérialisation et des difficultés à avoir un rendez-vous physique avec un agent. Une situation qui va en s’aggravant puisque certaines démarches et prestations ne sont accessibles qu’en ligne. La pandémie de Covid n’a pas amélioré les choses. « Pendant le premier confinement, certains accueils dans les services publics ont fermé et n’ont jamais rouvert » déplore ainsi la défenseure des droits. « Dans les permanences de nos délégués territoriaux, arrivent des personnes épuisées, parfois désespérées, qui font part de leur soulagement à pouvoir enfin parler à quelqu’un en chair et en os » note encore avec inquiétude Claire Hédon.
Les laissés pour compte de la dématérialisation
Et si personne n’est aujourd’hui à l’abri des effets de la dématérialisation – on a tous rencontré au moins une fois des difficultés face à un formulaire en ligne – la défenseure des droits a une nouvelle fois pu constater que « les laissés pour compte de la dématérialisation sont toujours aussi nombreux ». Il en est ainsi pour les personnes âgées, souvent encore éloignés du numérique ; les jeunes qui sont moins à l’aise qu’on ne le croit avec l’administration dématérialisée ; les personnes handicapées qui n’ont pas toujours accès à une administration accessible ; les majeurs protégés et les personnes détenues ; les personnes étrangères ou les personnes en situation de précarité sociale « qui vivent les démarches numériques comme un obstacle parfois insurmontable alors que ce sont celles pour lesquelles l’accès aux droits sociaux revêt un caractère vital ». On estime que 13 millions de personnes sont en difficulté avec le numérique dans notre pays.
Dans son rapport, la défenseure des droits pointe une dématérialisation qui s’accompagne insidieusement d’une transformation du rôle de l’usager dans la production même du service public : « il en devient un coproducteur malgré lui » explique-t-elle. « C’est à lui qu’il revient de s’équiper, de s’informer, le cas échéant de se former et, partant, d’être en capacité d’effectuer ses démarches en ligne, tout en répondant aux « canons » fixés par l’administration : comprendre les enjeux de la démarche, le langage administratif, ne pas commettre d’erreur au risque de se retrouver en situation de non accès à ses droits. Sur les épaules de l’usager ou de ses « aidants » reposent désormais la charge et la responsabilité du bon fonctionnement de la procédure ». « On demande en réalité aux usagers de faire plus pour que l’administration fasse moins et économise des ressources » finit-elle par asséner. Pour accéder à ses droits, il appartient à l’usager de s’adapter aux conditions de l’administration. « C’est un renversement historique d’un des trois principes du service public : l’adaptabilité – qui devient une qualité attendue de l’usager, plutôt qu’une exigence qui incombe au service ».
La dématérialisation : une offre en plus et non substitutive au guichet
En guise de réponse, la défenseure des droits fait alors 38 propositions pour contribuer à ce que « la dématérialisation se fasse au bénéfice de tous, et non au détriment d’une grande partie d’entre eux ». Plusieurs mesures sont ainsi proposées en vue de renforcer l’efficacité de la politique d’inclusion numérique en l’inscrivant notamment dans le temps tout en lui donnant moyens et visibilité. Mais le rapport propose surtout de « renverser la perspective, et d’offrir aux usagers la possibilité de choisir réellement leurs modes d’interaction avec les administrations afin que le service public s’adapte aux besoins et réalités des usagers et non l’inverse ». L’idée de fond est de revenir aux fondements du service public et de revitaliser ses grands principes que sont a continuité, l’égalité et l’adaptabilité. « La dématérialisation des procédures administratives s’inscrirait ainsi comme une offre supplémentaire et non substitutive au guichet, au courrier papier ou au téléphone » ajoute Claire Hédon. « Ce serait d’ailleurs la marque d’une confiance réelle dans les gains qu’elle peut apporter pour améliorer l’accès de tous aux droits. Elle permettrait de penser l’organisation du service public non pas à partir des attentes et des priorités des administrations, mais à partir de la situation réelle des gens, qui doit être reconnue et prise en compte, dans toute sa complexité ».
Les espaces France Services
Concomitamment à la publication de ce rapport, la ministre de la Transformation et de la Fonction publique, Amélie de Montchalin, reprenant pour partie des propositions de la défenseure des droits, s’empressait de répondre aux inquiétudes des usagers des services publics les assurant que les « 150 à 200 démarches » les plus utilisées par les citoyens seraient « d’ici fin 2022 » disponibles en physique et par téléphone. Pour la ministre, il s’agit de « donner le choix » aux Français dans leur relation à l’administration. « Toute démarche numérique sera systématiquement doublée d’un accueil de proximité dans les espaces France services et d’un soutien par téléphone » a-t-elle expliqué. Amélie de Montchalin précise que 2100 espaces France service qui garantissent l’accès à un socle minimum de 9 services publics nationaux (Caf, La Poste, Pôle emploi, impôts…) sont d’ores et déjà ouverts sur l’ensemble du territoire. Ils devraient être 2500 dans l’année. Pour ce qui est de l’accueil téléphonique, la ministre assure qu’il est efficient pour « plus de 80 % des démarches ».
La ministre a également sollicité les préfets pour organiser au niveau départemental avec l’ensemble des relais territoriaux des associations représentatives des usagers du service public un échange sur les thématiques de l’inclusion et de l’accès aux droits pour les services publics de proximité, qui doit permettre d’aboutir à partager une cartographie de l’offre locale d’accompagnement et d’orientation et de tisser un réseau de « l’aller-vers ». « Ne laisser personne au bord de la route du service public implique que les efforts de l’Etat, des collectivités locales, des opérateurs de service public et des associations se conjuguent pour que chacun trouve un visage accueillant, une réponse et une solution à proximité de chez soi » a conclu la Ministre qui n’a cependant donné aucun chiffrage pour ces mesures : « pour les lignes téléphoniques ; les administrations s’organisent avec leurs enveloppes » et pour l’accueil physique, 5000 agents sont déjà déployés dans les espaces France services. ■