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Une santé gratuite qui coûte cher en France !

Par Frédéric Bizard, Professeur d’économie, ESCP, Président de l’Institut Santé

Le Ministre de l’économie a annoncé le 14 septembre dernier que Bercy avait identifié 16 milliards e d’économies de dépenses publiques en 2024, dont une part en santé. Les prémices du PLFSS 2024 sont dans la continuité des vingt dernières années de la régulation comptable par la technique dit du rabotage pour respecter un taux de croissance des dépenses souhaité, inférieur au taux tendanciel (>4 %).

Malgré les effets délétères largement visibles sur l’offre de soins de cette approche utilisée depuis plusieurs années, la France la maintient avec une étonnante obstination. Est-ce la preuve que c’est la seule politique possible pour maitriser les dépenses ?

La réponse est négative à deux conditions : accepter de changer de cap politique en santé, et passer du conjoncturel au structurel pour générer des gains d’efficience substantiels. La quête de santé gratuite instaurée depuis 20 ans, qui s’est accélérée ces dernières années, illustre la première condition et la réforme structurelle du financement de la santé, la seconde.

Course à l’échalote depuis 20 ans

Depuis le début du millénaire, c’est la course à l’échalote du/de la Ministre qui rendra la santé sans reste à charge (RAC) en France. Le tiers payant généralisé chez le pharmacien dans les années 2000, le tiers payant intégral promis en 2014 chez le médecin, puis la politique du RAC 0 chez le dentiste, l’opticien et l’audioprothésiste en 2019.

Le résultat est un niveau de RAC en santé en France le plus faible au monde (7 % de la consommation de soins, vs 19 % en moyenne dans l’OCDE), ce dont a tendance à se réjouir chaque ministre de la Santé, sans se soucier des conséquences à terme de cette politique. Dans chaque domaine, cette politique de la santé gratuite a conduit à la pénurie de l’offre, à sa perte de valeur aux yeux des usagers, et à la tendance à une consommation décorrélée des besoins réels.

Un bien commun négligé

La sécurité sociale de 1945 a été négligée dans la lettre et dans l’esprit. Ce bien commun ne peut fonctionner que s’il n’est pas considéré comme un guichet ouvert sans conditions, sans quoi cela conduit au phénomène connu en économie sous le nom de « tragédie des biens communs », i.e. à son affaiblissement progressif jusqu’à sa disparition.

La première erreur a été de réduire l’institution à une administration de l’État par les ordonnances de 1996 et la loi HPST de 2009 entre autres, en mettant fin à son autonomie et à sa gestion par des forces démocratiques de la société civile (dite de démocratie sociale). Toute l’humanité de l’institution, sa force vive démocratique, a été négligée et réduite à néant, ce qui en fait aujourd’hui une technostructure froide et bureaucratique à la botte de l’État.

Ensuite, le système originel de sécu avait garanti un taux de remboursement de 100 % dans certaines situations bien définies, qui l’exigeaient soit par risque financier pour les usagers (ALD, faibles revenus), soit parce que les effets modérateurs de cette participation étaient faibles ou nuls (ALD, grossesse).

Ce taux de remboursement de 100 % n’est pas la santé gratuite mais une mesure de protection sociale qui supprime la participation financière directe des assurés dans le paiement des soins, là où elle n’a pas de sens sur un plan économique et/ou social.

Le leurre de la santé gratuite avec de l’argent privé

La « santé gratuite » construite en France depuis 20 ans est à distinguer de ce bouclier sanitaire historique, qui se fait avec un seul assureur, la sécurité sociale, donc uniquement avec de l’argent public. La différenciation entre l’argent public et l’argent privé est des plus classiques depuis Aristote, qui opposait l’Argent de l’État et l’argent des Particuliers dans Le Politique.

La distinction personnaliste entre argent privé et argent public est essentielle. Elle traduit une distinction conceptuelle entre l’ordre de la personne, celui du privé, et l’ordre du politique, celui de la nation. Ces deux ordres s’opposent par leur intérêt : intérêt particulier pour l’argent privé ; intérêt général pour l’argent public. L’un est fait pour être conservé ou pour rapporter ; l’autre est fait pour être donné à fonds perdus.

Les trois leviers majeurs utilisés par les gouvernements successifs pour instaurer la santé gratuite illustrent la négligence de cette distinction de nature entre l’argent public et privé. La généralisation de la prise en charge par les assureurs privés du ticket modérateur dans les contrats dits « responsables et solidaires » en 2005, puis l’instauration du tiers-payant généralisé dans les années 2010, et enfin la politique du zéro reste à charge en 2019 en dentaire, optique et audioprothèse impliquent tous un financement privé.

Notre système de santé a perdu ses repères

En France, l’évolution du financement de la santé depuis 30 ans a entrainé une grande confusion et a abandonné les fondamentaux du modèle. Les ordonnances de 1996 ont anglicisé le système en transférant tout pouvoir d’organisation à l’État, sacrifiant les missions essentielles de l’assurance maladie et des soignants dans l’organisation du système.

Puis l’État a installé une américanisation du système via les assureurs privés généralisés à tous les soins et l’instauration de réseaux de soins sur certains secteurs, sans oublier la financiarisation de l’offre de certains secteurs (Ehpad, Biologie médicale, dentaire…).

On est dans un mélange des genres entre des acteurs assurantiels publics et privés, qui ont des logiques différentes. L’État pense tirer à tort des avantages de cette confusion, par le transfert quand bon lui semble de charges du public vers le privé. Cette politique de gribouille génère des économies d’argent public très coûteuses pour les usagers en termes de primes d’assurances, de pénurie d’offre et de dégradation de la qualité des services.

Les exemples de financement des systèmes anglais et américains montrent bien que le type de financement façonne le système de santé. Les dérives du financement de la santé en France portent une lourde part de son affaiblissement.

Un gisement substantiel d’économies

La refonte du système de financement français ouvrirait de sérieuses marges de manœuvre financières, tout en améliorant la performance du système. Elle consisterait à mettre fin à ce double étage assurantiel, en passant à un assureur unique par prestation de santé. La sécurité sociale serait le financeur exclusif de la plupart des prestations, comme c’est le cas dans tous les pays avec une sécurité sociale.

Sur le plan systémique, cette évolution du financement replacerait la sécurité sociale comme une institution démocratique centrale dans le pilotage opérationnel et financier du système de santé. Elle génèrerait des gains financiers structurels de l’ordre de 20 Mrdse par an.

Ce gisement d’économies serait obtenu tout en améliorant l’efficacité du financement, d’où la notion de gains d’efficience. Ces économies générées auraient vocation à être réinvesties dans le capital humain en santé, dans la hausse des rémunérations des soignants et dans la réduction des déficits.

Ce nouveau modèle basculerait vers un modèle économique vertueux de maitrise des dépenses de santé par une amélioration de l’état de santé de la population grâce à l’investissement en amont du risque, générant une baisse de la demande de soins. Il conduirait à neutraliser financièrement les effets du vieillissement et de la chronicisation des pathologies sur les dépenses, i.e. à faire de ces phénomènes des opportunités pour la société et non des problèmes. Il sortirait la maitrise des dépenses du rabotage comptable dont on a décrit déjà les effets.

Comme pour l’ensemble de la transformation de notre système de santé, cette réforme du financement renforcerait les fondamentaux républicains du système et conserverait les acteurs existants.

Pour autant, le succès de la refondation exige de réussir à sortir de ce piège de la gratuité. Cette réussite dépendra certes du courage politique des dirigeants, mais aussi de la responsabilisation de chaque citoyen dans la préservation d’un modèle social solidaire soutenable.

La solidarité est un droit mais aussi un devoir qui nécessite d’en comprendre tous les ressorts, dont le fait que la Santé est un mélange de responsabilité individuelle et collective. 

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