Il faut dire que la situation a rarement été aussi peu favorable à une telle réforme. Non seulement les deux assemblées ne disposent pas de majorités concordantes, ce qui signe la plupart du temps l’échec de tout changement constitutionnel, mais la majorité est à la fois relative et très divisée dans la chambre basse. Alors que le Président du Sénat aime à répéter qu’il ne faut toucher à la Constitution qu’avec une main tremblante, personne ne sait ce à quoi pourrait aboutir un projet de loi constitutionnel lancé aujourd’hui dans une machine parlementaire aussi instable. Le plus probable serait tout de même un échec de la révision, entraînant au mieux de la déception, au pire de la révolte, alors que la crise démocratique s’aggrave.
La première tentative de réforme constitutionnelle en 2018 avait ouvert un concours Lépine d’idées entre députés nouvellement élus dont la connaissance des institutions semblait aussi fraîche que leur enthousiasme. Que contiendrait le nouveau texte ? A priori, ce serait au contraire de vieux débats qui semblent s’imposer à l’exécutif. Il s’agirait d’abord d’un retour au septennat. Pourquoi pas ? Mais pourquoi ? Le problème n’a jamais été le quinquennat, mais le télescopage des calendriers et la coordination avec les élections législatives. Il est bien sûr possible de laisser plus de temps au Président pour gouverner, mais est-ce qu’on pense vraiment qu’au regard de l’accélération du temps politique, cette mesure trouverait un écho en dehors du cadre restreint des politiques et des constitutionnalistes ? Certains imaginent même ce septennat comme non-renouvelable, alors que l’interdiction de se représenter semble ouvrir le présent mandat sur quatre ans de mandature en forme de canard boiteux. On parle aussi du retour du cumul des mandats. Pourquoi pas ? Sa suppression était aussi une bêtise. Toutefois, est-ce qu’on peut imaginer renouer le contact avec les Français en remettant sur le métier une mesure impopulaire ? IVG, environnement... c’est ensuite un enrichissement des droits sur lesquels s’appuie le Conseil constitutionnel, dont la jurisprudence gagnerait un peu plus en imprévisibilité en devant concilier toujours plus de dispositions difficilement conciliables. Les politiques auront alors beau jeu de crier au gouvernement des juges lors d’une prochaine censure liée à un juge qui, devant bien décider quelque chose, n’aura fait qu’appliquer ce qu’ils auront introduit avec enthousiasme dans le texte fondamental. Enfin, nous devrions entendre parler du référendum d’initiative partagée. Comment peut-on sincèrement croire que cette procédure pourrait être rendue praticable, quand le gouvernement a bien conscience qu’une disposition telle que celle existant en Italie aurait conduit à l’échec de sa réforme des retraites ? Plus que jamais, en pleine crise de la représentation, la démocratie directe risque de trouver peu d’écho parmi des représentants dont le sentiment de légitimité demeure fragile. Il restera quelques idées déjà présentes en 2018. La différenciation territoriale devrait faire son grand retour, alors que le gouvernement lui-même commence à s’en inquiéter. Emmanuel Macron, après avoir donné son aval à la création de la Collectivité unique d’Alsace, a finalement fermé la porte à sa sortie du Grand Est, après avoir envoyé de nombreux signaux positifs. La bonne entente avec les nationalistes corses a dégénéré quand ceux-ci ont trouvé normal de mettre en berne des drapeaux en hommage à Ivan Colonna. Outre-mer, les statuts sur mesure dont la réforme de 2008 devait consacrer la diversité ont pavé la voie des indépendantistes en Polynésie, alors que l’on ne sait toujours pas comment sortir des accords de Nouméa en Nouvelle-Calédonie.
Pourtant, réformer les institutions ne nécessite pas forcément une grande réforme constitutionnelle. Serpent de mer du dernier quinquennat, la proportionnelle relève d’une simple loi ordinaire. Pourtant, François Bayrou avait obtenu dès 2017 qu’elle fasse partie du contrat de coalition, tout comme d’ailleurs la Banque de la démocratie, qui serait bien utile alors que, à la suite des dernières élections présidentielles, les scores de Yannick Jadot et Valérie Pécresse, pourtant donnés au-dessus de 5 %, devraient rendre encore plus frileuses les banques. Concernant le mode de scrutin, il faut reconnaitre que la proportionnelle assure une représentation plus fidèle des choix de l’ensemble des votants. Arend Lijphart note également qu’il favorise l’adhésion aux institutions et la participation (1). L’abstention est ainsi en moyenne inférieure de 7,5 points une fois les autres facteurs isolés. La participation est même relevée de 12 points chez les jeunes (2). Le scrutin majoritaire, pour sa part, tend à accroître l’abstention et rend difficile l’application de la parité. Arend Lijphart montre par ailleurs que la proportionnelle rapproche les choix parlementaires de la position de l’électeur médian sur les grands sujets de politiques publiques. D’autres études corroborent l’idée que les citoyens sont plus satisfaits de leur démocratie et les élus plus réceptifs aux choix de l’électorat. À rebours, le scrutin majoritaire rompt l’espoir pour certains d’une représentation effective, favorisant le désengagement. Cette abstention par résignation finit par poser un problème théorique et démocratique. Problème généralement pointé : l’absence de stabilité gouvernementale liée à la proportionnelle. En la matière, la nuance est de mise. Arend Lijphart montre que l’introduction de la proportionnelle conduit à une très faible augmentation du nombre de partis au Parlement. Elle est en effet souvent accompagnée d’un seuil de représentation. Tout parti ne dépassant pas ce seuil n’obtient aucun député. Fixé en moyenne à 5 %, il limite drastiquement le nombre de formations représentées. Des primes majoritaires existent par ailleurs dans plusieurs Etats. Les coalitions de partis forment enfin souvent des alliances stables d’élection en élection. Il n’y a donc pas de lien réel entre la proportionnelle et un parlement balkanisé et ingouvernable. Il y a d’ailleurs plus de groupes politiques aujourd’hui au Parlement français qu’au Parlement allemand. Il n’existe pas non plus de lien entre scrutin majoritaire et majorité claire comme le prouve ces dernières années la Grande-Bretagne ou le Canada ; ou la France.
Le changement de mode de scrutin signifierait toutefois probablement la fin du présidentialisme. En effet, le Portugal, la Finlande et l’Autriche, qui élisent leur président au suffrage universel direct, ne connaissent pas la concentration des pouvoirs dans les mains du chef de l’Etat que nous constatons. Une réforme trop fondamentale ? On préfère ainsi parler de grand chambardement constitutionnel dans le but d’introduire des dispositions souvent plus symboliques que déterminantes, même si elles devaient trouver une majorité pour les soutenir. La réforme des institutions fait donc davantage office de diversion politique que de réelle volonté de changement. Or, on ne pourra pas toujours reporter la réflexion sur le fonctionnement actuel du régime qui, avec la fragilisation du clivage droite-gauche et des grands partis politiques, a vu se fragiliser le système social et partisan qui en assurait le bon fonctionnement. À force de faire des institutions un objet de colère et un motif d’espoir dessus, on prend le risque de les affaiblir durablement et, par cynisme, de faire le jeu de ceux qui veulent les subvertir. ■
1. Lijphart A., Patterns of democracy : government forms and performance in thirty-six countries, 2nd éd., New Haven : Yale University Press. 2012.
2. Youth participation in national parliaments, Rapport de l’Union interparlementaire, 2016 (http://archive.ipu.org/pdf/publications/youthrep-e.pdf).