Il inclut des économies industrialisées et d’autres émergentes, des nations riches et d’autres pauvres ; développe plusieurs structures sociodémographiques (par exemple, des sociétés vieillissantes et d’autres trop jeunes…). L’espace francophone mélange le traditionnel et le moderne, parfois au sein d’un même pays ; comprend plusieurs religions ; renferme une grande diversité culturelle et ethnique. Il possède une biodiversité environnementale, climatique et énergétique importante... En somme, l’espace francophone englobe toutes les diversités qui font aujourd’hui la complexité du monde, les dangereux écarts de développement et les grandes difficultés de la diplomatie multilatérale.
La diplomatie multilatérale était, en effet, à même de mieux gérer les transformations et ruptures auxquels les États étaient confrontés et auxquelles ils savaient plus ou moins s’adapter. Ce qui a le plus changé ces dernières décennies c’est la rapidité et la succession continue de ces changements à forts impacts (technologique, écologique, politique, sociologique, informationnel…). Les enjeux et les défis du monde d’aujourd’hui se complexifient de plus en plus, le monde politique ne s’est jamais senti autant inquiet, parfois impuissant, face aux nombreux changements et transformations de différentes natures qui touchent toutes les sociétés et quasiment les pays du monde entier.
Existe-t-il une véritable diplomatie francophone face à ces ruptures ? La réponse est mitigée. Bien sûr, il existe des organisations internationales spécialisées (OIF, AUF, APF, TV5…) ; bien sûr il existe les groupes d’ambassadeurs francophones ici et là… Mais, la Francophonie n’échappe hélas pas aux mêmes écueils et difficultés actuelles du multilatéralisme ! A savoir : comment trouver les intérêts convergents dans un espace francophone si diversifié afin de le rendre plus attractif et influent ?
Après plusieurs évolutions successives de l’intérêt porté à la Francophonie, le premier enjeu aujourd’hui de la mise en commun des dissemblances de l’espace francophone, est donc d’accéder à une meilleure connaissance de l’espace dans sa diversité et de réaliser un travail de fond pour la convergence des intérêts basé sur cette même diversité qui intègre forcément cette complexité multiple que le politique, et parfois le monde économique, ont du mal à gérer. Peut-on, par exemple, parler d’une convergence d’intérêt au nom de la francophonie économique, entre Airbus et bombardier ! Difficile.
En revanche, la diplomatie scientifique, qu’elle soit, classique et officielle, ou, parallèle et indirecte, est en forte croissance. Elle implique l’institutionnalisation de la relation de collaboration entre les « preneurs de décisions » et les « développeurs des savoirs » à l’échelle mondiale. Bien entendu, il faut immédiatement préciser que la dimension scientifique de la diplomatie n’exclut ni celle politique, ni économique, ni sécuritaire... mais vient plutôt en appui à tous les niveaux. Cette diplomatie d’appui, qui permettrait de dépasser un grand nombre des difficultés évoquées plus haut, est encore faible dans l’espace francophone.
Ce constat, permet de rappeler que la Francophonie est loin d’être un simple enjeu linguistique et qu’il convient de mettre davantage en valeur le sens polysémique de ce concept pour mieux saisir les enjeux stratégiques politico-diplomatiques qui en découlent. Il est à ce niveau possible de citer plusieurs exemples où la diplomatie scientifique francophone pourrait sans doute être la meilleure réponse à ces enjeux.
Comment développer une plus grande connaissance mutuelle intra-espace francophone au-delà des stéréotypes et des rapports de sécurité ? L’éducation à long terme, oui, mais surtout par la mobilité des compétences (étudiants, enseignants, chercheurs, entrepreneurs…) à court terme. Un tel programme dédié à l’espace francophone n’existe pas encore (1).
Comment construire un espace économique de la Francophonie sans un système commun de formation ? Une plus grande convergence des approches de formation tout au long de la chaine de valeur éducative (primaire, secondaire et surtout professionnelle et universitaire) permettrait d’avoir des compétences francophones qui parleront le même langage et qui porteront naturellement le rapprochement économique. Ainsi, la mise en réseau et la mobilisation des compétences et entrepreneurs francophones deviendraient plus faciles et plus efficientes (2).
Comment maîtriser les systèmes d’innovation et leur multiple impact ? Très disparate dans l’espace francophone, la recherche et développement est un système qui maitrise très peu les dimensions d’impact, rarement universelles. Ainsi, si la technologie de l’intelligence artificielle est plutôt universelle, ses effets économico-socio-culturelles sont très différents d’un pays à l’autre, d’un secteur à l’autre. Le rapprochement entre les politiques et les scientifiques permettrait donc un meilleur éclairage de la complexité des enjeux et défis de codéveloppement. Sans nier les intérêts de chaque nation, la mise en commun des connaissances permet d’éviter de creuser davantage les écarts induits par les innovations à impact qui touchent tout le monde ; la crise du Covid en est une excellente illustration.
Comment aborder autrement la question des flux migratoires ? A l’intérieur de l’espace francophone, certains pays parlent de fuite des cerveaux, et à juste titre, et d’autres d’immigration choisie, et c’est légitime. Mais au-delà des récupérations politiques et des discours partisans, sécuritaires et idéologiques, les scientifiques pourraient réfléchir, de manière pluridisciplinaire et sereine, à des approches neutres, plus pragmatiques et proposer des solutions ’gagnant-gagnant’ complémentaires et intégrées dans l’espace commun.
La diplomatie scientifique francophone est en définitive la collaboration entre les scientifiques et les politiques dans un espace francophone qui, au-delà d’une langue de partage, valorise les intérêts communs face à une compétitivité internationale accrue (3). Face aux défis de l’avenir, la mobilisation d’une véritable diplomatie scientifique multilatérale de convergence dans l’espace francophone n’est donc pas évidente, mais n’est clairement pas impossible à condition qu’elle soit portée par une véritable volonté politique. ■
1. L’AUF, soutenue par les ministres en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche de l’espace francophone, propose lors du sommet de Villers-Cotterêts 2024 ; un programme de mobilité pour l’espace francophone, intitulé : PIMEF « Programme International de Mobilité et d’Employabilité Francophone » … (https://www.auf.org/nouvelles/actualites/la-7eme-conference-ministerielle-francophone-sest-tenue-quebec).
2. L’AUF compte à ce jour 1100 universités et centres de recherche membres de son réseau de francophonie scientifique, issus de près de 120 pays. 1er réseau universitaire au monde.
3. L’AUF a piloté la rédaction d’un document de référence : « Le Manifeste pour une diplomatie scientifique francophone », adopté au Caire en 2022 par les ministres en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche ; et cosigné à ce jour par 42 gouvernements de l’espace francophone. https://www.auf.org/nouvelles/actualites/le-manifeste-pour-une-diplomatie-scientifique-francophone-est-disponible.
L’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) a été créée en 1961 et depuis cette date elle a beaucoup évolué, s’est étendue et ses missions avec. Le réseau de l’AUF est constitué de plus de 1000 établissements-membres dans plus de 120 pays. C’est pourquoi nous affirmons sans ambages que l’AUF est le premier réseau universitaire au monde. L’AUF déploie sa stratégie dans dix directions régionales. Une présence sur les cinq continents révèle une grande diversité des besoins en matière d’éducation, d’enseignement supérieur, de recherche ; une présence et des formes de francophonie diverses et des niveaux de développement très variés d’un pays à l’autre. La stratégie « standard/adaptée » de l’AUF permet de répondre à des préoccupations communes (employabilité, numérique, formation de formateurs, etc.), tout en prenant en considération les spécificités locales (besoins, état d’avancement, etc.). Des projets ainsi coconstruits sont adéquation aux préoccupations locales et créent une implication et un engouement des parties prenantes.
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