En effet, la crise sanitaire, et les risques qu’elle a fait peser sur la continuité de notre chaîne d’approvisionnement ont conduit à une véritable prise de conscience par les Français du caractère indispensable de la mission qu’assument les femmes et les hommes qui, au quotidien, font notre agriculture dans tous les territoires. Le drame qui se joue aux portes de l’Europe, avec l’invasion brutale de l’Ukraine par la Russie, n’a fait qu’accélérer et amplifier cette prise de conscience : l’alimentation peut être utilisée comme une arme de déstabilisation, et notre dépendance aux importations nous affaiblit.
Enfin, comment ne pas voir que notre société est traversée par de profonds bouleversements, qui s’expriment à travers des exigences nouvelles toujours plus fortes, qu’elles soient environnementales, sociales ou sociétales, et qui se traduisent parfois par des injonctions contradictoires pour le monde agricole.
Nous sommes dans un moment de refondation. L’agriculture peut désormais être de nouveau considérée pour ce qu’elle est véritablement : l’une des pierres angulaires de notre nation. Pour autant, les défis pour y parvenir sont immenses. Et cela nous invite à construire, pierre après pierre, notre souveraineté alimentaire.
La première pierre à poser doit être celle de la confiance et de la compréhension mutuelle entre la société et nos agriculteurs. Il nous faut donc collectivement porter un discours de fierté partagée sur notre agriculture. Elle est une activité qui, plus que toute autre, lie l’homme à la nature et sera essentielle dans les changements indispensables pour la préserver. Cela doit être dit sans détours, en combattant pied à pied les discours idéologiques et caricaturaux. Notre agriculture est également une part de notre histoire et de notre identité : elle participe de la place de la France dans le monde, de son rayonnement international comme de son poids européen. De la même manière, elle est intrinsèquement liée à la vitalité et au dynamisme économique de nos territoires, dont elle a façonné les paysages. Enfin, elle est au cœur des enjeux de solidarités, car seules nos productions agricoles, dans toutes leurs diversités et fortes de leur excellence, permettront de garantir au plus grand nombre une alimentation saine, de qualité, et durable.
Nous devons ensuite poursuivre ce qui a été engagé pour garantir le revenu agricole, en particulier avec les lois EGAlim I et II, qui ont permis une meilleure prise en compte des coûts de production agricoles dans la formation des prix d’achats, en sanctuarisant le prix des matières premières agricoles. Le prix des agriculteurs est la mère des batailles et ces lois contribuent à cette ambition. C’est un acquis précieux. Nous devons en assurer l’application pleine et entière mais il nous faut aussi et surtout assumer un discours clair devant l’opinion publique, à rebours de tout ce qui a été promu depuis des années : non, le juste prix n’est pas le bas prix, mais celui qui permet de rémunérer nos producteurs. Parce que produire est toujours le fruit d’un travail, et cela a un coût, en particulier avec les hausses actuelles de l’énergie. Demander le juste prix est une forme de respect pour ceux qui nous nourrissent. Parce que savoir ce que l’on mange, savoir qu’il s’agit d’une alimentation saine, produite en préservant nos paysages et notre biodiversité, notre environnement, cela a un prix. Parce que la logique unique du prix bas conduit à devoir importer des produits de l’étranger avec des standards de production qui ne sont pas les nôtres.
Pour reconquérir notre souveraineté alimentaire, il nous faut également maintenir un appareil de production agricole et des savoir-faire dans tous nos territoires et pour toutes nos filières. Or, dans les 10 années qui viennent, la moitié des agriculteurs cesseront leurs activités, ce conduira à des déserts agricoles, comme il existe aujourd’hui des déserts médicaux. Il s’agit d’un défi majeur, au regard des enjeux de renouvellement des générations. C’est toute l’ambition du Pacte et de la Loi d’Orientation et d’Avenir agricoles, qui se fonde sur une large concertation. Ce projet de loi a une dimension nationale, mais se décline également dans tous les territoires, au plus près des réalités quotidiennes, afin que les transitions soient pensées à l’échelle la plus pertinente. Cette concertation, à laquelle les parlementaires sont également étroitement associés, sera présentée au Parlement au premier semestre 2023. Pour autant, le but de cette loi n’est en aucun cas de normer l’agriculture ou de contraindre les initiatives. Il s’agit, au contraire, de partir des acteurs qui feront l’agriculture de demain, du terrain, pour penser nos modèles à horizon 2040 autour de quatre questions structurantes : la formation, l’installation, la transmission, la transition écologique et l’adaptation au changement climatique, qui vont fonder l’agriculture de demain.
Le changement climatique change fondamentalement la donne. D’abord parce qu’il fait émerger de nouvelles attentes, auxquelles notre agriculture doit répondre en modifiant ses modes de production, mais également parce que les effets du réchauffement climatique peuvent, à terme, remettre en cause nos capacités à produire. Gel, grêle, sécheresse, tensions autour de la gestion de nos ressources en eau, qualité des sols, perte de biodiversité sont autant d’éléments qui s’intensifient et s’aggravent et face auxquels nos agriculteurs sont bien souvent en première ligne. Cela montre que la souveraineté alimentaire sera résiliente ou ne sera pas, et que parvenir à nos objectifs de réduction des gaz à effet de serre se fera grâce à la contribution des secteurs agricoles, alimentaires et forestiers, mais pas contre ces derniers.
Pour que ces transitions soient soutenables, il est indispensable d’accompagner toutes nos exploitations agricoles et de les soutenir pour que nous menions ensemble la troisième révolution agricole, celle du numérique, de la robotique, et de la génétique. La recherche et l’innovation sont fondamentales. La planification des transitions est tout aussi essentielle afin qu’elles soient assumées, maîtrisées et non plus subies. Le cadre choisi, qui doit être celui de l’Union européenne, est le seul à même de ne pas générer de distorsions de concurrence avec nos partenaires européens. Plus encore, ces productions avec un haut niveau d’exigence environnementale doivent avoir pour corollaire une compétition mondiale équitable. A défaut de fragiliser nos filières. Il s’agit de l’objectif poursuivi avec la logique de réciprocité des normes, que nous avons initié lors de la présidence française du Conseil de l’Union européenne et dans lequel nous devons nous engager plus encore.
Enfin, dernier pilier de notre action : refonder le lien entre agriculture et alimentation, pour que l’agriculture soit porteuse de solidarités, de sécurité, de durabilité, à travers l’accès à des ressources alimentaires de qualité pour le plus grand nombre. Mise en place de la police de sécurité sanitaire, soutien affirmé au bio, stimulation du levier de la commande publique, notamment dans la restauration collective, aide alimentaire, éducation à l’alimentation : les chantiers initiés sont nombreux.
Revenu agricole, renouvellement des générations, transitions, alimentation sûre, durable et accessible : tous ces éléments se tiennent les uns les autres et doivent être portés autant par le consommateur et le citoyen que par une agriculture qui a toujours su se réinventer. C’est le sens du pacte d’avenir dont nous poserons les jalons en 2023. Et c’est ainsi que nous entamerons la reconquête de notre souveraineté alimentaire. ■