“La question de l’eau est au carrefour d’enjeux environnementaux mais aussi économiques et sociaux. Elle appelle à faire des choix politiques et à définir des priorités” expliquent les sénateurs en préambule de leur rapport intitulé « Comment éviter la panne sèche – 8 questions sur l’avenir de l’eau en France ». Prenant la suite d’un rapport de 2016, ce nouveau document de la délégation sénatoriale à la prospective, « sans verser dans le pessimisme ou catastrophisme » vise à « mettre en lumière les efforts qui vont être nécessaires pour éviter de faire face à des situations de pénurie et des guerres de l’eau ». Le rapport permet avant tout de faire un tour d’horizon salutaire de la ressource, sans tomber dans les approximations et débats idéologiques. Beaucoup de chiffres et données sourcés viennent appuyer leurs propos. Presque un cours magistral.
Premier constat, la France est, comparativement à d’autres pays, relativement préservée pour ce qui est de la ressource en eau. Son climat tempéré (bon niveau de précipitations), les réserves d’eau solide en altitude ou liquide (fleuves, lacs, nappes souterraines) nous ont jusque-là habitués à une eau abondante et pas chère, disponible facilement. Mais aujourd’hui, l’accès à l’eau se durcit sous l’effet du changement climatique - Les épisodes caniculaires qui se succèdent sont là pour le rappeler -, sa gestion quantitative va alors devenir de plus en plus difficile. Avec le réchauffement climatique, « d’importants changements sont attendus en France » indiquent les rapporteurs qui citent la diminution des pluies en été, une baisse généralisée des débits moyens des cours d’eau, la fonte des glaciers, un temps de recharge des nappes allongé, l’augmentation de l’évapotranspiration et l’accroissement de la sécheresse des sols et de l’érosion, l’eutrophisation des cours d’eau et des lacs. D’autres facteurs que le réchauffement climatique viennent également affecter le cycle de l’eau comme l’imperméabilisation des sols du fait de l’artificialisation qui accroit le ruissellement mais aussi la déforestation, la disparition des zones humides qui réduisent la capacité d’infiltration de l’eau dans les sols. Aujourd’hui aucun territoire n’est épargné même si les effets peuvent être différenciés par bassin.
Se pose alors la question du partage de la ressource, « patrimoine commun de la Nation » (Code de l’environnement). Si la gestion de la ressource et des milieux s’appuie sur une architecture institutionnelle « complexe mais bien rodée », associant l’Etat, les Agences de l’eau, les collectivités territoriales, avec la participation des usagers « et dans le souci du consensus et de la concorde », les sénateurs s’inquiètent toutefois de savoir si ce « modèle de gestion participative et apaisée de l’eau pourra tenir » alors que des tensions se font de plus en plus sentir avec « une pression sur la ressource qui, si rien n’est fait, ne pourra que s’accroître ». « Des voix s’élèvent pour changer radicalement d’approche et les oppositions aux aménagements hydrauliques se font plus virulentes, comme l’ont montré les manifestations de l’automne 2022 pour contester la construction de nouvelles retenues d’eau pour l’irrigation dans les Deux-Sèvres » rappellent des rapporteurs inquiets. Mais pour partager l’eau encore faut-il en avoir à partager. Deux pistes sont mises en avant : la sobriété avec la réduction des utilisations de l’eau et l’augmentation de la mobilisation de l’eau là où c’est possible, « deux stratégies complémentaires dont l’objet doit faire l’objet de discussions locales en prenant en compte les impératifs économique et sociaux de chaque territoire ». La stratégie de la sobriété (action sur la demande), la moins coûteuse a priori (pas de nouvelles infrastructures à construire) est aussi l’axe prioritaire défini par les autorités**. Elle vise aussi à être la plus résiliente face au stress hydrique. Les rapporteurs notent déjà avec satisfaction la baisse constante de la consommation d’eau potable des ménages qui s’établit à un peu moins de 150 litres par personne et par jour, soit 120 à 150 m3 par ménage et par an. Pour autant, jugent-ils « des efforts de pédagogie doivent encore être effectués pour une consommation responsable de l’eau ». Des économies d’eau pourraient être réalisées en travaillant aussi sur la réduction des fuites d’eau (1 milliard de m3 par an, soit 20 % de l’eau distribuée) mais cela nécessite de lourds et coûteux travaux (voir Revue parlementaire n°1013). Mais pour les sénateurs, il apparait évident que l’effort de sobriété pèsera principalement sur l’agriculture « qui représente les deux tiers de la consommation d’eau ». « Or, poursuivent-ils, l’irrigation ne représente que 5 % de la surface agricole utilisée et les besoins augmentent (arrosage des vignes dans le Sud par exemple) ». « Des actions de perfectionnement technique peuvent encore être menées (goutte à goutte) mais pour avoir un impact fort, il faut changer de systèmes de culture, ce qui n’est pas toujours économiquement viable » reconnaissent-ils estimant au final que « le chemin vers la sobriété en agriculture est donc difficile ».
L’autre piste est celle de la mobilisation de la ressource (action sur l’offre). Pour répondre à une forte variabilité saisonnières dans les précipitations et dans les usages de l’eau il existe la possibilité de création de retenues d’eau qui se remplissent l’hiver à partir de la collecte d’eau de pluie, « une méthode ancienne éprouvée avec la construction des grands barrages (1950-1980) et des retenues à usage agricole (1970-1990) ». « Dès lors que les précipitations sont abondantes en hiver et réduites en été, la constitution de réserves d’eau jouant un rôle d’amortisseur inter-saisonnier apparaît comme une solution de bon sens » soulignent-ils avec pragmatisme. Si aujourd’hui, il existe une multitude de retenues permettant de stocker l’eau, très variables selon leur taille, leur mode d’alimentation ou encore leur mode de gestion, individuelle ou collective, en 2017, un collectif d’experts indiquait que jusque dans les années 1990, la France avait vu les retenues d’eau se multiplier pour répondre notamment aux besoins d’irrigation agricole. Mais la même publication soulignait qu’on ne disposait pas aujourd’hui de recensement précis de ces retenues, en particulier des petites retenues. Il était écrit qu’il existait « environ 125 000 ouvrages de stockage pour une surface de 200 à 300 000 ha et un volume total d’environ 3,8 milliards de m3 stockables. Près de 50 % des retenues recensées avaient une superficie inférieure à un hectare, pour un volume inférieur dans 90 % des cas à 100 000 m3 et une profondeur inférieure à 3 m dans 50 % des cas et 5 m dans 90 % des cas ». Le volume moyen des ouvrages destinés à l’irrigation agricole était estimé autour de 30 000 m3, soit l’équivalent d’une dizaine de piscines olympiques. « Or, remarquent les rapporteurs, une partie de ces retenues est mal utilisée et connaît d’importants taux de fuite ». Ils jugent donc nécessaire « une stratégie de remobilisation et de modernisation de ces retenues » même si elle se heurte à des difficultés de financement, « la mise aux normes n’entrant pas dans le périmètre des opérations subventionnables lorsqu’il n’y a aucune économie d’eau à la clef ». Une autre possibilité consiste à augmenter la capacité de retenues existantes en les rehaussant. « La remobilisation des réserves est parfois difficile lorsque la propriété des terrains a évolué et, en pratique, peu de propriétaires sont ouverts à la réutilisation de leurs plans d’eau par des tiers ».
Il est aussi à noter que lors du Varenne agricole de l’eau, une concertation achevée en 2022, il a été également demandé la création de retenues collinaires (alimentées par ruissellement) et de substitution (remplaçant des pompages dans les nappes et rivières en été). « L’objectif consiste à sécuriser la disponibilité de la ressource en eau et donc la production agricole » tiennent-ils à préciser. Reconnaissant un « sujet sensible » pourtant bordé par « une réglementation exigeante », la délégation pointe, en les regrettant, les oppositions et disqualifications globales de ce type de stockage d’eau qui ne leur semblent pas « fondées scientifiquement ». Les opposants à ces nouvelles retenues estiment que cette stratégie inciterait à ne pas réfléchir à une agriculture moins consommatrice d’eau et créerait un faux sentiment de sécurité, alors même que l’accélération du réchauffement climatique pourrait conduire ces retenues à être à sec même si les règles initiales de prélèvement étaient respectées, en cas de déficit prolongé de pluviométrie ou de ralentissement structurel du rythme de recharge des nappes. « Au final, écrivent les sénateurs, les opposants aux retenues contestent l’utilité de dépenses publiques importantes pour mettre en place des infrastructures qui ne bénéficient qu’à quelques agriculteurs utilisateurs de l’eau, ce qui constitue à leurs yeux une atteinte inacceptable au caractère de bien public attribué à l’eau ». À l’inverse, poursuivent-ils, « les agriculteurs insistent sur la nécessité de faciliter les procédures extrêmement lourdes et coûteuses qui forment des obstacles quasi-infranchissables sur le chemin de la création d’une nouvelle retenue ». Si les élus considèrent « inacceptable » de favoriser des retenues dégradant la capacité de recharge des nappes ou asséchant les cours d’eau avoisinants, « il serait tout aussi inacceptable de refuser de créer des retenues vertueuses, qui pourraient alléger la pression sur les nappes et les eaux de surface pendant la période d’étiage, en plus de sécuriser l’approvisionnement en eau de ses utilisateurs, en particulier les agriculteurs. C’est donc un examen au cas par cas, loin de tout dogmatisme, qui constitue le bon scénario à l’horizon 2050 ».
Pour ce qui est de la mobilisation de la ressource sont encore évoquées dans le rapport l’idée d’un transfert d’eau du Rhône vers l’Hérault et l’Aude le couplage entre retenue d’eau et production d’énergie ou la recharge artificielle des nappes tout comme la réutilisation d’eaux usées, qualifiée de « piste féconde ». Quant à la désalinisation, également citée, l’idée qui reste une solution de dernier recours, est toutefois rapidement écartée en raison de son coût financier et énergétique.
En conclusion, les rapporteurs préconisent donc de « déployer un véritable panel de solutions variées pour mieux mobiliser la ressource ». ■
*Eviter la panne sèche, 8 questions sur l’avenir de l’eau en France. Rapporteurs : Catherine Belrhiti (Moselle, LR), Cécile Cukierman (Loire, CRCE), Alain Richard (Val d’Oise, RDPI), Jean Sol (Pyrénées-Orientales, LR).
**Défini lors des Assises de l’eau en 2019, l’objectif est une diminution de la consommation des ménages de 10 % en 5 ans et de 25 % en 15 ans.
32 à 35 milliards de m3 de prélèvements annuels d’eau pour nos différents besoins :
• Refroidissement des centrales électriques : 17 milliards de m3. Les centrales nucléaires en circuit ouvert prélèvent 20 fois plus que les centrales en circuit fermé.
• Alimentation en eau potable : 5 milliards de m3.
• Alimentation des canaux : 5 milliards de m3
• Irrigation agricole et abreuvement du bétail : 3 milliards de m3
• Activités industrielles : 3 milliards de m3
Les volumes prélevés peuvent évoluer d’une année sur l’autre selon la pluviométrie, la température ou le degré d’utilisation des centrales nucléaires.
Les 8 recommandations du rapport
• Permettre la construction de nouvelles retenues d’eau, de préférence multi-usages, lorsque le service environnemental et économique rendu est positif.
• Prioriser les solutions fondées sur la nature dans la gestion du grand cycle de l’eau.
• Accélérer l’adaptation des pratiques agricoles aux nouvelles tensions hydriques.
• Augmenter les moyens financiers consacrés à l’eau, en particulier ceux des Agences de l’eau.
• Re-politiser les instances de gouvernance de l’eau.
• Encourager la recherche et l’innovation, par exemple dans la réutilisation des eaux usées traitées.
• Décentraliser davantage la décision publique sur l’eau et faire confiance aux échelons locaux.
• Développer une pédagogie de l’eau auprès du grand public.