Cela fait plus d’un an et demi que le groupe de travail du Sénat sur les institutions réfléchit sur la façon de réformer les institutions. Placé sous la présidence de Gérard Larcher et avec comme rapporteur par le président de la commission des Lois et sénateur LR du Rhône François-Noël Buffet, le groupe de travail a rendu un rapport qui s’articule autour de 5 axes et 20 propositions. Ce nouveau document reprend de nombreux points déjà évoqués en 2018 avec un précédent rapport sénatorial qui faisait suite à la promesse de réforme des institutions du chef de l’Etat mais restée depuis lettre-morte. Tout comme d’ailleurs les rencontres de Saint-Denis qui se sont tenues à trois reprises – les 30 août, 12 octobre et 17 novembre 2023 -, et qui n’ont donné lieu à aucune « traductions concrètes ». Mais « ce n’est pas une affaire sénato-sénatoriale » a pointé le président du Sénat qui a bien pris soin de transmettre le rapport au président Macron, au premier ministre Gabriel Attal et à la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet. Et sans retour, une initiative législative sénatoriale n’est pas exclue assure Gérard Larcher.
Pour redynamiser la vie démocratique française et redonner confiance aux Français dans la vie politique et parlementaire, le Sénat entend porter le fer sur plusieurs axes à portée constitutionnelle. Le groupe de travail a notamment estimé que le retour du cumul entre le mandat parlementaire et un mandat exécutif local permettrait de redonner un nouveau souffle et de « retrouver l’ancrage territorial des parlementaires ». Et pour prévenir toute mise en cause, il est bien spécifié que cela ne serait qu’avec « un écrêtement du cumul des indemnités ». « Partant du constat de l’accroissement du sentiment de déconnexion entre nos concitoyens et leurs représentants, il a tout d’abord semblé nécessaire (…) de retrouver l’ancrage territorial des parlementaires » a ainsi justifié François-Noël Buffet exprimant la pensée de la droite sénatoriale majoritaire au Sénat. Cependant à gauche, on est farouchement opposé à cette idée. Il s’agit même « d’une ligne rouge » comme l’a expliqué le président du groupe socialiste au Sénat, Patrick Kanner.
Autre piste d’importance, la volonté de rendre « plus accessible » le référendum d’initiative partagée, en abaissant de 1/10ème à 1/20ème du corps électoral (soit de 4,8 à 2,4 millions) le seuil des soutiens des électeurs, sans modifier le seuil de parlementaires signataires. Pour éviter que le RIP ne « soit dévoyé de son objectif », le Sénat propose de « mieux assurer la complémentarité du référendum d’initiative partagée par rapport aux lois examinées par le Parlement » en prévoyant que le référendum ne pourra avoir pour effet « l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins de trois ans (et non un an comme aujourd’hui) », et ne pourra « porter sur le même objet qu’une disposition introduite au cours de la législature et en cours de discussion au Parlement, ou définitivement adoptée mais non promulguée ».
Le groupe de travail s’est également penché sur la clarification des règles relatives à la prise illégale d’intérêt (déport des élus locaux, allongement des délais de dépôt des déclarations d’intérêts des élus locaux…).
« Il paraît important de rétablir l’équilibre et de préserver les prérogatives du Parlement » a rappelé François-Noël Buffet. C’est donc sans surprise que le Sénat a choisi d’enfoncer le clou sur le renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement en s’attaquant notamment au recours aux ordonnances (article 38 de la Constitution). Inquiet d’une jurisprudence du conseil constitutionnel datant de 2020 qui souligne qu’une ordonnance non ratifiée par le Parlement pourrait avoir force de loi une fois passé le délai d’habilitation, les sénateurs proposent plutôt une réécriture de la constitution en stipulant que les ordonnances ne peuvent avoir force de loi « qu’à compter de leur ratification express » et « jusqu’à cette ratification, elles ont une valeur réglementaire ». Les lois d’habilitation devront également définir précisément le domaine d’intervention, l’objet et la finalité des mesures que le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance.
Renforcement du contrôle du Parlement encore sur les nominations de l’article 13 de la Constitution en prévoyant que le veto du Parlement s’applique dès que le seuil des 3/5ème de votes négatifs est atteint au sein d’une seule des deux commissions permanentes concernées. Pour le groupe de travail, il faut aussi revoir les modalités de désignation des membres français de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en organisant une audition des candidats français à ces postes par les commissions spécialisées des deux assemblées.
Enfin et alors que des bruits de bottes se font entendre à l’Elysée, le Sénat entend organiser « un débat annuel sur l’ensemble des interventions des forces armées à l’étranger qui ont fait l’objet, dans l’année qui précède, d’une autorisation de prolongation à l’expiration du délai de quatre mois actuellement prévu à l’article 35 de la Constitution ».
Cherchant la bonne solution pour des débats parlementaires respectueux des prérogatives du Parlement, le groupe de travail propose d’encadrer les droits du Gouvernement (recours à la procédure accélérée, temps de parole, droit d’amendement) mais aussi de modifier les règles de détermination des semaines de séance et fusionner les semaines de contrôle et d’initiative.
Le droit d’amendement fait l’objet d’une proposition bien spécifique. « Pour redonner sa place à l’initiative parlementaire » explique les sénateurs, il importe « d’élargir la recevabilité des amendements à ceux qui relèvent d’une matière en lien, même indirect, avec le projet ou la proposition de loi déposé (article 45 de la Constitution) » écrivent-ils en pensant aux « cavaliers législatifs » et tout particulièrement aux amendements déposés sur la loi immigration et sèchement retoqués par le conseil constitutionnel. Conseil constitutionnel qui fait d’ailleurs l’objet d’une proposition avec la volonté de supprimer la présence des anciens Présidents de la République comme membres de droit et à vie en son sein.
Si l’ensemble de ces propositions sont approuvées par une « majorité des suffrages exprimés » comme l’a indiqué Gérard Larcher, plusieurs sujets sont pourtant absents « faute de position majoritaire » (durée et nombre de mandats présidentiels, réforme de la Cour de Justice de la République…). Si l’une des séances de travail a été consacrée à l’avenir institutionnel des Outre-Mer, « sujet, qui mérite de poursuivre la réflexion, fera l’objet de réunions futures », n’a donc pas été intégré au rapport. Quant à la proportionnelle, elle n’entre pas dans la réflexion du Sénat « car ça concerne l’Assemblée nationale » a souligné Gérard Larcher. Toutefois, en annexe du rapport, les oppositions ont pu faire valoir leur positions (reconnaissance du vote blanc, valorisation des dispositifs de démocratie participative…) et leur volonté de « déprésidentialiser » la Constitution pour « démocratiser les institutions » comme exprimée par le groupe socialiste, écologiste et républicain. ■
Les 5 axes du rapport
• Retrouver l’ancrage territorial des parlementaires et dynamiser la démocratie locale ;
• Faciliter le recours au référendum et sécuriser la consultation des électeurs ;
• Clarifier la responsabilité des élus dans l’exercice de leurs fonctions ;
• Renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement ;
• Renforcer l’efficacité de la procédure parlementaire et le respect des prérogatives du Parlement.