Ce n’est malheureusement pas une surprise. Déjà en mai 2024, le déficit pour 2024, initialement prévu à 10,5 milliards d’euros, avait été revu à la hausse, à 16,6 milliards d’euros. En juillet, le comité d’alerte sur les dépenses d’assurance maladie avait estimé que ces dernières pourraient déraper de plus de 0,5 milliard d’euros, aggravant d’autant le supplément de déficit.
Avec un déficit 2024 supérieur de 7,5 milliards à la prévision initiale, on pouvait difficilement attendre des mesures de redressement du PLFSS, pourtant importantes, qu’elles fassent autre chose qu’éviter en 2025 une trop forte dégradation par rapport à la programmation d’il y a un an.
Le PLFSS pour 2025 : des mesures de redressement d’urgence
Le PLFSS pour 2025 comprend des mesures de redressement conçues pour faire sentir leurs effets dès 2025. Les deux principales sont les suivantes.
La première est le report du 1er janvier au 1er juillet de la revalorisation annuelle des retraites, indexées sur l’inflation. Selon le Gouvernement, cela permettrait d’économiser près de 4 milliards d’euros en 2025.
Comme le disait récemment Thomas Philippon, professeur d’économie à l’université de New York, dans le journal Les Echos, « On ne pourra pas faire un effort crédible sans toucher aux retraites ». Elles représentent le premier poste de dépenses de la sécurité sociale, le quart des dépenses publiques, plus de 40 % de l’ensemble des prestations sociales. Ne pas y toucher serait une injustice manifeste.
La seconde est la réforme des allégements généraux de cotisations sociales patronales, qui améliorerait le solde public d’environ 5 milliards d’euros en 2025.
A cela s’ajoutent des mesures que le Gouvernement prévoit de prendre par voie réglementaire, comme l’augmentation des cotisations patronales à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) ou la baisse du plafond des indemnités journalières.
Le Gouvernement a indiqué qu’il était ouvert à ce que des ajustements ou des solutions alternatives soient proposés lors du débat parlementaire, dès lors que le montant global des mesures de redressement demeurait inchangé. Le Parlement, en particulier le Sénat, pourrait donc modifier substantiellement le texte.
L’heure n’est plus aux atermoiements
Il convient, au-delà des mesures d’urgence, de changer radicalement de méthode.
Désormais, la question de la soutenabilité de notre système de protection sociale ne peut plus être éludée. L’heure n’est plus à l’illusion du « quoi qu’il en coûte », mais bien à une réévaluation de nos priorités, à la rationalisation des dépenses et à la responsabilisation de tous les acteurs du système.
La crise sanitaire a provoqué une explosion des dépenses de santé, mais aussi une prise de conscience de l’importance de maintenir un filet de sécurité pour les plus vulnérables. Pourtant, le choc inflationniste, la crise de l’énergie et la nécessité de financer la transition écologique imposent aujourd’hui de faire des choix difficiles. La sécurité sociale ne peut plus être vue comme une manne intarissable.
La France se doit de tracer une trajectoire budgétaire soutenable, tout en maintenant un haut niveau de protection pour les Français. L’objectif est double : assurer la continuité des soins et des prestations, tout en identifiant des marges de manœuvre pour relever les défis à venir.
A l’avenir, il s’agira de faire des arbitrages plus stricts, de concentrer les ressources sur quelques postes de dépenses jugés prioritaires : l’accès aux soins, le vieillissement, l’investissement dans les hôpitaux.
Une approche plus ciblée et équitable
Ce virage vers la fin de l’open bar doit s’accompagner d’une volonté de travailler sur la performance de la dépense, de mieux cibler les aides et les prestations, afin de rendre notre modèle social plus juste. L’idée n’est pas de réduire aveuglément les dépenses, mais de les ajuster aux besoins réels et aux capacités financières de notre pays.
Enfin, ce PLFSS doit miser sur une responsabilisation accrue des différents acteurs de notre protection sociale. Les professionnels de santé, les entreprises, les citoyens : tous seront appelés à contribuer à la maîtrise des dépenses.
Le développement de l’outil numérique via un meilleur usage du dossier médical partagé et une meilleure interconnexion dans les suites logicielles professionnelles, la lutte contre les fraudes et la prévention, en particulier l’encouragement à l’adoption de modes de vie plus sains, doivent faire partie des leviers activés pour réduire la pression sur le budget de la sécurité sociale.
Quelle trajectoire après 2025 ?
Une question essentielle est de savoir si, comme le prévoit la programmation annexée au PLFSS, on devra désormais se contenter d’un déficit en permanence d’une vingtaine de milliards d’euros à partir de 2025.
Jusqu’à présent, la position de la commission des affaires sociales du Sénat était que la programmation des LFSS devait prévoir un retour à l’équilibre à moyen terme, comme cela avait été fait dans les années 2010, après la crise des dettes souveraines.
Toutefois ce qui compte économiquement et financièrement, c’est le déficit de l’ensemble des administrations publiques. On pourrait se dire que si le Gouvernement a une programmation de finances publiques qui « fonctionne » avec un déficit de la sécurité sociale d’une vingtaine de milliards d’euros, celui-ci ne pose pas de problème.
Mais cette programmation « fonctionne »-t-elle ? Dans un avis du 9 octobre, le Haut Conseil des finances publiques a exprimé des doutes.
On pourrait a minima considérer que le déficit des Robss et du FSV ne doit pas être supérieur à l’amortissement prévisionnel de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), prévu à 16 milliards d’euros en 2025.
Quoi qu’il en soit, il conviendra de faire en sorte que le financement de la sécurité sociale soit assuré. Cela implique de ne pas laisser la dette sociale s’accumuler à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss). En effet, la loi ne permet à l’Acoss de s’endetter qu’à court terme, ce qui peut mettre son financement en péril, comme en 2020, quand du fait de la crise sanitaire l’Acoss s’est retrouvée dans l’impossibilité d’emprunter sur les marchés. Le PLFSS pour 2025 propose d’étendre de un à deux ans sa durée maximale d’emprunt, mais cela ne change pas fondamentalement les choses. Il faudra donc rapidement réaliser de nouveaux transferts de dette à la Cades, qui contrairement à l’Acoss emprunte à long terme sur les marchés et amortit la dette grâce à ses ressources fiscales. Toutefois un tel transfert nécessitera un nouveau report de l’échéance fixée pour la fin de l’amortissement de la dette sociale, actuellement fixé à 2033, ce qui impliquera une loi organique.
La fin de l’open bar
Le PLFSS pour 2025 doit marquer un tournant : celui d’un système de sécurité sociale qui doit s’adapter aux contraintes budgétaires de notre époque, tout en maintenant sa vocation première de solidarité. La fin de l’open bar ne signifie pas l’abandon de la protection sociale, mais plutôt la construction d’un modèle plus juste, plus ciblé et plus durable.
Il est de notre responsabilité collective de repenser la manière dont nous finançons et utilisons nos ressources. Cela demandera des sacrifices, mais ces efforts sont nécessaires pour garantir la pérennité de notre système de protection sociale, pilier fondamental de notre cohésion nationale. C’est un enjeu de responsabilité et de solidarité, et c’est ce vers quoi ce PLFSS pour 2025 doit nous conduire. Profitons de la crise budgétaire et politique actuelle pour jeter de nouvelles bases saines dans la gestion des comptes publics. ■