“Alors que la France est l’un des pays de la zone euro dont le taux d’endettement public est le plus élevé, une plus grande efficience des dépenses de Sécurité sociale (qui représentent 35 % du PIB, soit 813 Mde en 2020) est nécessaire pour réduire le poids de n’endettement public”. Aussi après avoir analysé la trajectoire financière de la Sécurité sociale, les magistrats financiers proposent dans leur rapport annuel « une clarification de la structure de ses recettes ».
Dans son rapport, la Cour commence par reconnaître qu’en dépit des dépenses exceptionnelles liées à la crise sanitaire (tests de dépistage, vaccination) « plus élevées que prévu », le déficit de la Sécurité sociale « s’est fortement réduit en 2021 » (24,3 Mde contre 39,7 Mde en 2020), « grâce au redémarrage de l’activité économique, mais aussi de la comptabilisation sur 2021 de recettes de prélèvement sociaux se rattachant à 2020 (5 Mde) ». Toutefois les magistrats financiers émettent une petite réserve. Si en 2022, le déficit se réduirait à nouveau (à près de 18 Mde), « sa diminution serait entièrement imputable à la baisse des dépenses liées à la crise, à nouveau sous-estimées ». « La croissance des recettes serait entièrement absorbée par la dynamique des dépenses hors-crise » insistent-ils. En 2023, selon les prévisions, le déficit continuerait de se réduire (à près de 7 Mde). Mais nouveau bémol de la Cour, « les dépenses d’Assurance maladie, notamment celles liées à la crise (1 Mde), pourraient être sous-estimées ». La Cour estime en effet une facture de la crise du Covid à plus de 11 milliards en 2022. « Il serait raisonnable de provisionner davantage » recommande donc le premier président de la Cour, Pierre Moscovici. Et à partir de 2024, le déficit remonterait pour atteindre près de 12 Mde en 2026. Une hausse « d’autant plus préoccupante qu’elle tient compte de prévision optimistes de croissance économique pour 2024, 2025 et 2026 (1,6 % à 1,7 %) » souligne la Cour. « La pérennisation du déficit de la Sécurité sociale crée le risque d’une croissance continue de l’endettement social (environ 160 Mde prévus fin 2022), au détriment des générations futures » s’alarme Pierre Moscovici.
Première interrogation financière de la Cour, le système conventionnel qui tient une part non négligeable dans les dépassements de l’objectif « soins de ville ». Ainsi, de 2010 à 2021, hors médicament et dépenses de biologie, les dépenses de soins de ville ont progressé en moyenne annuelle trois fois plus vite que l’inflation. Entre 2015 et 2019, plus de la moitié de l’augmentation de 15 Mde des dépenses de prestation de soins de ville est due aux honoraires médicaux et dentaires pour 5 Mde aux honoraires paramédicaux pour 3 Mde et aux dépenses de laboratoires pour 0,4 Mde. « Alors que la croissance des dépenses de soins de ville a systématiquement excédé les objectifs depuis 2015, l’instrument conventionnel a été peu mis au service de la maîtrise des dépenses d’assurance maladie » regrette la Cour qui recommande d’accroître notamment la part forfaitaire de la rémunération des médecins généralistes qui reste majoritairement payé à l’acte et d’introduire une part forfaitaire dans la rémunération des autres professions, ou d’accroître son niveau.
Comme sujet mettant en évidence la nécessité d’engager des réformes, dans son rapport, la Cour s’est tout particulièrement intéressée à l’imagerie médicale qui n’avait fait jusque-là l’objet d’aucune enquête. Si le secteur de l’imagerie médicale se développe sous l’effet de l’arrivée de techniques innovantes, « elle souffre d’une activité hospitalière en difficulté croissante, en raison d’une préférence accrue des radiologues pour l’exercice libéral et d’une répartition territoriale inégalitaire » analyse la Cour. Dans le collimateur des magistrats les radiologues libéraux qui ont généré 4,5 Mde de dépenses en 2020. Spécialité médicale « particulièrement rémunératrice », les dépenses relatives aux actes d’imagerie médicale réalisés en ville augmentent « à un rythme soutenu » tandis que l’hôpital a de plus en plus de mal à retenir ses radiologues (en 2021, 46 % des postes budgétaires de radiologues à plein temps étaient vacants contre 41 % en 2015) tentés par la rémunération en ville, et l’absence de contraintes de garde et d’astreintes. Pour tenter d’apporter un peu d’harmonie dans ce secteur, la Cour suggère que soit alors signé, entre l’assurance maladie et les syndicats représentatifs des radiologues, « un protocole d’accord pluriannuel fixant le volume et le montant des actes ». « En cas de dépassement de ces montants, l’Union nationale des caisses d’assurance maladie devrait avoir la possibilité d’ajuster les tarifs unitaires des actes pour garantir une évolution maîtrisée des dépenses » poursuit-elle. « Ce mode de régulation pourrait aussi s’appliquer aux autres professionnels de santé pratiquant des échographies. La radiothérapie demanderait aussi que l’on s’y intéresse » indique le rapport de la Cour. Spécialité médicale de traitement du cancer en forte croissance, elle est utilisée dans plus de 50 % des nouveaux cas de cancer (207 000 patients en 2020) et s’effectue essentiellement en ambulatoire (98 %). « Le montant des dépenses financées par l’Assurance maladie s’élevait à 1,5 Mds e en 2020, ce qui représente 8 % des dépenses de traitement du cancer et 0,7 % de la dépense courante de santé » indique le rapport. L’offre de soins de radiothérapie est partagée, pour l’essentiel, entre 82 services hospitaliers, publics ou non lucratifs, et 81 cabinets libéraux. La Cour recommande d’appliquer les mêmes modalités de tarification de l’activité à l’hôpital et en ville, « les même soins y étant délivrés ».
Autre piste d’économies formulée par la Cour, celle qui vise à une plus grande maîtrise des arrêts pour accidents de travail ou maladie professionnelle dans le secteur médico-social (Ehpad, foyers de personnes en situation de handicap, …). Dans ce secteur, le nombre de journées de travail perdues du fait d’accidents de travail ou de maladies professionnelles
(AT-MP) est « trois fois supérieur à la moyenne constatée pour l’ensemble des secteurs d’activité en France ». Ce nombre, surtout dans le secteur privé commercial pour personnes âgées, a ainsi atteint 3,5 millions en 2019, en augmentation de 41 % par rapport à 2016 et correspond à 17 000 postes équivalents temps plein par an. La Cour émet donc plusieurs recommandations visant à réduire la fréquence des ces accidents de travail mais aussi pour augmenter l’attractivité du secteur et améliorer la qualité des services rendus aux usagers.
La Cour recommande enfin de réformer les droits destinés à compenser notamment pour les mères, l’effet sur les retraites des interruptions d’activité professionnelles liées à la naissance et à l’éducation des enfants. Aujourd’hui, ces droits bénéficient à environ neuf millions de retraités, pour un montant de 20 Mde. Ils consistent à attribuer des trimestres de retraite, ou bien à prendre en charge des cotisations pour les périodes d’inactivité liées à l’éducation des enfants, ou encore à majorer directement la pension de retraite servie. La Cour s’est penchée sur la pertinence des trois principaux dispositifs : les majorations de durée d’assurance pour enfant (MDA), les majorations de pensions pour parents d’au moins trois enfants (MPE) et l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) aux règles « complexes et variables ». « Il apparaît nécessaire de recentrer ces droits familiaux sur des objectifs explicites, de les simplifier et de rechercher une meilleure harmonisation entre les différents régimes de retraite » explique la Cour. Mais au-delà des mesures techniques qu’elle suggère, la Cour insiste pour engager une réforme plus vaste et profonde. « Sans dépenses supplémentaires, elle viserait principalement à compenser, de manière plus ajustée (moins d’attribution de trimestres, plus de majoration de pension), l’impact sur les droits à retraite des interruptions d’activité liées à l’éducation des jeunes enfants, notamment pour les pensions les plus faibles, tout en préservant des droits spécifiques à partir de trois enfants » indiquent les magistrats financiers. ■