“Le premier enjeu de ce texte est celui de la lutte contre la délinquance. Nous nous sommes rendus compte que les délinquants motivés par le lucre n’étaient plus tant freinés par le risque carcéral que par celui de perdre le patrimoine issu de l’infraction” expliquait en commission mixte paritaire, la sénatrice Muriel Jourda, rapporteure pour le Sénat de ce texte déposé par le député Jean-Luc Warsmann (Liot) en avril 2023, avant d’ajouter : « l’autre intérêt de ce texte, plus accessoire, est qu’il permet à l’Etat de récupérer quelques subsides et actifs pour lutter contre la délinquance ».
L’objectif de ce texte est donc bien de viser le délinquant là où le bât blesse, c’est-à-dire au portefeuille. Il instaure toute une série de mesures techniques « arides » destinées à venir appuyer le travail des enquêteurs, des magistrats et de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), L’objectif est « de faire connaître ces procédures de saisie et de confiscation, de les rendre suffisamment simples pour que les magistrats puissent s’en emparer, et de veiller à leur efficacité », alors qu’aujourd’hui sont confisqués environ 30 % des biens saisis, « ce qui n’est pas beaucoup » ont déploré plusieurs parlementaires.
L’un des points saillants de ce texte de compromis a été apporté par les députés qui ont choisi de faire de la confiscation une peine complémentaire obligatoire. Les biens saisis qui sont l’objet, le produit ou l’instrument de l’infraction seront automatiquement confisqués. « C’est un tournant important dans la pratique judiciaire » a salué le ministre des comptes publics, Thomas Cazenave.
Pour leur part, les sénateurs ont souhaité réparer un oubli assez ancien mais révélé par la pratique : à l’issue de l’enquête ou de l’instruction, il était jusqu’ici impossible de gérer les biens saisis car il fallait attendre, parfois assez longtemps, que le tribunal ait statué sur le sort de ces derniers. « D’un commun accord et en lien avec la Chancellerie, nous avons élaboré une procédure palliant cette difficulté » a alors indiqué Muriel Jourda.
La liste des avoirs éligibles à une confiscation a également été élargie aux « comptes d’actifs numériques », « extrêmement importants dans la lutte contre le trafic de drogue ».
« En résumé, les saisies seront plus rapides et plus efficaces, les procédures d’appel accélérées, la confiscation obligatoire étendue et l’indemnisation des victimes plus généreuse » s’est félicité Jean-Luc Warsmann. Ce texte signe « le renforcement d’un volet majeur de notre arsenal de lutte contre la criminalité organisée (...) et donne corps à l’adage qui veut que le crime ne paie pas » a conclu Thomas Cazenave. ■
Le regard de l’agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués
En 2023, le bilan de l’Agrasc a été exceptionnel.
En 2023, le montant des saisies a doublé par rapport à 2022, passant de 771 Me à 1,444 Ge, tandis que celui des confiscations a augmenté de 20 Me pour atteindre 175 Me. Les versements effectués par l’Agrasc en 2023 s’élèvent à 272,4 Me contre 171 Me en 2022 et le solde CDC est passé de 1,7 Ge à 2,2 Ge à la fin de l’année 2023.
Quelle différence faut-il faire entre saisie et confiscation ?
La saisie est une mesure légale temporaire qui permet à l’autorité compétente (enquêteurs et magistrats) de prendre possession provisoire d’un bien pour des besoins d’enquête ou de procédure judiciaire, comme la collecte de preuves, la préservation des biens en vue d’une confiscation potentielle.
La confiscation est une mesure définitive qui intervient après le jugement, prononcé par une juridiction. C’est une peine complémentaire qui entraîne la perte permanente du bien par son propriétaire. Elle intervient dans un second temps.
Qu’en est-il de la redistribution des sommes gérées par l’agence ?
La redistribution se ventile entre : le budget général de l’Etat, la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et les conduites addictives (MILDECA) pour les biens exclusivement saisis dans le cadre d’affaires liées au trafic de stupéfiants, le Fonds de lutte contre la prostitution, l’Agence Française de développement pour les biens mal acquis, les fonds de concours pour les ministères et les parties civiles pour les indemnisations.
Quel est l’impact de la proposition de loi Warsmann pour l’Agrasc ?
Pour l’agence ce sont de nouvelles missions :
• La loi permet d’étendre les affectations à titre gratuit des biens meubles corporels avant jugement et confisqués aux services de l’administration pénitentiaire, aux établissements publics placés sous la tutelle du ministère de la Justice comme l’Agrasc et, après confiscation, à un EPA d’un parc naturel ou un syndicat mixte d’aménagement et de gestion d’un parc naturel ; aux fondations ou associations reconnues d’utilité publique ; aux fédérations sportives.
• L’Agrasc peut vendre avant jugement les biens meubles saisis si les frais de conservation sont trop élevés par rapport à leur valeur économique, ou si leur entretien nécessite des compétences spécifiques. Cette disposition permettra de substantielles économies.
• L’Agrasc devient compétente pour la gestion et la vente des biens non-restitués et des biens dévolus à l’Etat et aura la possibilité de non-restitution en cas de classement sans suite, non-lieu, relaxe ou d’absence de prononcé de confiscation.
Des nouvelles pratiques
• Les fonds issus d’une décision de non-restitution rentrent désormais dans l’assiette d’indemnisation des victimes.
• Les victimes ont désormais 6 mois (au lieu de 2) pour saisir l’Agrasc afin d’être indemnisées.
• Les agents de l’Agrasc auront accès au fichier dit FIDJI de la DGFip, qui rassemble toutes les informations relatives à un bien immobilier, facilitant ainsi le traitement des dossiers.
• La Communication à l’Agrasc des décisions de confiscation et des décisions de saisies est désormais obligatoire. Ceci permet d’accélérer le traitement des dossiers et garantie la traçabilité des biens confiés en gestion à l’agence.
• La confiscation d’un bien immeuble vaut titre d’expulsion. Ceci aura pour effet de réduire les délais de vente des immeubles par des procédures longues.
• Biens mal acquis : les recettes de tous les biens confisqués (et non plus les seuls cessions) seront restituées au plus près des populations.
• La Confiscation générale du patrimoine est prévue pour les infractions de corruption ou de trafic d’influence passifs et actifs punies de 10 ans d’emprisonnement. Possibilité pour le TC ou la CA de remettre tous les biens confisqués à l’Agrasc (y compris tous ceux saisis préalablement).