Ce type d’été risque pourtant de devenir la norme dans les années futures. En effet, les projections climatiques issues de l’étude Explore2070 annoncent des baisses de débits moyens annuels des cours d’eau de 10 à 40 %, particulièrement dans le sud-ouest de la France ainsi que des baisses probables des précipitations en été de 16 à 23 %. Une nouvelle étude prospective Explore 2 a été lancée en juillet 2021 par le Ministère de la Transition écologique, pour mettre à jour l’évaluation des conséquences hydrologiques des derniers scénarii climatiques du GIEC, d’ici 2024, sur le territoire métropolitain. Ces premiers résultats préliminaires tendent à montrer que la situation continue d’empirer.
L’eau est par ailleurs un marqueur fort du dérèglement climatique : nous devons poursuivre les efforts d’atténuation et engager au plus vite les actions pour nous adapter à ces évolutions du climat. Or, l’imperméabilisation des sols, la rectification et calibrage des cours d’eau, le drainage des zones humides, la gestion « tout tuyau » … sont autant de pratiques qui ont perturbé le cycle de l’eau, rendant nos territoires moins résilients et donc plus fragiles face aux impacts du changement climatique. Il est essentiel de corriger ces aménagements passés, et à ce titre, il convient de ne pas dissocier les aspects qualitatifs (lutte contre les pollutions) des aspects quantitatifs de la gestion de l’eau.
La gestion quantitative structurelle de l’eau
Rappelons tout d’abord que l’eau est à la fois une seule et même ressource, en quantité finie, pour tous les usages et qu’elle constitue également un milieu de vie. C’est un sujet par essence transversal et non sectoriel. Historiquement, cette ressource a été allouée à chaque usager en fonction de leurs besoins, qui commencent à dépasser aujourd’hui régulièrement la disponibilité réelle de la ressource sur certains territoires. Nous comptons ainsi 110 bassins en déséquilibre quantitatif, pour lesquels l’objectif doit être celui d’un retour à l’équilibre conformément à la Directive-cadre sur l’eau.
Ce déséquilibre entre besoins et ressource disponible conduit à des situations de crises récurrentes dans certains territoires (Ouest, Sud-Ouest notamment), où, chaque année, des mesures exceptionnelles doivent être déployées, notamment des restrictions des usages de l’eau.
La raréfaction annoncée des ressources doit nous conduire à ré-apprendre à partager l’eau réellement disponible, entre les usagers, sur les territoires, sans oublier les besoins des milieux aquatiques. C’est l’enjeu d’une gestion structurelle équilibrée de l’eau, qui doit permettre, à partir d’une estimation scientifique des volumes disponibles de maîtriser les prélèvements et partager la ressource, afin d’assurer les besoins des milieux et des usages, 8 années sur 10.
L’année 2022 a ainsi mis en lumière la nécessité de réapprendre à concilier les usages : maintien des cotes touristiques sur les lacs de barrage hydroélectrique incompatible avec la nécessité de lâcher de l’eau à l’aval, nécessité de préserver les stockages hydroélectriques pour la production de pointe en hiver face à des lâchers d’eau pour l’irrigation en été ou encore maintien de débits suffisants pour assurer le fonctionnement de centrales nucléaires dont la production demeure indispensable.
Ce partage de l’eau doit être discuté avec l’ensemble des acteurs et s’organiser dans les territoires : c’est notamment le rôle des schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE (1)), projets de territoires qui déclinent les Schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE (2)) et leurs Commissions locales de l’eau, et des Projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE (3)).
Des solutions adaptées à chaque territoire
Il n’y a pas une seule solution, mais bien un ensemble de solutions à mettre en œuvre dans les territoires en fonction de leur contexte hydro-climatique, des usagers, de la vulnérabilité des milieux etc. Il ne faut pas opposer les solutions entre elles, mais les combiner entre elles dans un panel de solutions. Ces solutions doivent être pleinement assumées par les acteurs concernés. Pour cela, il faut garantir pour chaque territoire une gouvernance adaptée.
Ensuite, nous devons tous travailler sur la sobriété des usages et les économies d’eau à réaliser à toutes les échelles. Cela faisait partie des trois grands objectifs réaffirmés par les Assises de l’eau en 2019. La recherche de la sobriété doit s’incarner dans nos comportements, nos modes de production, notre façon de penser les usages de l’eau.
En parallèle, les solutions fondées sur la nature doivent être déployées de façon massive, afin de ralentir les écoulements et atténuer les crues, d’infiltrer et de stocker l’eau dans les sols et de soutenir les étiages. Cela passe par des actions visant à infiltrer l’eau là où elle tombe, ce qui nécessite de désimperméabiliser les sols et de végétaliser les bassins versants et les villes. Cela passe également par la restauration de la fonctionnalité des milieux aquatiques (cours d’eau, zones humides…), qui rempliront des services écosystémiques essentiels et seront plus résilients. Ces solutions sont dites « sans regret » dans la mesure où elles participent au cadre de vie, au refroidissement des villes, à l’attractivité des territoires etc.
Enfin, de nouveaux des leviers doivent être activés dans les territoires pour mobiliser de nouvelles ressources : remobiliser les ouvrages ou ressources existants (par exemple, les plans d’eau, les canaux de navigation etc.), développer largement l’utilisation des eaux non conventionnelles (eaux usées traitées, eaux de pluie, eaux de process…), voire créer des stockages lorsque cela est nécessaire et possible.
Dans le domaine agricole
En matière d’agriculture, le rapport interministériel CGEDD/CGAAER « Changement climatique, eau, agriculture – quelles trajectoires d’ici 2050 ? » paru en juillet 2020 précise que : « la réponse au changement climatique nécessite un nouveau modèle agricole, plus économe en eau et protecteur des sols, et, partout où cela est possible, le renforcement de la ressource en eau pour l’irrigation, dans le respect de son renouvellement et du bon état des milieux ».
A la suite des Assises de l’eau, les travaux du Varenne agricole de l’eau et du changement climatique se sont inscrits dans cette voie, en engageant les filières agricoles à se doter de plans d’adaptation au changement climatique à horizon 2050 et en réfléchissant aux stratégies d’aménagements du territoire dans une logique multi-usages.
La seule optimisation des systèmes agricoles n’est pas suffisante pour assurer une résilience suffisante de notre agriculture face au changement climatique. Il faut viser la transformation des modèles de production et accélérer la mise en place des pratiques agro-écologiques.
A ce titre, la mise en place des PTGE permet d’accompagner mieux cette transition agro-écologique dans les territoires qui s’engagent dans cette démarche, puisqu’elle en constitue un levier à part entière.
Dans le panel de solutions figure la substitution des prélèvements directs dans les milieux à l’étiage par des prélèvements en hiver lorsque la ressource est plus abondante, puis leur stockage ce qui permet de répartir les prélèvements sur l’année.
Néanmoins, ces ouvrages sont coûteux et doivent être dimensionnés au plus juste, être réservés à des situations localisées, avec une analyse fine de leurs impacts sur l’environnement et être construits dans le cadre d’un consensus local que constitue le PTGE.
De façon plus générale, il y a un fort enjeu à construire des modèles économiques robustes pour les solutions envisagées, notamment par des analyses coûts/bénéfices, et de se poser la question de la répartition des charges entre usagers de l’eau, notamment via le prix de l’eau, et la solidarité nationale. Nous devons investir efficacement pour les générations futures, en pleine connaissance des enjeux. ■
1. https://www.gesteau.fr/presentation/sage
2. https://www.gesteau.fr/presentation/sdage
3. https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf/circ ?id=44640 et https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf/circ ?id=45398