Voilà un rapport qui fait presque l’unanimité contre lui : Les chasseurs s’estiment stigmatisés et les associations de défense de la nature trouvent pour leur part que le rapport ne va pas assez loin.
Après plusieurs accidents survenus au cours de chasses ces dernières années et semaines, le collectif « Un jour, un chasseur » avait lancé en fin d’année dernière une grande consultation publique. La pétition qui a recueilli 122 000 signatures demandait une plus grande sécurisation de cette pratique sportive. Le Sénat s’est alors saisi de la question en créant une mission de contrôle commune aux commissions des affaires économiques et des lois. Elle a rencontré plus de 170 personnes et a organisé cinq déplacements sur le terrain pour étudier toutes les demandes de la pétition dont l’instauration de jours sans chasse, de distances de protection autour des zones d’habitation ou d’un test d’alcoolémie et d’un relèvement de l’âge pour obtenir son permis.
Après enquête, les sénateurs, chiffres à l’appui, n’ont pu que faire le constat d’une baisse sensible du nombre d’accidents de chasse. Selon les dernières données de l’Office français de la biodiversité (OFB), depuis vingt ans, le nombre d’accidents de chasse a baissé de 46 % et le nombre de morts de 74 %. Pour la saison de chasse 2021-2022, l’OFB a recensé 90 accidents de chasse au total dont 8 mortels, « parmi ces derniers, deux ont concerné des victimes non chasseurs ». Pour autant, ces chiffres peuvent être relativisés comme le soulignent les anti-chasse qui rappellent que si le nombre d’accidents baisse, celui du nombre de chasseurs aussi.
Mais les sénateurs insistent : Selon le dernier rapport de l’Institut national de veille sanitaire (INVS) de janvier 2020, la chasse représente 4 % des accidents traumatiques liés au sport, dix fois moins que les sports de montagne. Sur la route, les collisions avec les animaux sauvages causent plus de victimes que la chasse. La part des accidents liés à l’alcool est également plus faible à la chasse (9 %) que sur la route (13 à 28 % selon les circonstances). « Néanmoins, chaque accident est un accident de trop et les accidents de chasse ont deux spécificités : l’utilisation d’armes à feu et le fait que 12 % des victimes soient des non-chasseurs » reconnaît Patrick Chaize (LR, Ain), rapporteur de la mission de contrôle. « Cependant, plus des deux tiers des accidents résultent de fautes graves enfreignant les règles élémentaires de sécurité » complète-t-il.
A la demande d’« Un jour, un chasseur » d’avoir des jours sans chasse (le mercredi et le dimanche) pour assurer la tranquillité des autres usagers et le « partage » de la nature, le Sénat a répondu non. Selon les rapporteurs, « cette idée de partage a une dimension d’exclusion de certains au profit d’autres à laquelle la plupart des fédérations de sport d’extérieur et de nombreux autres acteurs s’opposent », craignant un « saucissonnage de la nature ». « Si l’on commence à fractionner l’utilisation de l’espace forestier, sur la base d’une logique d’interdiction plutôt que de partage, vous ouvrez la voie à des journées sans VTT, sans équitation, etc ». argumente Patrick Chaize. Les chasseurs ont aussi rappelé à la mission « qu’ils ne monopolisent pas l’espace, les jours et lieux de chasse étant limités, qu’ils exercent souvent ce loisir sur leur propriété ou contre un loyer et qu’ils doivent réguler le gibier dont ils payent seuls les dégâts ». Arguments bien entendus par la mission qui n’a donc pas retenu de règle nationale uniforme d’interdiction tout en restant convaincue que localement « les demandes doivent être entendues ». Les rapporteurs donnent la possibilité aux préfets « de limiter les jours et horaires de chasse pour assurer la sécurité des personnes ». Ils suggèrent également de rendre obligatoire une déclaration préalable des battues au grand gibier, les plus accidentogènes.
La mission flash s’est ensuite penchée sur la consommation d’alcool et de stupéfiants dans le monde de la chasse. Chacun a à l’esprit les images du sketch des inconnus du « bon et du mauvais chasseur » les représentant complètement avinés et tirant n’importe comment. Une image qui colle à la peau des chasseurs. Mais une stigmatisation, en raison de l’attitude d’une toute petite minorité, très mal vécue. Très clairement les sénateurs déclarent bien évidemment nécessaire d’interdire la chasse en état d’ébriété ou après la prise de stupéfiants et proposent donc « d’aligner le taux d’alcoolémie retenu et l’interdiction des stupéfiants ainsi que leurs sanctions respectives sur les règles en vigueur en matière de code de la route ». En outre les agents de l’Office français de la biodiversité auront la possibilité de contrôler et de sanctionner les infractions.
Avec la volonté d’assurer toujours une plus grande sécurité à la fois des chasseurs et des usagers de la forêt, la mission entend mettre l’accent sur la formation des chasseurs. Au nombre des 30 propositions, il est ainsi suggéré de « renforcer l’examen du permis de chasser en rendant obligatoire la maîtrise des armes semi-automatiques et une épreuve de performance au tir ». Sans repousser l’âge d’obtention du permis de chasse, les sénateurs souhaitent généraliser le tutorat des jeunes permis lors de la première année de chasse et des chasseurs mineurs jusqu’à leur majorité. La mission propose encore d’aligner la chasse sur les sports se pratiquant avec une arme (tir sportif, ball-trap et ski-biathlon) et d’exiger un certificat médical annuel.
A la suite de la présentation du rapport de la mission flash, dans un communiqué, le président de la Fédération des chasseurs Willy Schraen s’est emporté contre « un mille-feuille de contraintes inadaptées et irréalistes » et des « propositions totalement exagérées et pour certaine stigmatisantes ». « Les opposants à la chasse en rêvaient, les sénateurs de la mission parlementaire l’ont fait ! a-t-il poursuivi. Ce rapport sur la sécurité à la chasse avec ses 30 propositions liberticides a oublié d’en mentionner une 31ème : interdire tout bonnement la chasse ! ce qui reviendrait au même et serait plus sincère de la part de ces sénateurs sous influence des anti-chasse ».
Les associations anti-chasse ne sont pas plus satisfaites de ces conclusions. Neuf d’entre elles ont dans un communiqué commun dénoncé « un rapport indécent ». Ces mêmes associations sont d’ailleurs restées bouche bées lorsqu’elles ont découvert la proposition sénatoriale d’introduire dans le code pénal « un délit d’entrave au déroulement d’activités sportives ou de loisir légales ». La mesure cible principalement les opposants aux chasses à courre qui jusqu’à maintenant étaient sanctionnables d’une contravention et qui à l’avenir pourraient encourir une peine d’un an de prison. Pour le sénateur Daniel Salomon qui avec ses collègues écologistes a refusé d’adopter le rapport, cette mesure « ne semble pas aller dans une volonté de consensus ou d’apaisement ». « C’est carrément une entrave au droit de manifestation ! » a vertement reproché Guillaume Gontard, le président du groupe écologiste, solidarité et territoires au Sénat. « Nous avons proposé un dispositif équilibré qui protège à la fois les usagers et les chasseurs : une déclaration préalable obligatoire des zones de battue d’un côté et un délit d’entrave de l’autre, pour éviter que les pratiquants ne soient empêchés » a répliqué Patrick Chaize reconnaissant toutefois que « le terme d’entrave est peut-être mal choisi, un peu exagéré ».
Ce rapport devrait faire l’objet prochainement d’une proposition de loi qui sera sans aucun doute très discutée. ■
4 % des accidents du sport
-46 % d’accidents de chasse en 20 ans
-74 % de morts à la chasse en 20 ans
La chasse en France* :
27 800 d’emplois en équivalent temps plein. A titre comparatif, le tennis en France en 2012 représentait 18 100 emplois.
1,03 millions de pratiquants en France.
25 750 de ces pratiquants sont des femmes.
2 168 euros en moyenne dépensés par saison. 12 % sont liés à l’exercice de la chasse, 41 % liés au territoire et 47 % à la pratique de la chasse.
8,2 millions d’euros de dégâts évités du fait de l’engagement des chasseurs, car ils contribuent à la limitation des dégâts de grand gibier.
50 millions d’euros d’indemnisations des dégâts et protection aux cultures payés par les chasseurs aux exploitants agricoles (en moyenne sur les 10 dernières années).
381 millions d’euros de plus-value apportés par les chasseurs en France.
*Etude BIPE 2015 sur le poids économique de la filière « Chasse ».