“Les travaux conduits par la mission permettent de dresser le constat d’une violence endémique dans les établissements scolaires, qui touche désormais le primaire comme le secondaire. Les insultes, menaces, pressions et agressions constituent désormais le quotidien des enseignants ainsi que de l’ensemble du personnel administratif. Plus largement, c’est l’école de la République – et ses valeurs – qui doivent faire face à des coups de boutoir réguliers. La laïcité, mal connue, est rejetée et les contestations d’enseignement, tout comme la remise en cause de l’autorité de l’enseignant, sont en forte augmentation”. Le constat des deux rapporteurs François-Noël Buffet (LR, Rhône) et Laurent Lafon (UC, Val-de-Marne) est accablant et inquiétant.
En octobre 2020, Samuel Paty était assassiné parce qu’il était professeur et qu’il avait accompli simplement son devoir d’enseignant. Quelques mois après la création de la mission, un autre enseignant Dominique Bernard était lui aussi assassiné à Arras. L’un et l’autre avaient été menacés et soumis à des pressions inacceptables mais laissés quasiment sans réponse. La mission conjointe de contrôle de la commission des lois et de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication dotée des prérogatives d’une commission d’enquête a ainsi été créée à la demande de la sœur de Samuel Paty. Elle s’est donnée pour mission de déterminer si ces menaces et pressions avaient été prises à leur juste mesure par les autorités de l’Etat. Deux ans et demi après l’assassinat du professeur, les co-rapporteurs n’ont pu que constater que notre école de la république est en danger. Pire encore : la situation ne fait que s’envenimer. Pressions, menaces, agressions ne semblent plus vouloir s’arrêter. Les deux sénateurs qui déplorent une « montée de la violence » dans les établissements scolaires privés et publics : non seulement « tous les territoires, aussi bien ruraux qu’urbains, favorisés ou populaires, sont concernés » mais les contestations d’enseignement touchent désormais « la quasi-totalité des matières » soupirent-ils. Au-delà de ce constat, ce qui les dérange aussi c’est le « décalage entre les chiffres de l’Education nationale et la réalité du terrain ». « La façon dont sont présentés les chiffres constitue une minimisation de la réalité » dénonce Laurent Lafon. « Les chiffres de l’Education nationale nous disent que 0,2 % des enseignants des collèges et lycées déclarent avoir été menacés par une arme sur une année scolaire (en 2021-2022, NDLR). Ça peut paraître très faible mais c’est près de 900 enseignants. Soit 4 par jour » s’agace-t-il.
Le rapport montre donc que rien ni personne n’est épargné. La violence est partout, à tous les échelons de la hiérarchie, enseignants comme personnel administratif. La « communauté éducative est prise sous la violence » déplore François-Noël Buffet. « Les menaces et pressions subies par les enseignants ne sont plus des cas isolés et ponctuels ». Et « le passage à l’acte à la suite d’une menace verbale est désormais perçu comme une éventualité » indiquent les élus qui remarquent également que les appels aux forces de l’ordre dans de nombreux établissements, y compris de petites écoles rurales, pour faire « face à la virulence de certaines familles » sont en hausse. Les familles justement. Elles sont parfois à l’origine de certaines difficultés et contestations notent-ils. « Les chefs d’établissement sont pris à partie directement par les parents, qui surgissent de manière inopinée dans leurs bureaux » ajoute François-Noël Buffet qui poursuit : « (Il y a aussi) les Conseillers principaux d’éducation (CPE) face à qui les élèves et de plus en plus leurs parents contestent le bien-fondé des sanctions - certains même viennent en rendez-vous avec leurs avocats ». Sans oublier les parents qui tentent de pénétrer dans les établissements « pour s’expliquer avec le personnel » ou « régler des comptes » avec un élève. Bref, « il est urgent de rappeler qu’au sein des établissements, il n’y a pas de partage de l’autorité, et que ce sont bien les personnels d’éducation qui sont chargés de la faire respecter » rappelle Laurent Lafon qui propose avec son collègue la signature d’une charte à destination des parents.
Et la laïcité, elle est évidemment gravement menacée, notamment par l’islam radical qui « est en train de se banaliser » reconnaissent-ils. « La montée des revendications identitaires et communautaires, et la manifestation de l’islam radical et de certaines nouvelles formes de spiritualité ne doit pas être ignorée » confirme François-Noël Buffet. « Il y a urgence non seulement à défendre, mais aussi à promouvoir les valeurs de la République à l’école » jugent alors les co-rapporteurs. Si la menace contre la laïcité peut venir de l’extérieur, elle peut aussi être à l’intérieur des établissements. Comme avec le cas d’un certain nombre de jeunes enseignants qui questionnent aujourd’hui la laïcité s’interrogeant sur son utilité et l’opportunité de conditions spécifiques d’application dans le cadre scolaire, « bercés par l’émergence de termes tels que « laïcité ouverte », ou encore « laïcité plurielle » ou des débats publics confondant laïcité et tolérance », « la défense de la laïcité se délite chez les adultes associés au fonctionnement des établissements » constatent les élus. Le vers est peut-être aussi dans le fruit ?
Tout cela additionné fait qu’en 2021-2022, le nombre de démissions a progressé de 36 % à la fois dans le premier et le second degré par rapport à l’année précédente. Si cette hausse « s’inscrit dans un tout, en lien avec le manque d’attractivité du métier d’enseignant admettent-ils, les pressions, menaces ou agressions dont ils sont victimes y participent aussi fortement ».
Aussi, face au « terrible sentiment de solitude » des enseignants confrontés à cette montée de la violence, le rapport fait 38 propositions dont certaines concernent directement le principe de laïcité.
Il est ainsi proposé de permettre au ministère de l’éducation nationale de reprendre la main sur la formation initiale des enseignants afin de s’assurer de l’adéquation entre celle-ci et les attentes du futur employeur sur ce qu’est « être enseignant aujourd’hui ». Les rapporteurs veulent aussi accentuer les efforts sur la formation continue et renforcer « la culture collective » au sein des établissements pour que la promotion de la laïcité soit portée par l’ensemble des personnels. Enfin, ils insistent sur la nécessité de « combler les interstices » dans l’application de la loi de 2004 (1), « en prenant en compte les évènements auxquels participe le jeune en raison de son statut d’élève, y compris en dehors du temps scolaire (sorties tard le soir, assister à une cérémonie de remise des diplômes…) ».
« Il faut revoir les sanctions, le corpus disciplinaire, en simplifiant les procédures, en allégeant les recours, et en revoyant la composition des conseils de discipline » suggèrent les rapporteurs qui souhaitent également une « harmonisation des sanctions au niveau national ».
Les rapporteurs veulent enfin que l’on mette fin au « pas de vague » en rappelant le principe selon lequel les chefs d’établissements ne sont pas évalués en fonction du nombre de signalements effectués comme la possibilité ouverte à tout enseignant de signaler directement un « fait établissement » au ministère, sans passer par le chef d’établissement.
La sécurité dans et autour des établissements doit être aussi assurée en généralisant les moyens d’alerte directe entre un établissement scolaire et les commissariats ou gendarmeries (bouton d’alerte, ligne directe, …) mais aussi en nouant, dans les quartiers marqués par un niveau élevé de violence des mineurs, des partenariats renforcés entre les établissements scolaires, la police et les procureurs. Selon les rapporteurs, il devrait être aussi permis la mise en place de caméras de vidéoprotection filmant l’extérieur de l’établissement scolaire « sans l’accord de son conseil d’administration ». ■
* Mission conjointe de contrôle sur le signalement et le traitement des pressions, menaces et agressions dont les enseignants sont victimes
(1) Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.