Ainsi, la voiture électrique est vue comme une solution pour réduire l’impact climatique des voitures, et se trouve soutenue par les pouvoirs publics, développée par les constructeurs et de plus en plus adoptée par les usagers. Avec en ligne de mire la fin de vente des voitures thermiques prévue pour 2035 dans l’UE, les ventes de voitures électriques ont fortement augmenté jusqu’à représenter 17 % des ventes sur l’année 2023 en France et seulement un peu plus de 2 % du parc automobile français actuel.
Pour juger si cette électrification est une bonne nouvelle et nous mène vers une mobilité durable, il faut regarder ses avantages et inconvénients sur différents impacts environnementaux, sociaux et économiques, ou encore en termes de santé et de qualité de vie.
Des gains sur le climat, la pollution de l’air et la pollution sonore
Sur la phase de production du véhicule, l’électrique est plus émetteur de gaz à effet de serre que le thermique, en raison de l’ajout de la batterie.
C’est dans l’utilisation du véhicule que l’impact climatique sera compensé, surtout pour les pays au mix électrique fortement décarboné. En France, parmi les pays les plus favorables sur ce dernier point, la dizaine d’études que l’on a sur le sujet montre que la voiture électrique permet de diviser par 2 à 5 les émissions de gaz à effet de serre, en comparaison avec une voiture thermique (les différences entre les études s’expliquent différentes hypothèses de capacité de la batterie, pays de production, durée de vie du véhicule, etc.).
Alors que les autres carburants alternatifs au pétrole (hydrogène, biogaz, agrocarburants, ou carburants de synthèse) ne sont pas aussi adaptés aux véhicules légers, l’électrique est la solution privilégiée et même indispensable à l’atteinte de nos objectifs climatiques dans les transports.
Mais cela ne doit pas cacher que cette électrification n’est pas suffisante pour permettre des baisses d’émissions des voitures compatibles avec les objectifs de l’Accord de Paris.
En ce qui concerne la pollution de l’air, qui impacte notre santé, les véhicules électriques ont l’avantage de supprimer les émissions à l’échappement, aussi bien pour les particules fines (PM), les oxydes d’azote (NOx) ou autres pollutions de la voiture thermique. Cependant, pour les émissions de particules, il existe aussi des émissions hors échappement, qui représentent désormais de l’ordre de la moitié des émissions de PM10 et PM2.5 des transports routiers en France, à force de progrès sur la réduction des particules d’échappement. Les véhicules électriques permettent de réduire les émissions de particules issues des freins grâce au freinage régénératif, mais les émissions sont plus fortes pour les particules issues des pneus et de la chaussée, en raison de leur poids plus important. Au total, les émissions de particules sont un peu plus faibles pour l’électrique, d’autant plus lorsque le poids du véhicule est limité.
La pollution sonore, un facteur important de qualité de vie et de santé, se trouve également diminuée par le passage à l’électrique, sans non plus disparaître. En effet, le bruit des véhicules thermiques ne vient pas seulement du moteur, mais aussi des frottements des pneus et des bruits aérodynamiques, d’autant plus importants lorsque la vitesse augmente.
De nombreux impacts de la voiture non résolus
D’autres problématiques liées à la voiture restent inchangées avec le passage à l’électrique.
Il s’agit notamment de la consommation d’espace des voitures, aussi bien pour leur circulation que leur stationnement. Ces infrastructures de transport ont notamment des impacts en termes d’artificialisation des sols, de fragmentation des espaces naturels, ou encore de renforcement des phénomènes d’îlots de chaleur urbain.
Les problématiques d’accidentologie restent également inchangées avec le passage à l’électrique.
La voiture est aussi un mode inactif, et l’inactivité physique et la sédentarité sont une problématique de santé publique majeure, qui devrait nous inciter bien plus fortement à encourager les mobilités actives telles que la marche ou le vélo.
La problématique d’inégalités d’accès à la mobilité peut être renforcée ou réduite par le passage à l’électrique. Avec un coût plus élevé à l’achat, au moins pour le moment, la diffusion de la voiture auprès des populations les plus fragiles financièrement est compliquée, mais les coûts d’usages sont ensuite bien plus faibles. Au global, le coût de possession est similaire entre voitures thermiques et électriques en France, et reste important en comparaison à l’usage des transports collectifs, du covoiturage ou encore plus des mobilités actives.
Enfin, sur les consommations de ressources et notamment de certains métaux (lithium, cobalt, nickel, cuivre, etc.), le véhicule électrique peut entraîner des tensions nouvelles par rapport à la voiture thermique, en termes de difficultés d’approvisionnement et de volatilité des prix, de limitation de certaines ressources ou encore de pollutions en lien avec leur exploitation. Ces problématiques sont bien évidemment à mettre en regard des impacts évités en se séparant de la dizaine de tonnes de pétrole qu’une voiture thermique consomme sur l’ensemble de son cycle de vie.
Repenser les véhicules et la mobilité actuelle
Ce passage en revue de différentes problématiques liées à la voiture montre que l’électrification ne répond que très partiellement aux enjeux de mobilité durable. Il faudra donc aller au-delà d’un simple passage à l’électrique du parc de voitures.
Il s’agit d’abord de revoir le dimensionnement des véhicules utilisés, surdimensionnés pour l’immense majorité des usages du quotidien. Ainsi la voiture possède généralement 5 places, peut aller jusqu’à 180 km/h, pèse de l’ordre de 1,3 tonne, avec des centaines de kilomètres d’autonomie pour les véhicules électriques, alors que les usages les plus fréquents sont pour une seule personne, souvent sur des routes limitées à 80 ou 90 km/h maximum (plus rarement jusqu’à 130 km/h), pour des distances de quelques kilomètres à quelques dizaines de kilomètres.
Bien souvent à l’opposé des tendances actuelles marquées par des véhicules plus lourds et par la mode des SUVs, il faut développer à l’avenir des véhicules bien plus sobres, plus petits, légers, moins rapides, plus aérodynamiques, avec une autonomie limitée. On peut citer parmi eux les véhicules intermédiaires entre le vélo et la voiture, qui vont du vélo à assistance électrique (VAE) à la mini-voiture, en passant par les vélos cargos, les speed-pedelecs (vélos assistés jusqu’à 45 km/h) ou encore les vélos-voitures (voir à ce sujet le projet de l’Extrême Défi de l’ADEME).
Plus globalement, il faut aussi revoir la place et les usages de la voiture dans la mobilité, en agissant sur les 5 leviers de décarbonation des mobilités, à savoir : la modération de la demande de transport, en retrouvant davantage de proximité au quotidien et en réduisant les plus longs trajets ; le report modal, en favorisant autant que possible (et dans cet ordre) la marche, le vélo, le train, les bus et cars, bien avant la voiture et l’avion dont l’usage doit être réduit ; en améliorant le remplissage des véhicules, notamment avec le levier du covoiturage ; l’efficacité énergétique, qui concerne aussi la réduction de vitesse sur les routes, en plus des leviers de véhicules plus sobres et électrifiés ; et enfin la décarbonation de l’énergie, en particulier par l’électrification quand celle-ci est possible.
C’est en combinant ces leviers technologiques et de sobriété qu’il sera possible de répondre aux objectifs climatiques et tendre vers une mobilité durable.
Pour ce qui concerne la voiture, l’électrique doit ainsi être encouragé, car c’est la meilleure alternative pour se séparer du pétrole, mais cela ne peut être vu et envisagé comme une unique solution miracle… car elle ne l’est pas.
Ainsi, l’électrique est assurément l’avenir de la voiture, mais la voiture individuelle ne doit pas être l’avenir de notre mobilité. â–
Pour aller plus loin : Les travaux de recherche d’Aurélien Bigo sont à retrouver sur http://www.chair-energy-prosperity.org/publications/travail-de-these-decarboner-transports-dici-2050/, et un article plus complet sur la voiture électrique : https://bonpote.com/la-voiture-electrique-solution-ideale-pour-le-climat/