Parfois même les mêmes éléments ou arguments (comme le rapport du COR) sont utilisés pour soutenir une position ou son exact opposé.
Difficile d’y voir clair.
Pourtant, certains éléments restent purement objectifs.
Faut-il faire une réforme des retraites ?
Il y a une réalité incontestable qui est celle de la démographie.
De 4 actifs pour un retraité dans les années 1970, nous sommes aujourd’hui à 1,7 actif pour un retraité.
Si l’on observe le ratio senior / population en âge de travailler, on constate que le ratio des plus de 60 ans rapporté aux adultes de 20 à 60 ans s’élèvera à 1,3 en 2050. Nul besoin d’être démographe ou statisticien pour comprendre que c’est intenable, sauf à ce que chaque salarié accepte que la moitié de son salaire lui soit prélevé pour financer les retraites.
Si l’on observe le même ratio avec un curseur placé à 65 ans, on constate que le ratio s’élèvera à 1,8 jusqu’en 2070, ce qui est beaucoup plus soutenable.
On sait par ailleurs que tous les autres pays d’Europe ont un âge de départ entre 65 et 67 ans et que la tendance générale est à une augmentation de cet âge légal.
La France bénéficiant d’une démographie (légèrement) plus favorable a pu retarder un peu plus sa décision, mais elle ne pourra plus le faire bien longtemps.
La durée moyenne passée à la retraite est supérieure en France de 4 années en moyenne aux autres pays européens avec des retraites pourtant nettement supérieures. Le taux de remplacement en France est de 74 % en France contre 63 % dans l’Europe des 28 (OCDE).
La durée moyenne passée à la retraite par les personnes en carrière longue est de 27 ans et 4 mois (Source CNAV). Peut-on sérieusement dire que l’on travaille « jusqu’au tombeau » ?
25 % des personnes en cumul emploi retraite sont d’ailleurs des carrières longues.
Est-il urgent de faire la réforme dès 2023 ?
2022 et probablement 2023 seront des années qui montreront des excédents, en particulier pour le secteur privé, et spécialement à l’AGIRC (5 milliards d’euros en 2022).
Sans prendre en compte les 30 milliards payés par l’état pour « équilibrer » chaque année les retraites de la Fonction publique.
Faire la réforme en 2023 ou 2024 n’a donc pas d’impact fondamental.
En revanche, puisque le gouvernement considère qu’elle doit être faite dans le quinquennat, pour les raisons démographiques évoquées, il n’a pas de raison d’attendre.
La réforme est-elle juste ?
La première chose que l’on constate, est le nombre (et le coût) significatif des mesures sociales.
C’est d’ailleurs la première fois qu’une réforme des retraites alloue une part aussi significative des « gains » à une redistribution aussi forte.
• 40 % de départs anticipés avant l’âge légal de 64 ans !
• Retraite minimum à 1 200 euros pour une carrière complète (on peut très bien avoir une carrière complète en ayant eu des interruptions de carrière, notamment pour les femmes et les carrières hachées).
• Faciliter l’accès au minimum vieillesse (rehaussement du plafond de reprise sur succession de 30 000 à 100 000 euros)
• Prise en compte de 4 trimestres du congé parental dans les carrières longues
• Création d’un compte épargne temps universel pour favoriser l’arrêt d’activité avant l’âge légal (CETU).
• Prise en compte des TUC
Et d’autres encore...
Dans un sondage Odoxa pour les Echos, testant toutes ces mesures auprès des français, ils y sont à 80 % favorables !
Sans surprise, ce n’est pas le cas pour le passage de l’âge légal à 64 ans.
Ce recul de l’âge légal est en principe balancée par le maintien des carrières longues à 62 ans, des carrières très longues à 60 ans et des carrières « très très longues » à 58 ans.
Si 40 % des Français partent dans ces dispositifs (contre 21 % aujourd’hui), alors on pourra dire que l’objectif de protection des travailleurs ayant commencé jeunes (qui correspondent en grande partie aux métiers pénibles) est en grande partie atteint.
Le problème, et il est de taille, c’est que dans la réglementation actuelle, tous les trimestres ne sont pas décomptés dans les trimestres permettant la carrière longue.
En particulier, seuls 4 trimestres de chômage maximum peuvent être pris en compte.
Autrement dit, une personne ayant commencé à travailler à 18 ou 20 ans mais ayant eu des périodes de chômage supérieures à 1 an au cours de sa carrière risque de se voir exclue de la carrière longue.
C’est évidemment injuste et il est important que les parlementaires modifient cette règle si on veut que 40 % des Français partent en carrière longue et que l’on puisse dire que la réforme prend vraiment en compte les carrières longues et pénibles.
Certains proposent d’augmenter les charges des entreprises pour financer le déficit. N’est-ce pas la solution ?
C’est une solution tentante. Mais pas la bonne.
Pendant des décennies, l’augmentation des charges est le choix qui a toujours été fait par les gouvernements de droite comme de gauche, en général sur les charges patronales (ça ne coute rien ce sont « les patrons » qui payent) et souvent sur des pourcentages annoncés comme faibles ou temporaires mais qui ne disparaissent jamais (comme la CRDS) ou augmentent fortement (comme le forfait social qui a commencé à 2 % pour monter ensuite à 20 %)
La vérité, c’est qu’à la fin, c’est le salarié qui paye !
Faut-il rappeler qu’aujourd’hui pour qu’un salarié touche 1 000 euros avant impôt, cela coute presque 2000 euros à l’entreprise ? Et si ce salarié gagne plus de 2 166 euros par mois, il est soumis à une tranche marginale de l’impôt de 30 %, il paye donc 300 euros d’impôt sur les 1 000 euros encaissés. 2000 euros de cout employeur pour 700 euros disponible en pouvoir d’achat (qui supporteront en plus une TVA allant jusqu’à 20 % équivalent à 117 euros de prélèvement additionnel) soit 583 euros de pouvoir d’achat réel.
La hausse des charges a désindustrialisé la France pendant 40 ans et pèse aujourd’hui sur le pouvoir d’achat.
La protection sociale est un « budget » de 850 milliards d’euros annuels (43 milliards seulement pour la justice en comparaison) pesant essentiellement sur le cout du travail.
Si la France veut continuer à offrir ce niveau de protection sociale, il faut augmenter la quantité de travail et non la diminuer.
Tout autre choix n’aurait d’autre effet que de diminuer à terme cette protection sociale.
Le taux d’emploi et les seniors au chômage.
L’analyse sérieuse des chiffres enseigne une réalité éloignée des croyances.
Le taux d’emploi des 55-59 ans en France est supérieur à celui de l’Europe des 27 !
C’est entre 60 et 64 ans qu’il baisse et est inférieur. Pour une raison très simple, 70 % des français ont pris leur retraite à 62 ans ou avant. Les français partent dès qu’il leur en est donné la possibilité (taux plein).
Et si le taux d’emploi a doublé en 20 ans, c’est suite aux mesures des précédentes réformes.
Selon les sources, entre 8 et 13 % des français sont au chômage au moment du passage à la retraite. On est donc loin du « 50 % des seniors sont au chômage ».
Pourquoi autant d’oppositions ?
Commençons par remarquer que les oppositions et les arguments sont exactement les mêmes qu’en 2010 pour la réforme Woerth qu’aucun projet sérieux ne remet en cause aujourd’hui.
Les français sont exagérément pessimistes sur la vision de leur situation personnelle. Deux chiffres sont intéressants à cet égard.
60 % des sondés par la DREES pensent devoir travailler au-delà de 65 ans et même 15 % au-delà de 68 ans, alors qu’ils ne sont que 20 % à liquider après 65 ans, dont une grande partie sont des femmes au foyer ou des personnes ne travaillant plus en France depuis au moins 20 ans. Et seulement 3 % prennent leur retraite après 68 ans.
Lorsque la DREES interroge les néo-retraités de 2020, 82 % d’entre eux trouvent que leur date de départ est conforme à leurs souhaits voire même trop tôt. Seuls 18 % (dont une partie de ceux qui ont dû attendre 65 ans ou plus tard) estiment leur date trop tardive.
« Les entreprises n’embauchent pas après 50 ans »
Sans aucun doute, un gros travail est à faire du côté des entreprises pour améliorer l’emploi des seniors et l’adaptation des conditions de travail des seniors, en particulier pour les métiers pénibles.
Mais si plus de 500 000 retraités sont en cumul emploi retraite, ce sont donc 500 000 fiches de payes et 500 000 contrats de travail offerts à des … retraités !
L’impossibilité de trouver un job après 50 ans était une réalité il y a 20 ans, c’est beaucoup moins le cas.
En conclusion, même si une réforme basée sur les trimestres cotisés et non la borne d’âge aurait mieux pris en compte les carrières longues et pénibles, cette réforme a une dimension sociale réelle qui mérite d’être améliorée (cf. les 4 trimestres maximum de chômage sur les carrières longues)
L’autre sujet majeur est de continuer dans la voie d’amélioration de l’emploi des seniors et les conditions de travail pour les métiers pénibles. C’est un chantier de long terme, et il n’est pas sûr que la coercition soit la meilleure solution.
La bonne nouvelle est que cela arrive dans un contexte où le chômage est au plus bas, ce qui est favorable à l’emploi des seniors. ■