Une semaine après la visite éclair à Kiev le 16 juin dernier d’Emmanuel Macron, Olaf Scholz, Mario Draghi et du président roumain, Klaus Iohannis au cours de laquelle le président français a soutenu publiquement l’octroi « immédiat » à l’Ukraine du statut de candidat à l’Union européenne, la décision prise ce 23 juin est un « moment historique » comme l’a dit le président du Conseil de l’Europe, Charles Michel, le soir du vote. La journée d’« aujourd’hui marque une étape cruciale sur votre chemin vers l’UE » a-t-il poursuivi lors de sa visioconférence avec Volodymyr Zelensky et la présidente moldave, Maïa Sandu. Emmanuel Macron, qui avait dans un premier temps temporisé et proposé une autre forme d’association avec la création d’une Communauté politique européenne (CPE), s’est félicité de ce vote : « Nous avons avancé à pas de géant », en soulignant qu’il s’agissait d’un « signal très fort vis-à-vis de la Russie ». « Tout cela, nous le devons au peuple ukrainien qui se bat pour défendre nos valeurs, leur souveraineté, leur intégrité territoriale, nous le devons aussi à la Moldavie compte tenu de sa situation politique, des déstabilisations qu’elle subit et de la générosité dont elle a su faire preuve » a insisté Emmanuel Macron. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen s’est pour sa part félicitée d’« un moment majeur, d’un très bon jour pour l’Europe ». Cette décision « nous renforce tous », « elle renforce l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie face à l’agression russe », a-t-elle encore estimé.
La Géorgie se voit accorder « une perspective européenne » sous réserve de réaliser encore plusieurs réformes avant d’obtenir le statut de candidat.
Un cheminement controversé
Il faut dire que cette adhésion n’était pas gagnée d’avance pour les deux pays, alors même que Volodymyr Zelensky avait appelé, dès la fin février à ce que l’UE intègre son pays « sans délais », en invoquant la mise en place d’une « procédure spéciale ». Une demande qui n’a pas reçu l’accueil escompté. Le Premier ministre néerlandais fut à l’époque catégorique : « il n’existe pas de procédure rapide ». Le président Français et de l’Union européenne ne fut pas plus souple d’ailleurs, au contraire. La possibilité d’ouvrir les portes de l’UE à l’Ukraine paraissait exclue dans l’immédiat : « Est-ce qu’on peut aujourd’hui ouvrir une procédure d’adhésion avec un pays en guerre ? Je ne le crois pas. Est -ce qu’on doit fermer la porte et dire jamais ? Ce serait injuste » avait-il expliqué. Mais rapidement, à mesure que le conflit sévissait en Ukraine, la position des Européens s’est assouplie, face à la demande pressante des deux pays, ainsi que de la Géorgie d’intégrer l’UE. Le 7 mars dernier, les 27 pays de l’UE avaient déjà pris acte de la demande d’adhésion de ces trois pays, dans un communiqué indiquant que les Etats membres à Bruxelles avaient « trouvé un accord pour inviter la Commission européenne à présenter un avis sur chacune des demandes d’adhésion à l’UE présentées par l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie ».
Communication
Le contexte très particulier de cette guerre avec la Russie, qui depuis le mois de février est devenue l’ennemi commun des Européens, a permis au président Zelensky de mettre la pression et de quasiment leur forcer la main pour accepter une adhésion accélérée. Le gouvernement ukrainien a d’ailleurs su mener habilement sa communication, en réponse en particulier au refus du Bundestag allemand au mois de mai, de mettre en place un « raccourci » en vue de l’adhésion à l’UE. Le chef de la Diplomatie ukrainienne, Dmytro Kouleba dénonçait alors au mois de mai un « traitement de seconde zone qui blesse les Ukrainiens ». Au lendemain de la candidature de l’Ukraine à l’UE, une photo d’une députée ukrainienne en larmes, visiblement émue par la nouvelle circulait fort opportunément sur tous les réseaux sociaux.
Prendre le temps
Si les candidatures de ces trois pays en confrontation ou en guerre avec la Russie se sont faites dans des délais raccourcis, les conditions à réunir pour une adhésion pleine et entière sont encore nombreuses. Au début de l’histoire, Clément Beaune qui n’était encore que Secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes avant de devenir ministre délégué chargé de l’Europe – affirmait que le processus prendrait « 15 ou 20 ans ». Pour que le processus aboutisse, il faut en effet que les candidats, dans le cadre du processus de pré-adhésion à l’UE, alignent leur législation sur le droit européen, fassent preuve de stabilité politique et aient une économie de marché viable. Et pour ces trois pays, ce n’est pas chose simple. L’Ukraine et la Moldavie figurent par exemple parmi les quarante pays les plus corrompus au monde, selon le classement de l’ONG Transparency International. Au niveau européen, l’Ukraine est presque à égalité avec la Russie, toujours selon la même étude. Il ne faudrait pas oublier enfin que des candidats à l’adhésion au lendemain de la chute de l’URSS, en 1991, comme la Hongrie et la Pologne, ont attendu 2004 pour intégrer l’UE. La Turquie de son côté a déposé une candidature en 1987 et n’a obtenu son statut de candidat qu’en 1999.
Une démarche risquée
Dans le cadre du processus de préadhésion, les Vingt-Sept ont posé plusieurs conditions, exprimées par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. Ces pays devront faire des efforts en matière « d’Etat de droit, d’oligarques, de lutte contre la corruption et [de défense des] droits fondamentaux », mais qui demeurent non-suspensives toutefois. De plus, le processus de pré-adhésion dans lequel rentrent les trois nouveaux candidats, leur permettra de participer à des programmes européens. Ils recevront surtout une aide financière pour se mettre au niveau exigé par la Commission européenne. Emmanuel Macron a prévenu : « le chemin sera long », le processus prendra peut-être « des décennies ». Une question se pose toutefois pour l’avenir de l’Europe : si l’Ukraine et la Moldavie – qui n’est pas en guerre – peuvent adhérer si vite à l’Europe, qu’en sera-t-il des autres candidats qui attendent parfois depuis plusieurs décennies ? Réunis à Bruxelles le jeudi 23 juin, pour discuter de l’avancement de leur statut – le jour même de l’octroi de ce même statut de candidat à l’Ukraine et à la Moldavie – les Etats des Balkans candidats de longue date à l’adhésion (Bosnie, Serbie, Montenegro, Kosovo, Macédoine du Nord, Albanie) sont ressortis bredouilles et surtout déçus de la rencontre. « Bel endroit, des gens sympas, de belles paroles, de belles images. Imaginez à quel point cela pourrait être plus agréable si les belles promesses étaient suivies d’effets » s’est même emporté sur twitter le Premier ministre albanais, Edi Rama, Vjosa Osmani, le président du Kosovo, a pour sa part averti : « Plus l’UE ne donne pas un signe unifié et clair aux Balkans occidentaux, plus d’autres acteurs malveillants utiliseront cet espace et ce vide ». Aussi, en guise de début de réponse, à nouveau, le président Macron a remis sur la table sa proposition de communauté politique européenne jugeant que tout le monde n’avait pas vocation à entrer dans l’Union européenne. « Nous devons réfléchir à la façon de stabiliser notre quartier. Et soyons honnêtes, peut-être que nous ne vivrons pas toujours dans la même maison, mais nous vivrons dans la même rue » a fini par déclarer Emmanuel Macron. ■
Otan : la demande d’adhésion de la Finlande et de la Suède lancée
Le 29 juin, les membres de l’Otan réunis à Madrid ont trouvé un terrain d’entente pour lancer officiellement le processus d’adhésion de la Finlande et de la Suède.
Soulagement. Le président turque a accepté in extremis de lever son veto à l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’Otan. A Madrid qui accueillait le sommet, remerciant le président turc, le chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez s’est félicité de cette décision « qui va nous renforcer tous ». Jusque-là, la demande d’adhésion de la Finlande et de la Suède déposée en mai dernier était bloquée par la Turquie qui reprochait aux deux pays nordiques leur soutien implicite aux « terroristes » du PKK-Kurde entre autres, en refusant notamment des demandes d’extradition. La Suède est une « pépinière d’organisations terroristes » s’agaçait-elle. La Turquie dénonçait aussi le gel par la Suède et la Finlande des exportations d’armes vers la Turquie.
Finalement et au grand soulagement des autres membres de l’Organisation, le président turc Recep Tayyip Erdogan a cédé. Mais sous condition. Le « mémorandum » signé semble en effet vouloir prendre en compte les aspirations turques. « Comme des alliés de l’Otan, la Finlande et la Suède s’engagent à soutenir complètement la Turquie face aux menaces contre sa sécurité » a même précisé le secrétaire général de l’Alliance, Jens Stoltenberg. Et dans la foulée, le ministère de la Justice turc indiquait que « dans le cadre du nouvel accord » son pays allait « demander à la Finlande l’extradition de six membres du PKK et six membres de Fetö ; et à la Suède d’extrader dix membres de Fetö et onze du PKK ». « Dans toutes les extraditions, nous continuons de suivre la législation suédoise, la législation internationale et la convention européenne sur les extraditions » a tranquillement répondu la Première ministre suédoise. Idem en Finlande. Les trente Parlements doivent maintenant ratifier la demande d’adhésion des deux pays nordiques. A terme, lorsque Helsinki et Stockholm auront rejoint l’Alliance, la mer Baltique se transformera de facto en « lac » Otan et créera une frontière Otan/Russie de plus de 1000 km. « La Russie voulait moins d’Otan, elle a obtenu l’inverse » s’est alors réjoui Jens Stoltenberg. « L’extension de l’Otan est un facteur de déstabilisation » a sobrement réagi Moscou.
Ces demandes d’adhésion mettent fin à la doctrine dite de « finlandisation » qui a perduré depuis des décennies et qui veillait à un principe de neutralité et de non-alignement militaire.