Malgré des économies de 4,5 Mrds€ sur le système de santé en 2025, la trajectoire budgétaire reste inchangée les trois prochaines années. La branche santé engendre 80 % des déficits de la sécurité sociale en 2025 (13,5 sur les 16 milliardse,) tout comme en 2027 (14 sur 17 Mrds€).
Ne proposant aucune restructuration à court et à moyen terme, le projet budgétaire souffre d’un grand conservatisme qui ne peut qu’affaiblir un peu plus encore un système déjà sur le déclin, tout en conservant le déficit des comptes publics.
Parmi les économies, le taux de remboursement public de la consultation médicale devrait passer de 70 % à 60 %, pour une économie de 1,1 Mrd €. Ce transfert vers les mutuelles a déjà eu lieu en dentaire en 2023, avec des conséquences très néfastes pour les assurés et le système de santé.
Outre cette idée dangereuse et inefficace, aucune restructuration du système de santé n’étant envisagée, le reste des économies se fera en rabotant les prix des services et produits de santé, aggravant mécaniquement la situation de pénurie actuelle.
Une facilité du transfert vers le privé lourde de conséquences
Si vous demandez à un enfant de 10 ans : « un système à deux étages finance les dépenses de santé, comment ferais-tu pour que le premier étage en finance moins, sachant que le deuxième étage n’aspire qu’à s’étendre ? ». Il propose la même chose que le gouvernement : transférer du financement au deuxième étage. Et le transfert c’est plus d’un milliard d’euros de rente supplémentaire (le ticket modérateur), composée de flux financiers encadrés, sans aucun risque.
En octobre 2023, une telle mesure a déjà été prise sur la plupart des soins dentaires, dont le remboursement public est passé de 70 % à 60 %. C’est ainsi que les cotisations des complémentaires santé ont augmenté de 10 % en 2024 (Previssima, 27/9/2024), soit une hausse globale de 4 Mrds€ (au lieu de 1 à 1,5 Mrd€ par an les années précédentes), pour des économies estimées à 500 Me pour l’assurance maladie.
Cette disproportion de la hausse des cotisations est le signe d’un dysfonctionnement profond de ce marché dont l’opacité de l’information fausse la concurrence et rend l’usager captif et vache à lait des opérateurs. Si ce déremboursement est une économie pour l’assurance maladie, c’est un transfert vers le financement privé très coûteux et inéquitable pour le citoyen.
Les principales victimes de cette hausse disproportionnée sont les retraités de la classe moyenne, qui financent 100 % des contrats dont les coûts sont trois fois supérieures à ceux des actifs, ces derniers ne supportant que 50 % de la charge (le reste étant financé par l’employeur), une autre aberration du système.
Avant la sortie du Plfss 2025, la hausse prévue des cotisations des mutuelles était de l’ordre de 8 % pour 2025, soit 150 € par retraité et 3,5 Mrds€ au global. Si ce transfert est voté, la hausse sera bien au-delà de 10 %, approchant les 250 € par retraité et 5 Mrds€ au global. Cette dépense contrainte s’ajoutera à la désindexation sur 6 mois des pensions en 2025.
Le coût d’un contrat santé représente plus d’un mois de pension pour cette classe moyenne, sans garantie d’accès aux soins nécessaires de spécialistes, mal couverts par la majorité des contrats souscrits.
En réalité, ce transfert de dépenses du public vers le privé va à l’encontre d’une recherche d’économies au global, d’autant plus qu’il génère mécaniquement des centaines de millions de frais de gestion à la charge des assurés.
La part des frais de gestion des mutuelles n’a pas reculé depuis dix ans (>20 % des cotisations), pour un montant en 2023 supérieur à 8 Mrds€, sur un total de 16 Mrds€ pour le système de santé, un record en Europe (Drees, 2023). Une réforme structurelle dissociant les paniers de soins financés par les assureurs publics et privés ferait mécaniquement économiser un tiers (5 Mrds€) de ces dépenses improductives.
Levier pour la financiarisation des soins primaires
Les quelque 400 organismes d’assurance privé en santé n’ont aucune incitation à optimiser la qualité des services délivrés. L’objectif commun est de réduire le coût des sinistres en baissant le coût des soins. La prévention n’est utilisée qu’à des fins marketing et représente moins de 0,5 % des dépenses (contre 2 % pour l’assurance maladie, montant déjà trop faible).
La conséquence quasi inévitable de cette privatisation du financement est donc la financiarisation de l’offre de soins primaires, i.e. la constitution de groupes financiers permettant de réduire le point mort économique de l’exercice médical le plus bas possible (offre low-cost). Cela passe par le salariat de professionnels les moins qualifiés, les plus corvéables et capables d’accepter la marchandisation de la consultation médicale
Les exemples de financiarisation des soins se sont multipliés en France ces dernières années, au point d’avoir suscité une mission d’information au Sénat, qui a rendu un rapport alarmant (septembre 2024). Le vote au Parlement d’une mesure favorisant son développement n’en serait donc que plus paradoxal.
Les exemples d’escroqueries financières et de scandales sanitaires en lien avec cette nouvelle offre financiarisée se sont multipliés ces dernières années, dégradant la qualité moyenne des soins dans les secteurs concernés.
Est-ce qu’une mesure aussi néfaste pour la santé des citoyens peut être considérée à terme comme favorable aux comptes de la sécu ?
Pas de maîtrise des dépenses sans réforme structurelle
Les trois défis contemporains à relever en santé - permettre un vieillissement en bonne santé de la population (seule la bonne santé réduit la demande de soins), optimiser le parcours de soins des patients chroniques, et diffuser massivement les innovations, sans lesquelles les gains d’efficiences sont marginaux – exigent de restructurer l’ensemble du système (gouvernance, organisation, financement).
Préférer la facilité comptable du rabot à la réforme structurelle engendre mécaniquement à court terme un recul de l’accès aux soins (pénuries de personnel et de médicaments), nourrit la hausse des dépenses générée par la mauvaise santé, et détruit le modèle universel solidaire.
Et ceci, sans résultat probant sur le rétablissement de l’équilibre budgétaire de l’assurance maladie qui présentera un déficit abyssal de plus de 15 Mrd € en 2028 (soit 75 % du déficit de la sécu).
Concernant les économies de court terme, M. Barnier pourrait regarder du côté de la réforme du système de financement et de la gouvernance de la santé en France.
Pour la première, le passage d’un financement à deux étages pour la même prestation (sécu + complémentaires) à un système à un seul étage où le financeur privé aurait la charge de prestations spécifiques et distinctes (centrées sur la prévention) de la sécu générerait des économies immédiates de plusieurs milliards d’euros, tout en améliorant la lisibilité et l’efficacité de la gestion du risque santé.
Quant à la gouvernance, le principe est de la professionnaliser et de la décentraliser, comme ce fut le cas au XXème siècle avant l’étatisation du système. Que ce soient les agences sanitaires nationales, régionales ou les grands hôpitaux publics, la gouvernance doit être dominée par des compétences scientifiques en santé et au plus près des besoins, pour minimiser la bureaucratie et viser l’efficience.
La technostructure doit redevenir l’intendance au service des professionnels et des usagers et non pas le seul réel pouvoir de décision.
« Le pire n’est pas toujours sûr », selon Paul Claudel.
Il n’en demeure pas moins que tant que les leaders politiques montreront aussi peu de volonté pour lancer une refondation du système dont on connaît l’essentiel du contenu, le choix n’existera qu’entre de mauvaises solutions.
Ce budget 2025 en est l’illustration. ■
*Auteur de « Les itinérants de la santé. Quel futur pour notre système de santé ? » - Éditions Michalon – Octobre 2024.