Cette tendance va continuer à s’accroître alors que les 75 ans et plus représenteront 16 % de la population en 2050 et que plus de 20 % d’entre eux cumulent trois pathologies ou traitements chroniques. Pour autant, face à cet accroissement des besoins de santé, la difficulté d’accès aux soins continue à s’aggraver avec 6,7 millions de Français n’ayant pas de médecin traitant et 30 % de la population française vivant dans un désert médical. Le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) qui sera débattu doit permettre d’apporter des réponses concrètes à ces différents défis.
Dans ce contexte, la souffrance et l’épuisement des professionnels de santé, à l’hôpital comme à la ville, continuent de grandir : en témoignent la récente grève des internes ou encore des médecins libéraux ayant abouti à un échec des négociations conventionnelles avec l’Assurance maladie. Face à ce malaise, le gouvernement a récemment annoncé qu’1,1 milliard d’euros seraient consacrés aux revalorisations salariales des soignants hospitaliers (la moitié doit être inscrite dans le prochain PLFSS). Pour autant, cette seule revalorisation salariale ne permettra pas de répondre à l’ensemble des défis de notre système de santé : ce dernier gagnerait à sortir de son hospitalo-centrisme et à redonner sa juste place à chacun des acteurs du système de santé. Les parcours de soins doivent désormais intégrer les acteurs de la ville et du domicile pour mobiliser le bon professionnel de santé, au bon endroit, au bon moment. À ce titre, les pratiques ambulatoires et domiciliaires sont le levier principal de transformation de notre système de santé.
Les pratiques ambulatoires et domiciliaires désignent l’ensemble des dispositifs permettant à un patient de limiter son temps passé en établissement de santé (en s’y rendant pour des soins techniques ou en étant intégralement pris en charge en ville ou chez soi). Depuis une vingtaine d’années, la France a développé des modes de prises en charge alternatives à l’hospitalisation conventionnelle, notamment grâce à l’émergence d’innovations qui ont contribué à construire des parcours de santé innovants mobilisant les acteurs de l’hôpital, de la ville et du domicile. Les innovations techniques ont permis de développer des interventions et des dispositifs médicaux moins invasifs qui contribuent à réduire le temps de récupération post-opératoire des patients. Les innovations thérapeutiques ont introduit des nouveaux traitements aux modes d’administration moins lourds à l’instar de traitements anticancéreux désormais disponibles par voie orale et en pharmacie d’officine. Pour finir, les innovations technologiques avec l’essor de la télémédecine (téléconsultation ; télésurveillance ou téléexpertise) offrent la possibilité d’un suivi à distance mobilisant la meilleure expertise médicale. Pour autant, avec 8,8 jours de durée moyenne de séjour à l’hôpital (contre une moyenne de 7,6 jours pour les pays de l’OCDE), force est de constater que la France peine à prendre pleinement le tournant des virages ambulatoires et domiciliaires. Pour ce faire, la France doit relever quatre défis.
Dans un premier temps, la coordination entre les acteurs du domicile, de la ville et de l’hôpital doit être facilitée et renforcée. À ce titre, la promotion de l’exercice coordonné représente une solution aux difficultés posées par la séparation géographique (dispersion des acteurs et manque de communication, illisibilité de l’offre de soins…) Le déploiement des communautés professionnelles de santé (CPTS) ou encore des nouveaux services autonomie à domicile (SAD) facilitent l’identification du personnel soignant le plus adapté. Néanmoins, il est nécessaire d’aller plus loin et que ces espaces incluent l’ensemble des professionnels du parcours de soin, du secteur médical, paramédical au social, afin de proposer aux patients un guichet unique facilitant l’identification de la ressource médicale ou paramédicale adéquate sur le territoire. Ces espaces coordonnés pourraient également proposer des protocoles de sortie d’hospitalisation selon les pathologies et les parcours de santé partagés entre les acteurs. La facilitation de la délégation des tâches et l’évolution des compétences représentent également des leviers organisationnels de renforcement de la coordination entre différents professionnels de santé. Deux décrets parus le 8 août 2023 permettent d’étendre les compétences vaccinales des pharmaciens, infirmiers, laborantins (sous réserve d’avoir effectué une formation de dix heures pour les infirmiers) et des sages-femmes. Le PLFSS 2024 pourrait aller encore plus loin en permettant, par exemple, aux pharmaciens de délivrer des antibiotiques contre les cystites et les angines, suite à la réalisation d’un test rapide d’orientation diagnostique (TROD). Par ailleurs, la loi Rist adoptée en mai 2023 a permis d’introduire un accès direct aux Infirmiers de pratique avancée (IPA), kinésithérapeutes et orthophonistes. Pour autant, cet accès direct est conditionné à l’appartenance du professionnel à une structure de santé alors que le projet de loi initial prévoyait cet accès direct à tous les professionnels appartenant à une CPTS.
Deuxièmement, la formation des professionnels de santé ne contribue pas à favoriser le travail en équipe pluridisciplinaire et entre différents secteurs. Elle reste encore trop cloisonnée, avec une vision mono-professionnelle centrée sur l’hôpital. Par ailleurs, les professionnels de santé ne sont pas formés aux enjeux du management et de la collaboration. Il semble nécessaire d’inclure, dans la formation initiale et continue, les enjeux de coordination, de travail en équipe et de management.
Par ailleurs, le modèle de financement de notre système de santé basé sur une tarification à l’acte n’incite pas les acteurs à se coordonner entre eux, car les temps de coordination demeurent peu ou pas rémunérés. La prochaine loi de financement de la sécurité sociale doit poser les prochains jalons d’une sortie du “tout T2A” en conditionnant une partie de la rémunération des hôpitaux sur des objectifs de santé publique. Ces réflexions doivent néanmoins permettre de proposer des modèles de tarification innovants incluant l’intégralité des acteurs du parcours de soin et rémunérant à sa juste hauteur les temps de coordination. À ce titre, le passage prochain dans le droit commun de plusieurs Article 51 devrait permettre de poser les jalons à des financements alternatifs.
Pour finir, l’organisation de ces nouveaux parcours de santé doit inclure les patients comme acteurs centraux de leur prise en charge. La multiplicité des acteurs, le manque de lisibilité de l’offre et le travail en silos des professionnels de santé, contribuent à créer des parcours de soins hachés pour les patients et à créer une asymétrie d’information entre patients et professionnels de santé. Les modules d’autonomisation du patient à l’instar de l’Éducation thérapeutique du patient (ETP) représentent des leviers essentiels d’implication du patient : ces derniers doivent désormais inclure et être coordonnés par les professionnels de ville et du domicile. Lors de ses vœux aux soignants, le président de la République indiquait que l’éducation thérapeutique devrait pouvoir être réalisée par “des pharmaciens, par des sages-femmes, par des infirmiers et des infirmières”. Cette extension des compétences doit faire partie des prochains débats qui animeront le vote du PLFSS 2024. ■