*François-Xavier Pietri, journaliste économique, a été directeur de la rédaction du quotidien La Tribune, avant de diriger les services économie de TF1 et de LCI. Co-fondateur de l’émission « Capital » sur M6, il a longtemps animé « La bourse en actions » puis « Le club de l’économie » sur LCI.
Un fil à la patte
L’automobile, c’était la liberté, l’électrique, c’est la contrainte, une menace pour la liberté de circuler. En France, près de 83 % des déplacements (en kilomètres parcourus) s’effectuent en voiture, dont la moitié pour aller travailler. Loin, très loin devant les transports publics (11 %) ou le vélo (1 %), qui arrive derrière la marche… La voiture correspond à un besoin (travail, école, courses), la partie la plus utilitaire de l’usage d’un véhicule. Mais elle est aussi devenue l’instrument des loisirs, né des congés payés. Celui, aussi, de la liberté fondamentale, comme l’a montré le douloureux épisode de la pandémie. Pendant des semaines, la voiture a été le seul moyen de se déplacer en France, quand les trains, les avions, les bus et tous les autres transports publics étaient à l’arrêt. C’est cette liberté que menace l’électrique, par la complexité des trajets qu’elle met en oeuvre.
Parisien, vous rêvez, à bord de votre Zoé, de partir en amoureux pour La Baule, en vous offrant au passage quelques visites délicieuses, la majesté du château royal d’Amboise, les jardins de Villandry, le bijou Azayle - Rideau, la splendeur de l’abbaye de Fontevraud, pourquoi pas plus tard une halte à Saumur, avant de rejoindre Nantes et enfin la plage… ? Oubliez.
Ces 600 et quelques kilomètres de trajet, même en deux jours, deviendront vite un cauchemar, à force de calculs d’étapes, de recherche de bornes de recharge sur votre appli, de temps perdu à coups de 40 minutes, voire 1 heure, planté à côté d’une prise, à condition qu’elle ne soit pas en rade… Fini le plaisir de baguenauder. [… ]
Les plus riches pourront conduire… plus loin
En somme, plus la voiture est chère, plus elle dispose d’autonomie. Concept pour le moins curieux qui veut que les plus riches pourront conduire plus loin et plus longtemps que les plus modestes ! Avant, le prix fort traduisait surtout le luxe des finitions, la puissance, le confort, le look, la marque… mais pas l’autonomie.
Etrange conception de la liberté. Elle s’explique par un fait tout simple : la batterie est, de loin, ce qui coûte le plus cher (40 à 50 % du prix de revient du véhicule).
En attendant, le consommateur lambda se contentera donc de ses 300 kilomètres en moyenne – ce qui représente environ la moitié d’un véhicule thermique –, en priant pour que cette autonomie soit respectée. Parce que là encore, rien n’est moins sûr que les promesses, toutes théoriques, faites sur catalogue par le constructeur.
C’est d’ailleurs une autre curiosité de l’électrique. Tout concourt à épuiser une batterie, dans des proportions bien plus gigantesques qu’une conduite inappropriée en voiture thermique. La moindre accélération, la moindre vitesse rapide, le moindre dépassement des
110 km/h sur l’autoroute provoquent une chute spectaculaire de l’autonomie.
Oubliez aussi votre confort ! La climatisation l’été, un luxe qui appartient au passé. Le chauffage l’hiver, une quasi-incongruité. Qu’il s’agisse du froid ou du chaud, les deux pompent vertigineusement les capacités de votre pile. Au point que les constructeurs ont souvent prévu un système de mise en route de la climatisation ou du chauffage à domicile, l’idée étant de refroidir ou de préchauffer votre voiture au garage, pendant que la batterie est en charge… Ou un chauffage des sièges, beaucoup moins énergivore, paraît-il, que la traditionnelle soufflerie.
Si possible, évitez d’habiter les massifs montagneux – l’électrique n’aime pas les côtes – ou les régions froides : un véhicule garé la nuit dans une rue où la température passe en dessous de 0 degré peut perdre jusqu’à 15 % de son autonomie. Même la chaleur a un impact sur la performance de la batterie. C’est aussi vrai des éléments de sécurité (phares, essuie-glaces) qui pompent de l’énergie dans des proportions sans rapport avec leur impact sur la consommation de votre ancienne voiture qui roule au super. La multiplication de ces pièges à énergie rend plus qu’aléatoire l’autonomie annoncée par votre constructeur. [… ]
Le parcours du combattant de la recharge
La liberté qu’offre l’automobile telle qu’on l’a connue depuis le début du siècle est d’aller et venir sans se préoccuper, ou presque, de la proximité d’une station service.
Rien de plus simple que de se servir à la pompe pour faire son plein. Avec l’électrique, oubliez cette simplicité. Vous allez entrer dans la jungle des bornes de recharge. Des centaines de possibilités, des abonnements à payer, des réseaux différents et concurrents, des données techniques à assimiler.
On comptait en France, début 2022, pas moins de 700 opérateurs de recharge. Avec à la clé, pour mieux aiguiser la concurrence – et embrouiller l’automobiliste – quelque 1 300 formules de prix différentes ! [… ]
La recharge à géométrie variable
Mais ce n’est pas tout. Comme si la jungle des opérateurs ne suffisait pas, il va falloir compter avec d’autres critères. Sachez, par exemple, que plus la batterie est puissante, plus le temps de recharge est long. C’est logique, et déjà le cas avec la capacité du réservoir de votre véhicule thermique, sauf que les échelles de temps ne sont pas les mêmes. Dans le premier cas, on parle de dizaines de minutes au mieux, dans le second, de minutes au pire.
Sachez aussi que la vitesse de la recharge dépend du chargeur interne dont est équipé votre véhicule, que le temps de recharge s’allonge s’il fait chaud, qu’il dépend du type de courant « servi », alternatif ou continu, que certaines voitures n’acceptent qu’un type de courant, que la puissance de la recharge peut chuter selon la qualité du câble dont vous disposez, que le système de contrôle des batteries qui équipe les bornes peut décider du volume et du temps de la recharge… On continue ?
Qu’il était bon le temps où il suffisait de sortir son cash ou sa carte bleue pour payer son plein, de placer son pistolet dans le conduit du réservoir et d’attendre quelques minutes, sans surprises sur la facture… [… ]
Ouvriers, votre job va être foudroyé
Le constat est implacable. Là où cinq ouvriers s’activaient sur une chaîne de montage pour produire un véhicule thermique, qu’il soit à essence ou au diesel, trois suffiront demain pour fabriquer une voiture électrique du même modèle. Et encore. On n’évoque là que les ateliers ultramodernes des grands constructeurs.
La destruction d’emplois sera beaucoup plus massive si on se penche sur les soutiers, ceux qui produisent jusqu’à 80 % des pièces nécessaires à la fabrication d’une voiture thermique. On les appelle les équipementiers, plus particulièrement ceux qui, aujourd’hui encore, fabriquent des culasses, des pots d’échappement, des carburateurs et autres boîtes de vitesses…
Objets devenus parfaitement inutiles demain. Il suffit de soixante-dix pièces différentes pour construire un moteur électrique, contre près de trois cents pour un thermique…
De l’autre côté de la chaîne, une fois la voiture électrique sur la route, pas de chance, il faudra aussi compter les victimes de la casse sociale. Les milliers de garagistes et de concessionnaires, qui n’auront pratiquement plus de réparations et d’entretien à faire. Quant aux casseurs, qui devront déconstruire de la batterie, c’est une autre paire de manches que le recyclage d’un moteur. Sans parler des stations-service qui devront se reconvertir en gestionnaires de bornes de recharge, avec deux ou trois fois moins d’emplois à la clé.
Tous les observateurs s’accordent sur ce point, c’est une catastrophe sociale qui s’annonce pour une industrie tout entière. La bascule d’un modèle à l’autre, en à peine une demi-génération, va signer l’arrêt de mort de centaines de métiers et de dizaines de milliers d’emplois.
De l’amont à l’aval, en partant de l’épicentre que constituent les chaînes de montage, des dizaines de milliers d’entreprises sont concernées, celles qui travaillent depuis des décennies dans l’ombre des constructeurs, ou celles qui servent les automobilistes et entretiennent leurs voitures. [… ]
Le « quoi qu’il en coûte » de l’électrique… et ce qu’il va nous en coûter
Pour chaque euro que vous dépensez en carburant, plus de 50 centimes tombent directement dans les caisses de l’Etat. Une manne fiscale qui fait atterrir chaque année quelque 40 milliards d’euros dans les coffres du ministère de l’Economie. Un montant phénoménal qui représente la quatrième recette fiscale du pays, derrière la TVA, les prélèvements sociaux (CSG, CRDS…) et l’impôt sur le revenu. Pour donner un ordre de grandeur, c’est l’équivalent du budget annuel du ministère de la Défense, donc du fonctionnement de nos armées. Ou encore le double de ce que rembourse chaque année la France pour honorer les intérêts et le principal de sa dette faramineuse. Autant dire que pour l’Etat, se priver de cette ressource est absolument inenvisageable.
40 milliards d’euros de taxes à retrouver
Pourtant, le sujet est soigneusement mis sous le boisseau. Quand le tout-électrique aura définitivement enterré le thermique, dans quelles poches les experts de Bercy vont-ils puiser ces 40 milliards ? Le sujet va vite devenir brûlant. Aujourd’hui, la taxation du carburant se fait notamment au nom d’une écologie punitive. C’est d’ailleurs un projet d’augmentation de la TICPE (Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) qui avait provoqué la crise des Gilets jaunes.
Depuis ce coup de chaud, son montant est gelé. Il faut dire qu’elle représente à elle seule quelque 40 % du prix à la pompe et rapporte pas moins de 33 milliards d’euros. À cette TICPE s’ajoute logiquement la TVA prélevée sur le prix du produit pétrolier proprement dit, l’essence ou le gazole. Mais pas seulement : l’imagination fiscale de l’Etat a voulu que la TVA s’applique aussi sur… la TICPE.
En somme, on taxe une taxe, spécificité bien française. L’accumulation de ces tranches d’impôts successives produit un sandwich qui pèse lourd sur l’estomac du contribuable : au bout du compte, 55 % du montant payé à la pompe atterrit directement dans le portefeuille de Bercy. Même avec une TICPE gelée, le montant de la manne fiscale du carburant augmente régulièrement, la TVA s’appliquant à un prix du pétrole qui n’a cessé de grimper ces dernières années. L’alignement de la fiscalité du diesel sur celle de l’essence, revendiquée par le candidat Macron en 2017 au nom de la lutte contre les particules fines, a rapporté une quinzaine de milliards d’euros au cours du premier quinquennat du président. Car, bien sûr, l’alignement s’est fait par le haut – personne n’a imaginé un instant qu’il puisse se faire par le bas, avec une baisse de la fiscalité sur l’essence… Qui va combler le manque à gagner demain ? Dans les sphères de l’Etat, on se garde bien d’évoquer un sujet aussi explosif. Aujourd’hui, la voiture électrique est l’objet de toutes les attentions. Et, partant, de dépenses somptuaires pour réussir à l’imposer face au thermique. C’est le « quoi qu’il en coûte » électrique. Là encore, les chiffres donnent le tournis. D’abord, avec les coups de pouce à l’achat d’un véhicule dit propre. Depuis le début du premier quinquennat Macron, le carnet de chèques a chauffé. [… ] ■
© Voiture électrique : ils sont devenus fous ! - François-Xavier Pietri
Avec l’aimable autorisation des Editions de l’Observatoire