Le président français Emmanuel Macron, à la tête du Conseil de l’Europe, entre janvier et juin 2022 aura réussi de manière générale à imposer son calendrier et à faire voter nombre de ses projets. « La guerre ne nous a pas empêchés de poursuivre les priorités que le gouvernement s’était fixées » s’est félicité l’Elysée au mois de juin, au moment de passer la main à la République tchèque. Au total, le gouvernement estime avoir appliqué 97 % des objectifs annoncés pendant ces six mois, malgré l’agenda politique chargé, avec la présidentielle et les législatives de mai et de juin et bien-sûr, la guerre en Ukraine. Il faut dire qu’Emmanuel Macron aura passé beaucoup de temps à traiter de questions internationales pendant cette période et fut même accusé de le faire au détriment de la politique intérieure. C’est d’ailleurs le reproche que lui fait les oppositions de droite comme de gauche, qui avaient demandé au mois de janvier que la présidence française soit reportée pour qu’elle n’ait pas lieu durant la période de campagne. « C’est une présidence qui, au plan politique, fut une présidence tronquée » a regretté le sénateur Les Républicains Jean-François Rapin, également président de la Commission des Affaires européennes du Sénat.
Une opposition déçue
Dans l’ensemble, une certaine indifférence voire de la déception anime les oppositions sur le bilan de la présidence française. Les sénateurs de droite reprochent au président et au gouvernement un satisfecit bien trop rapide face aux mesures votées durant ces six derniers mois, ainsi qu’une confusion volontaire entre les textes proposés par la France puis adoptés et les simples initiatives lancées par elle : « le gouvernement les brandit pêle-mêle, mais il se garde de distinguer les accords politiques obtenus et les initiatives simplement lancées, mais loin d’aboutir, et il néglige le poids du Parlement européen, à l’initiative des trilogues délicats qui s’annonce, pourrait ternir certains résultats déjà hâtivement annoncés » a encore déploré Jean-François Rapin. Selon lui, il s’agit surtout d’avancées qui « tiennent autant, voire plus à la Commission européenne », qui a appliqué correctement son agenda. Soulignons que le pays chargé de la présidence de l’UE est loin d’être la seule à décider du calendrier. Il préside en effet aux côtés de la présidente de la Commission et du Conseil de l’Europe, à la tête desquels se trouvent Ursula von der Leyen et le belge Charles Michel.
Faire face à la guerre
La guerre en Ukraine aurait pu être une source de difficultés majeures pour unir les Européens dans ce conflit, mais il n’en a pas forcément été ainsi. Sous la pression de ses partenaires, il a évolué sur nombre de sujets, en particulier l’acceptation des candidatures de l’Ukraine et de la Moldavie à l’UE. Une idée à laquelle Emmanuel Macron était d’abord réticent, ne souhaitant pas accroître les tensions avec la Russie. Au Palais du Luxembourg, la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, s’est félicitée devant les Sénateurs du résultat de l’action de la France dans la gestion de cette crise, face à laquelle l’Union, conduite par la France, « s’est affirmée comme un facteur de stabilité sur le continent ». À Bruxelles, on salue le talent diplomatique de la France pendant cette période délicate : « cela s’est révélé un grand avantage que d’avoir à la présidence tournante un grand pays de l’UE avec la capacité diplomatique et la force d’entraînement politique de la France », souligne Eric Maurice, de la Fondation Robert Schuman.
Un agenda climatique abouti
L’environnement est certainement un des axes sur lesquels la France a le plus mis l’accent durant ces six mois de présidence. Dans l’optique de la suppression des émissions de CO2 à l’horizon 2050, le gouvernement a poursuivi l’agenda climatique déjà entamé sous les présidences précédentes. Parmi les textes votés, il y a entre-autres la fin des véhicules à moteur thermique dans l’UE d’ici 2035, la taxe carbone aux frontières de l’UE, qui doit permettre à l’Union d’imposer ses normes environnementales aux entreprises étrangères exportant sur son territoire, ou encore le label vert définissant les ressources énergétiques nécessaires à la transition écologique. Une mesure approuvée début juillet par le Parlement européen et qui est la source de controverses. L’Allemagne, l’Autriche et les Pays-Bas considèrent inconcevable en effet que le gaz et le nucléaire soient intégrés dans cette catégorie, le gaz étant une énergie fossile, et le nucléaire étant considéré comme risqué pour la sécurité et l’environnement. L’opposition de gauche est déçue du bilan climatique : « le paquet Fit for 55 a un peu avancé, mais pas beaucoup » a regretté le sénateur socialiste.
Un bilan économique nuancé
L’action de la France ne peut se résoudre qu’à la question environnementale. Les réformes économiques sont une autre réussite mise en avant par le gouvernement. Interrogé par franceinfo le ministre délégué chargé de l’Europe, Clément Beaune, s’est félicité d’un bilan « massif », en soulignant en particulier l’importance du texte sur le salaire minimum. « Six pays européens n’avaient aucune protection pour leurs salariés. On a enfin un salaire minimum imposé dans tous les pays de l’Union européenne » s’est-il réjoui. Une affirmation à nuancer. En effet, comme le disait Catherine Colonna devant les sénateurs, il s’agit « d’un cadre commun sur le salaire minimum ». La réforme n’impose pas aux pays de l’UE d’avoir un salaire minimum défini par l’Etat, à l’image du SMIC en France, et encore moins un seuil précis et ou uniforme. Nombre de pays européens, tels le Danemark, la Finlande, la Suède, l’Autriche ou encore l’Italie laissent chaque branche définir leur propre niveau de salaire minimum, ce qui fonctionne tout aussi bien. Une pratique qui est précisément encouragée par le texte en question. En France, l’opposition de gauche reste relativement circonspecte à l’égard du texte, qu’elle considère très insuffisant. « La directive sur le salaire minimum [...] ne comporte aucune disposition contraignante. Le dumping social risque de rester dans ces conditions la règle en Europe, les incitations de la directive étant encore extrêmement timides, même si elles sont bienvenues » a regretté le sénateur communiste Pierre Laurent devant la ministre des Affaires étrangères.
Précisons enfin que la taxe minimum sur les multinationales de 15 % a été bloquée par la Hongrie et la mesure a donc peu de chance d’aboutir pour l’instant. Elle devait pourtant être un point phare de la présidence française de l’UE et Catherine Colonna s’est bien tenue de la mentionner dans son discours devant les sénateurs. Les socialistes n’ont pas manqué de soulever ce point via la voix du sénateur de Seine-Maritime, Didier Marie.
Immigration : améliorer la concertation
Dès le mois de décembre 2021, lors de la présentation du programme de la présidence française de l’UE, Emmanuel Macron avait appelé à une unification plus large des politiques liées à la gestion de l’immigration aux frontières de l’Espace Schengen. Il souhaitait pour cela l’instauration d’un pilotage politique transeuropéen et d’un mécanisme de soutien d’urgence aux frontières en cas de crise. Mais la guerre en Ukraine l’a forcé à réduire ces ambitions. Le président français s’est contenté de proposer un « Conseil des ministres de Schengen », où l’on discuterait de la limitation des points de passage et du renforcement de la surveillance pour lutter contre l’instrumentalisation des flux migratoires par des pays tiers. Dans son discours devant les sénateurs, Catherine Colonna a voulu rappeler l’objectif final de cette initiative à propos de l’immigration : prendre les moyens pour la stopper en Europe mais surtout, dans les pays d’origine. « Vis-à-vis des pays tiers et singulièrement des pays d’origine, il faut une approche équilibrée, continuer à favoriser les perspectives de développement, car on sait bien que c’est là un des fondements majeurs de l’immigration » a rappelé la ministre des Affaires étrangères, précisant également sa volonté de renforcer le contrôle des migrants arrivant sur le sol européen.
La présidence tchèque devrait être l’occasion de mettre en œuvre ces textes dans les prochains mois. En tout cas, c’est ce qu’espère la ministre des Affaires étrangères, qui promet d’y veiller : « la fin de la présidence française [...] ne signifie pas que nous abandonnons les priorités qui sont les nôtres, bien au contraire ». ■