Après une première étape en 2011, l’action commune de Koronivia, a été lancée lors de la COP23 en 2017 et a abouti lors de la COP27 de Charm El Cheikh en 2022. Le texte final qui y a été adopté reconnait à la fois l’importance des enjeux d’adaptation de l’agriculture au changement climatiques et les enjeux d’atténuation. A cours du processus de négociation, l’Inde s’est montrée particulièrement réticente à voir figurer dans le texte final le terme d’atténuation, dans la mesure où les enjeux d’atténuation ne doivent pas, pour ce grand pays agricole, entraver la sécurité alimentaire des pays en développement. Un vote en plénière, à l’unanimité, arraché de justesse grâce à l’intervention de la Présidence égyptienne, acte désormais la poursuite des discussions pour quatre ans dans le cadre de « l’initiative quadriennale commune de Charm el-Cheikh sur la mise en œuvre d’une action climatique pour l’agriculture et la sécurité alimentaire », sans toutefois que des orientations précises ne soient préconisées. Le texte final ne promeut ni l’agroécologie ni l’agriculture climato intelligente (climate smart agriculture), davantage tournée vers la promotion de solutions technologiques ; le texte n’inclue pas non plus les systèmes alimentaires (qui renvoient à la problématique de la distribution, du gaspillage et des régimes alimentaires). Toutefois, le texte envoie un message politique fort : alors que le secteur agricole est un secteur particulièrement émetteur, seulement 2 % de la financement climatique lui est dédié, l’action commune de Koronivia constitue donc un appel aux financeurs internationaux et nationaux, publics et privés, afin de cibler davantage leurs actions vers le secteur agricole.
Ce chiffre contraste en effet avec les 37 % des émissions mondiales de Gaz à Effet de Serre (GES), en incluant la déforestation (GIEC, 2022), que représentent l’agriculture et les systèmes alimentaires. D’autant plus que le secteur des terres constitue un levier pour le développement de stratégies d’atténuation des GES en séquestrant 29 % des émissions totales de gaz à effet de serre, et que l’agriculture possède en outre un potentiel très élevé de réduction de ses propres émissions (75 %). Enfin et surtout, alors que l’agriculture est une des principales victimes du changement climatique, essentiellement dans les pays tropicaux et du pourtour méditerranéen.
Certes, l’agriculture a toujours au pour vocation d’anticiper les aléas climatiques. Mais quand ceux-ci deviennent la règle, l’impératif devient la résilience rapide des systèmes de production agricole et alimentaire. Des politiques publiques d’adaptation ambitieuses et efficientes peuvent aider à assurer cette transition. Mais de quelle efficience parle-t-on ? Des politiques publiques ont déjà largement été déployées au Nord et au Sud. Rappelons que près de 90 % des contributions volontaires déposées par les Etats suite aux Accords de Paris présentent l’agriculture comme un secteur clé pour répondre aux enjeux climatiques.
A l’heure où ces politiques devraient donc connaitre un regain, il faut toutefois tirer des leçons sur l’efficience des tentatives de la décennie précédente. A partir des études comparatives que nous avons menées dans une dizaine de pays du Nord et du Sud, quelques résultats majeurs méritent attention qui vont parfois à rebours des discours dominants sur l’adaptation. Ils appellent quoi qu’il en soit à reconsidérer l’architecture des dispositifs.
Devant l’urgence, les instruments contraignants peuvent être efficients, sous condition de leur judicieuse combinaison avec des instruments incitatifs et communicationnels
Depuis trois décennies, il était de bon aloi de déclasser le classique interventionnisme réglementaire au rebu de l’inefficience politique : considérés comme autoritaires, il a peu à peu été décidé de le supplanter par des instruments plus ’doux’ pour répondre aux enjeux environnementaux puis climatiques : des incitations financières (subventions…) et des outils communicationnels et de négociation (contrats souples, informations climatiques et/ou scientifiques, labels…). La première leçon est que cette opposition est stérile. Les enquêtes menées, au Nord comme au Sud, sont sans appel : les instruments les plus efficients sont, le plus souvent, des combinaisons d’instruments associant à la fois incitations, conditionnalités réglementaires contraignantes, négociations et informations climatiques. L’accès aux et l’usage des ressources (terre, eau, forêt) doit être réglementé, voire interdit, pour redevenir vertueux, mais tout en accompagnant techniquement et financièrement, et peut-être surtout en négociant minutieusement la mise en œuvre des nouvelles pratiques avec les réalités environnementales et économiques locales. Autrement dit, non seulement les instruments réglementaires n’ont pas disparu du paysage, mais ils font partie intégrante de la solution.
Ce souci de la mise en œuvre adaptative est indispensable mais certainement pas suffisant : il serait vain sans s’accompagner d’une impérative sobriété institutionnelle.
Renforcer des services d’appui l’agriculture focalisés vers des politiques agricoles adaptées au changement climatique : vers une sobriété institutionnelle et instrumentale
Nos études débouchent sur deux constats récurrents : les effets des plans, dispositifs, projets en faveur de l’adaptation de l’agriculture au changement climatique sont souvent aussi négatifs que contradictoires. D’une part, ils sont peu mis en œuvre ou font l’objet d’un fort taux de non recours de la part de leurs cibles potentielles. D’autre part, ils se démultiplient au point d’obscurcir leur cohérence et leur efficience. Plutôt que d’alimenter cette inflation de dispositifs, qui plus est à coûts constants, il convient donc au contraire de prioriser les capacités financières vers les organisations publiques qui portent les instruments de transition existants afin de consolider l’efficacité, jamais contredite, du service public d’appui à l’agriculture (Conseil agricole pour l’innovation, Chambre d’agriculture…), notamment dans les Suds. D’autre part, il s’agit d’enrôler massivement les acteurs privés (agriculteurs, banques, organisation de filières, agro-industrie…) dans la logique climatique de façon à financer prioritairement des politiques agricoles focalisées sur ces objectifs. Enfin, cette sobriété négociée doit s’intégrer dans une planification territorialisée cohérente. La sobriété institutionnelle demande en effet de simplifier grandement le paysage des compétences, aides et canaux d’appui et de financements. Les études montrent en effet que trop souvent, localement, les politiques, les projets, les instruments, empilent, voire mettent en concurrence les objectifs et les financements.
Telle est la seule issue efficiente pour hisser les politiques d’adaptation de l’agriculture au changement climatique à la hauteur de l’urgence et de l’enjeu. Car si la dernière COP a fait de la transition agricole une priorité, encore faudrait-il ne pas oublier que la gouvernance est la clé majeure d’une mise en œuvre efficiente des instruments mis à disposition de l’avenir de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire mondiale dans ce contexte d’urgence climatique. ■
Cette réflexion s'inscrit dans le cadre du programme de recherche TYPOCLIM (ANR-16-IDEX-0006)