Alors qu’en mai la commission des comptes de la sécurité sociale avait prévu pour 2024 un déficit de 16,6 milliards d’euros, il atteindra finalement 18 milliards d’euros (Md€). Ce dérapage est dû à un optimisme excessif sur les recettes fiscales et sociales et à l’absence de mesures rectificatives, lesquelles auraient dû intervenir au moment des élections européennes.
En 2024, les dépenses de la branche maladie ont augmenté de 0,67 % par rapport aux prévisions, tandis que les recettes ont baissé de 1,84 %, principalement à cause d’une dégradation des perspectives macroéconomiques, notamment pour la masse salariale du secteur privé, entraînant une révision à la baisse des encaissements de CSG (23 % des recettes de la branche maladie).
L’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), globalement respecté entre 2010 et la pandémie de Covid, peine à se stabiliser depuis 2020. Pour 2024, le PLFSS présenté fin 2023 le prévoyait à 254,9 Md€ ; mais il est finalement revu cet automne à 256,1 Md€, soit 1,2 Md€ de dépassement. Il s’avère que les dépenses de soins de ville ont été sous-estimées, notamment les indemnités journalières et les honoraires des médecins spécialistes.
Face à cette situation, le gouvernement cherchera à réaliser, l’année prochaine, 14,8 Md€ d’économies. A périmètre constant, l’Ondam augmenterait malgré tout en 2025 de 7,8 Md€, par rapport à la cible rectifiée pour 2024, s’établissant à 263,9 Md€. Cette augmentation, de l’ordre de 2,8 %, est cependant bien en-deçà de ce que serait une augmentation des dépenses de santé sans mesures d’économies. En effet, le gouvernement estime que l’évolution tendancielle des dépenses de santé, si aucune mesure d’économie n’était mise en œuvre, serait d’environ 4 % à 5 % (4,7 % pour 2025 selon l’annexe du PLFSS). Il s’agit donc bien d’une baisse relative par rapport à la trajectoire. Ainsi, contrairement à ce qu’on entend encore trop souvent : la politique conduite par le gouvernement ne vise pas à faire baisser les dépenses de santé, mais à tenter de contenir cette augmentation. Ce qui n’est pas exactement la même chose.
Les dépenses de soins de ville sont particulièrement dans le viseur de l’exécutif. Afin d’atteindre une augmentation contrôlée à hauteur de 1,9 % en 2025, le gouvernement a introduit dans le PLFSS des mesures devant permettre à l’Assurance maladie de baisser unilatéralement les tarifs de biologie et d’imagerie médicale et de soumettre à des procédures plus rigoureuses la prescription de certains actes et produits de santé. En commission des affaires sociales, les députés ont cependant adopté des amendements supprimant ces dispositifs – sans certitudes sur l’avenir de ces modifications en séance, ou en cas de recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution par le Premier ministre.
L’évolution de l’Ondam tient également compte de la baisse de la prise en charge des consultations médicales par l’Assurance maladie, de 70 % à 60 %. Cette mesure, qui devrait permettre d’économiser 1,1 Md€ en 2025, ne figure pas dans le PLFSS : elle relève en effet du pouvoir réglementaire.
Les établissements de santé bénéficieraient d’une augmentation plus substantielle de leur sous-objectif, passant de 105,5 Md€ en 2024 à 108,8 Md€ en 2025, soit une progression de 3,1 %.
Concernant les produits de santé (dont les dépenses sont réparties entre le sous-Ondam « ville » et le sous-Ondam « établissements de santé »), le gouvernement envisage plus de 1 Md€ de baisse de prix en 2025. La pression budgétaire conduit ainsi l’État à tirer les prix des médicaments vers le bas – le secteur pharmaceutique apparaissant par ailleurs comme une source d’économies politiquement acceptable pour l’opinion publique. Or, dans un contexte de concurrence internationale, les laboratoires priorisent les pays proposant les prix de médicaments les plus élevés – ce qui n’est pas le cas de la France (1). Dans un contexte de pénuries chroniques de produits de santé et de polémiques autour de la vente de Doliprane par Sanofi à un fonds américain, nul doute que le débat parlementaire se penchera sur la stratégie à moyen terme du Gouvernement en matière de souveraineté sanitaire.
L’Ondam médico-social prévoit une hausse notable de 6,0 % pour les établissements et services pour les personnes âgées, passant de 16,1 milliards d’euros en 2024 à 17,7 milliards en 2025. Pour les personnes handicapées, les dépenses passent de 15,2 milliards à 15,7 milliards entre 2024 et 2025, soit une augmentation de 3,3 %.
Le PLFSS, un exercice démocratique à renforcer
Face à cette situation budgétaire alarmante, malgré un calendrier contraint, les parlementaires disposent désormais d’instruments plus efficaces. En adoptant la loi organique du 15 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, portée alors par Thomas Mesnier, le Parlement a amélioré le cadre dans lequel les LFSS doivent être débattues et adoptées, ainsi que son contrôle sur leur application. Tout d’abord en créant une loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale, dont la discussion a lieu au printemps ; le contenu du PLFSS s’en trouve allégé, et les parlementaires disposent d’un temps privilégié de contrôle de l’action de l’administration. En améliorant l’information transmise au Parlement également ; les élus disposent désormais de rapports dédiés à l’exécution de l’ONDAM et à l’application de la LFSS de l’exercice clos (année n-1), ainsi que d’une annexe au PLFSS présentant la situation financière des établissements de santé. En renforçant les liens entre le Parlement et les organismes de sécurité sociale enfin ; est ainsi prévue une information rapide des députés et sénateurs en cas de dégradation des comptes en cours d’année, et une remise directe au Parlement par les caisses de sécurité sociale de leurs avis sur le PLFSS.
Plusieurs mesures permettraient tout de même de renforcer les pouvoirs du Parlement en matière de finances sociales. Tout d’abord, avoir davantage recours à des lois de financement rectificatives, pratique très courante en matière de finances de l’Etat mais très rare en ce qui concerne le financement de la sécurité sociale. Certes, ce recours n’a rien d’impératif en matière de finances sociales, car les LFSS ne sont pas des lois d’autorisation de crédits, contrairement aux lois de finances ; il permettrait cependant d’étaler, en cours d’année, la discussion des mesures paramétriques que le Gouvernement propose par dizaines à l’automne.
Ensuite, il serait opportun d’élargir le champ des LFSS aux retraites complémentaires et à l’assurance chômage, comme le propose la Cour des comptes. En effet, les régimes de retraite complémentaires ont été rendus obligatoires en 1972 et les conventions sur l’assurance chômage ne peuvent entrer en application qu’une fois agréées par le pouvoir réglementaire, et celle-ci est en grande partie financée par la CSG. Pourtant, ces finances que l’on peut considérer comme publiques échappent au contrôle du Parlement – lequel est simplement informé, par une annexe au PLFSS, de l’état de leurs comptes.
Enfin, la mise en place d’une loi pluriannuelle sur le financement des comptes sociaux, appelée par de nombreux experts, permettrait également de concevoir des mesures budgétaires de long terme, et d’éviter les mesures paramétriques de réduction des dépenses, souvent inélégamment qualifiées de « coup de rabot ». ■
Vincent Héraud, Adrien Lehman, La création d’une capacité pharmaceutique publique permettrait de garantir une production stable de médicaments essentiels, Le Monde, 23 oct.