“Porno : l’enfer du décor”. Pour ce rapport inédit, Annick Billon (UC, Vendée), présidente de la délégation, Alexandra Borchio Fontimp (LR, Alpes-Maritimes), Laurence Cohen (CRCE, Val-de-Marne) et Laurence Rossignol (SER, Oise), membres de la délégation aux droits des femmes n’ont pas ménagé leur peine. Après plus de six mois de travaux, des dizaines d’heures d’auditions dont certaines « éprouvantes » et une analyse des principaux contenus pornographiques en ligne, les quatre sénatrices ont rendu un rapport qualifié de « bombe » par l’une d’entre-elles. Ce qu’elles ont vu et entendu révèle ce que cette industrie du porno a de terrible et de révoltant.
Tout part de l’explosion de l’offre pornographique sur Internet depuis les années 2000 avec l’apparition des « tubes », grandes plateformes numériques de diffusion de dizaines de milliers de vidéos X dont le modèle économique est principalement fondé sur la génération d’un trafic massif, grâce à des contenus gratuits et souvent piratés et la vente d’espaces publicitaire. Un peu plus tard, au milieu des années 2010, se sont aussi ajoutés aux réseaux sociaux et messageries privées, les plateformes de partage de contenus à caractère sexuel. Tous « sont devenus de nouveaux vecteurs de diffusion de contenus pornographiques » participant à la massification de la diffusion du porno sur Internet. Or, cette explosion de la consommation, en plus de créer un phénomène d’accoutumance « a contribué à la recrudescence de contenus de plus en plus « trash » et violents sans aucun contrôle ni considération pour les conditions dans lesquelles ces contenus sont produits » constatent en le déplorant les élues. Selon plusieurs études citées dans le rapport, 90 % des scènes pornographiques comporteraient des scènes de violence, physique et verbale. « Elles ne sont pas simulées mais bien réelles pour les femmes filmées » précisent les corapporteures. Pour les quelques multinationales propriétaires des « tubes » et les producteurs de X., les enjeux financiers colossaux de « plusieurs milliards » autour de ce business justifient alors cette absence de compassion et de respect pour ces femmes. Dans le collimateur des sénatrices, l’exploitation de la vulnérabilité économique et psychologique de femmes jeunes, voire très jeunes ; les producteurs n’hésitent pas à user d’intimidation et de violence pour faire accepter à « leurs » actrices des pratiques non consenties. Les récentes affaires judiciaires dans le milieu du X de ces derniers mois ont d’ailleurs montré des similitudes dans le modus operandi de ces réseaux : recrutement de jeunes femmes précaires et fragiles, premier viol « de soumission », processus de déshumanisation, manipulation, chantage, actes sexuels forcés, partenaires multiples imposés, viols… « Oui, il y a des viols dans le porno, tout le monde doit l’intégrer » explique Annick Billon. Plusieurs des propositions sénatoriales cherchent la parade face à cette « violence systémique ». Mais sans naïveté. Les sénatrices ne visent ainsi pas à l’abolition de ces pratiques « non simulées » tant « ce marché est tellement opaque et en constante évolution qu’il est impossible de l’interdire » confesse Annick Billon interrogée par Franceinfo. Elles commencent donc par recommander de faire des violences sexuelles commises dans un contexte de pornographie un délit d’incitation à une infraction pénale (viol ou agression sexuelle). Elles aimeraient aussi voir imposer aux sites pornographiques des messages d’avertissement concernant les contenus violents, précisant qu’il s’agit d’actes sexuels non simulés, pouvant constituer des infractions criminelles pu délictuelles. Enfin, les élues souhaitent favoriser l’émergence de plaintes de victimes de violences commises dans un contexte de pornographie, « en améliorant les conditions d’accueil, en formant les forces de l’ordre au recueil des plaintes de ces victimes spécifiques et en instaurant le suivi de leur dossier par un contact unique ».
Très (trop) souvent, face à la volonté d’exercer leur « droit à l’oubli », les actrices se retrouvent confrontés à la mauvaise volonté et la malhonnêteté des producteurs qui commencent par exiger des contrats de cession de droit à l’image illimités avant d’exercer un chantage au retrait de la vidéo : « ils réclameraient entre 3 000 et 5 000 euros, soit deux fois plus que les rémunérations obtenues pour la scène tournée ». Contre ces manœuvres, les corapporteures proposent d’imposer aux diffuseurs, plateformes comme réseaux sociaux, des amendes face à toute diffusion de contenu illicite. Elles veulent aussi imposer aux plateformes de satisfaire gratuitement aux demandes de retrait des vidéos formulées par les personnes filmées, et non plus par les seuls propriétaires de vidéos.
« Le porno est aujourd’hui accessible à tous, gratuitement et en quelques clics, sans aucun contrôle » déplorent les élues en pensant bien évidement aux mineurs qui « sont massivement exposés aux images pornos volontairement comme involontairement » : 2/3 des enfants de moins de 15 ans et 1/3 des enfants de moins de 12 ans ont déjà eu accès à des images porno découvre-t-on avec appréhension. Et tout cela en violation totale de l’article 227-24 du code pénal (Des infractions sexuelles commises contre les mineurs). On sait surtout que les conséquences pour la jeunesse sont « nombreuses et inquiétantes » – les témoignages de spécialistes ne manquent pas sur le sujet : traumatismes, troubles du sommeil, de l’attention et de l’alimentation, vision déformée et violente de la sexualité, difficulté à nouer des relations avec les personnes du sexe opposé, (hyper) sexualisation précoce, développement de conduites à risques ou violentes, etc. (voir tribune ci-dessous) « Ces conséquences ne se limitent d’ailleurs pas au seul public mineur, le porno a également un impact sur les adultes, leurs représentation d’eux-mêmes, des femmes et de la sexualité » ajoutent les sénatrices. Pour faire « enfin » appliquer la loi sur l’interdiction d’accès des mineurs et protéger la jeunesse, elles recommandent d’assermenter les agents de l’Arcom (ex-CSA) afin de leur permettre de constater eux-mêmes les infractions des sites pornographiques accessibles aux mineurs. Jusque-là, l’Arcom devait faire constater par voie d’huissier l’infraction avant de faire des mises en demeure. Pour les sites pornographiques accessibles aux mineurs, l’Arcom devrait, selon elles, se voir aussi confier la possibilité de prononcer des sanctions administratives « aux montants dissuasifs ». Mais l’urgence est d’abord celle du contrôle de l’âge des consommateurs de vidéos pornographiques. Si à l’heure actuelle aucun système n’est pleinement satisfaisant, le rapport insiste pour que soit trouvés rapidement des dispositifs efficaces de vérification d’âge avec la mise en place d’un processus de certification indépendant. Et a minima, les sénatrices demandent que soit activé par défaut le contrôle parental lorsqu’un abonnement téléphonique est souscrit pour l’usage d’un mineur.
Au-delà de ces mesures, les corapporteurs souhaitent une plus grande information et sensibilisation au sujet, notamment au sein des établissements scolaires. « Il faut éduquer, éduquer, éduquer » insistent-elles. Elles souhaitent que soient justement abordés dans le cadre des séances d’éducation à la vie sexuelle et affective les sujets relatifs à la marchandisation des corps et à la pornographie. « une approche par la santé semble plus efficace auprès des adolescents qu’une approche moralisatrice ou culpabilisante » estiment-elles. Il serait aussi souhaitable de sensibiliser les parents aux dangers de la pornographie en menant une campagne de communication autour de la plateforme jeprotegemonenfant.gouv.fr. « Il y a urgence à trouver des solutions car des générations entières ont comme seule référence la pornographie » conclut Annick Billon qui assure que des suites législatives seront données à ce rapport. « Il y aura un avant et un après ». ■
19 millions de visiteurs uniques de sites porno chaque mois (17 M d’adultes, 1,1 M d’adolescents de 15 à 18 ans, 1,2 M d’enfants de moins de 15 ans)
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