L’optimisme du gouvernement sur les prévisions de croissance, ne vous semble-t-il pas un peu « hors sol » ? Le Haut conseil des finances publiques lui-même émet de sérieux doutes sur ces prévisions.
Les recettes fiscales et sociales inscrites dans les projets de lois de finances (PLF) et de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023 reposent notamment sur une croissance du PIB en volume de 1,0 %. Or les prévisions les plus récentes des instituts de conjoncture et des organisations internationales sont plutôt de l’ordre de 0,5 % et le risque d’une récession ne peut pas être écarté si l’approvisionnement en énergie de l’Europe s’avère trop limité. Je pense qu’une prévision de croissance comprise entre 0 et 0,5 % serait plus réaliste.
Le projet de loi de programmation des finances publiques (PLPFP) est construit sur la base d’une croissance du PIB en volume de 1,7 % en moyenne annuelle sur les années 2024 à 2027. Comme le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), je considère que cette prévision repose sur des hypothèses trop optimistes, notamment pour ce qui concerne le taux d’épargne des ménages, le taux d’investissement des entreprises et la contribution du commerce extérieur à la croissance.
Avec une hausse des crédits ministériels et une augmentation des effectifs de l’Etat, le Haut conseil se dit inquiet sur la capacité pour l’exécutif de maîtriser la dépense sur le quinquennat. Partagez-vous cette inquiétude ?
Selon le HCFP, le gouvernement prévoit une croissance du total des dépenses publiques (Etat et administrations locales et sociales), hors dépenses exceptionnelles (plans d’urgence et de relance, mesures prises pour faire face à la hausse des prix de l’énergie), de 65 Mde en 2023. Pour l’Etat, les crédits du budget général, hors missions plan d’urgence, plan de relance et France 2030, augmentent de 30 Mde par rapport à la loi de finances initiale pour 2022.
Il est normal que les dépenses publiques croissent fortement lorsque le taux d’inflation est élevé. En effet, les prestations sociales sont presque toutes indexées sur l’inflation, les prix des achats de biens et services des administrations augmentent et les salaires des fonctionnaires doivent être revalorisés. La hausse de 65 Mde des dépenses publiques non exceptionnelles correspond à une progression de 4,3 % égale à l’inflation prévue en 2023. Autrement dit, la croissance en volume (ou en euros constants) des dépenses publiques serait nulle en 2023, ce qui traduirait un degré de maîtrise de ces dépenses rarement atteint.
A titre d’exemple des efforts demandés aux administrations, les crédits de la mission défense augmentent de 3,0 Mde conformément à la loi de programmation militaire (LPM) de 2018, mais la LPM a été construite avec une hypothèse d’inflation bien plus basse et sans revalorisation du point de la fonction publique. Le ministère de la défense fait donc un effort par rapport à ce qu’il pouvait espérer d’une prise en compte de l’inflation.
Il me semble toutefois que le gouvernement sous-estime la croissance prévisible des dépenses publiques en 2023. Par exemple, il suppose que les dépenses des collectivités locales baisseront nettement en euros constants et lui-même entend quasiment geler en euros courants les dotations de l’Etat aux collectivités locales, ce qui n’est pas réaliste. Aucun crédit n’est prévu pour une revalorisation du point de la fonction publique. Or, s’il est difficile d’afficher une hausse qui serait perçue comme un point de départ de la négociation par les syndicats, on peut penser qu’il y aura une revalorisation compte-tenu de l’inflation prévue. Si le maintien des « boucliers » contre les hausses des prix du gaz et de l’électricité est prévu, les aides à la consommation de carburants sont supposées ne pas être reconduites en 2023, ce qui est peu crédible.
Sur la période 2024-2027, le PLPFP table sur une croissance annuelle moyenne de 0,1 % en volume des dépenses publiques. Même en tenant compte de la disparition des dépenses exceptionnelles qui subsisteront en 2023 (boucliers tarifaires), une telle maîtrise des dépenses sur plusieurs années serait inédite et suppose la réalisation d’économies très importantes. Or aucune économie substantielle n’est documentée dans le PLPFP à l’exception du recul de l’âge de départ en retraite, ce qui ne suffit pas pour en respecter les objectifs de dépenses.
S’agissant des effectifs de l’Etat, le PLPFP fixe pour objectif leur stabilisation de 2022 à 2027, mais le PLF prévoit près de 11 000 créations d’emplois dans les services de l’Etat et de ses opérateurs en 2023, ce qui n’est pas la meilleure manière d’atteindre cet objectif.
La trajectoire de retour à 3 % sur PIB du déficit public à l’issue du quinquennat vous semble-t-elle réaliste ?
Le PLPFP prévoit un déficit public de 2,9 % du PIB en 2027, ce qui permettrait de seulement stabiliser la dette à peu près au niveau actuel (112 % du PIB). La trajectoire y conduisant repose sur un scénario macroéconomique trop optimiste et une évolution hypothétique des dépenses publiques. Elle n’est donc pas réaliste.
Pour mieux assurer cette trajectoire, il faudrait que les baisses d’impôts prévues (suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et réduction des droits de succession, la disparition de la redevance de l’audiovisuel étant déjà votée) soient reportées à 2027 et que leur mise en œuvre soit conditionnée par le respect des objectifs de dépenses de la LPFP sous le contrôle du HCFP.
La hausse des taux d’intérêts va renchérir le coût du service de la dette dans les années à venir. Est-ce tenable ?
Le PLPFP prévoit que la charge d’intérêts de la dette publique (pas seulement celle de l’Etat) passe de 42 Mde en 2022 à 61 Mde en 2027, soit de 1,8 à 2,1 % du PIB. Cette augmentation pose un problème dans la mesure où elle rend plus difficile le respect des objectifs d’évolution des dépenses publiques, ceux-ci incluant cette charge d’intérêts, et donc le respect de la trajectoire de réduction du déficit.
Cette prévision du PLPFP repose sur une hypothèse d’évolution du taux des obligations assimilables du trésor (OAT) à 10 ans qui serait de 2,5 % fin 2022 et 3,0 % fin 2027. On peut craindre une hausse plus forte (ce taux était déjà de 2,7 % le 29.09.2022) et, si ce taux était supérieur de 2,0 points sur toute la période de projection, la charge d’intérêts atteindrait 94 Mde en 2027 soit 3,2 % du PIB.
On peut noter que les remboursements annuels d’emprunts, qui obligent à réemprunter pour le même montant, sont bien plus importants que les charges d’intérêts. Pour l’Etat, le montant inscrit dans le PLF pour 2023 s’élève à 157 Mde.
Peut-on encore croire à l’idée qu’un déficit budgétaire serait justifié par des dépenses publiques d’investissement, en somme qu’il y aurait de saines dépenses publiques ?
La distinction souvent faite entre les dépenses d’investissement, par nature saines, et les dépenses de fonctionnement, par nature inefficaces, n’est pas pertinente. Certaines dépenses de fonctionnement sont économiquement des investissements pour l’avenir, comme les dépenses d’éducation qui sont très largement des frais de personnel, et certains investissement, par exemple dans des infrastructures inutilisées, ne sont pas de saines dépenses. En outre, les administrations peuvent louer des équipements à des entreprises et, dans ce cas, les administrations comptabilisent une dépense de fonctionnement et les entreprises une dépense d’investissement, ce qui montre le côté artificiel de cette distinction.
Le déficit et l’endettement publics peuvent être justifiés s’ils permettent de financer des dépenses, d’investissement ou de fonctionnement, qui contribuent à relever suffisamment le potentiel de production pour générer des recettes suffisantes pour assurer le remboursement et la charge d’intérêts des emprunts contractés. Pour s’en assurer, il faut évaluer ces dépenses et ne retenir que celles dont l’efficacité est avérée, mais les évaluations de dépenses publiques restent rares et les conclusions qui peuvent en être tirées ne sont pas toujours suivies par les décideurs. ■