À la suite de révélations parues dans la presse, fin janvier 2024, concernant des traitements interdits pratiqués par des industriels des eaux minérales naturelles et de source, la commission des affaires économiques du sénat décidait la création d’une mission d’information sur les politiques publiques de contrôle en la matière. Ces révélations mettaient notamment à l’index Nestlé Waters (Perrier, Vittel, Hépar et Contrex) accusé d’avoir caché la contamination de l’eau puisée et du traitement qui lui était appliqué tout en conservant pour son eau la mention « minérale naturelle ». Un procédé et une méthode formellement interdits. Une eau minérale naturelle (EMN) et une eau de source (ES) se distinguent par leur « pureté originelle » qui exclut toute désinfection : « elles ont pour origine une nappe ou un gisement souterrain tenu à l’abri de tout risque de pollution » rappelle la sénatrice. Or, ces éléments fondent le discours de vente des exploitants justifiant le prix 200 fois plus élevé de l’eau minérale naturelle et 65 fois plus élevé de l’eau de source par rapport à l’eau du robinet qui, elle, ne provient pas d’une source naturellement pure et protégée et peut à ce titre faire l’objet de traitements de désinfection (ultraviolets, chloration…) fait remarquer la sénatrice qui accuse alors « Nestlé d’avoir trompé le consommateur pendant des années ».
Elle n’est pas la seule à mettre en doute la traçabilité de l’eau. En 2020, informés par un salarié des Sources Alma (qui commercialise Cristaline) de pratiques interdites, les services locaux de la DGCCRF et de la DGS déclenchent une enquête qui est même élargie à d’autres exploitants. L’enquête débouchera sur un signalement au procureur en juillet 2021 pour tromperie. Un mois plus tard, Nestlé Waters reconnaîtra avoir recours à des traitements interdits dans certaines usines de conditionnement d’EMN, comme des filtres à charbon actif et des traitements par lampe à UV mais que cela n’a jamais affecté la qualité de l’eau. « Néanmoins, insiste la sénatrice, c’est la pureté originelle, qui donne à l’EMN sa dénomination naturelle ». « Ils ont avoué parce qu’ils savaient que leurs pratiques auraient été découvertes » enchaîne l’élue. Et en « absence de signalement, ces pratiques n’auraient pas pu être décelées et auraient sans doute perduré » lui ont également certifié les services de l’Etat.
Mais le rapport se veut plus sévère encore en déplorant « la réponse tardive et confidentielle » de l’Etat sur cette question. Si le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur les usines de conditionnement d’eau en France déligenté par les ministres Agnès Pannier-Runacher et Olivier Véran montrait bien des pratiques non-conformes dans près de 30 % des cas, « aucune mesure de suivi immédiat n’a pourtant été prise pour éviter la mise sur le marché d’EMN ne remplissant pas les conditions requises pour être commercialisées » s’emporte Antoinette Guhl.
Le rapport de l’Igas soulignait également une généralisation de la microfiltration. Ce procédé qui n’est pas interdit n’est toutefois pas formellement définit. En l’absence d’harmonisation européenne et de norme nationale, le seuil de coupure de 0,8 micron était considéré comme acceptable par les autorités. Or, l’enquête de l’Igas a plutôt mis en évidence une généralisation de seuils de coupure à 0,45 micron. Dans un plan de transformation présenté à l’Etat, Nestlé Waters tout en renonçant aux procédés de désinfection interdits obtenait en contrepartie le recours à une microfiltration jusqu’à 0,2 micron. Reste que ce renoncement a pris de temps, entre un an et demi et deux ans, selon les sites, ce que déplore fermement Antoinette Guhl.
En dépit de la mise en place d’une « surveillance renforcée » du site des Vosges de Nestlé Waters notamment, celle-ci « n’a pas permis de lever les doutes quant au respect en toute circonstance des critères de pureté originelle des ressources » soupire la sénatrice. Face à ces « doutes persistants », la rapporteure préconise de « poursuivre et étendre cette surveillance renforcée », en favorisant la montée en compétence des laboratoires agréés et d’autosurveillance des exploitants sur des paramètres encore peu surveillés aujourd’hui.
« Mauvaise collaboration entre les autorités compétentes », « manque de transparence des relations de l’industriel avec les pouvoirs publics », « déficit d’information », « communication parfois parcellaire », « manque de fluidité des relations dans l’instruction des dossiers entre Nestlé Waters et l’administration »… La rapporteure recommande non seulement de « considérablement développer le travail en réseau entre autorités compétentes pour le contrôle des eaux minérales naturelles et des eaux de sources (DGS, DGAL, DGCCRF, services déconcentrés et ARS) » mais aussi de pérenniser « les inspections inopinées » qui ont fait leur preuve, et ce « afin d’éviter toute entrave dans les contrôles ». Elle préconise aussi de renforcer le recours à des mesures correctives assorties de mesures de publicité en cas de non-conformité afin de les porter à l’attention du consommateur et de renforcer leur pouvoir dissuasif.
La sénatrice entend aussi mieux informer le consommateur. Pour cela, elle propose de renforcer l’étiquetage en y indiquant « tous les traitements pratiqués sur les eaux minérales naturelles ou de source embouteillées, y compris la microfiltration ». Elle souhaite également mieux informer sur les distinctions entre les différentes qualifications des eaux en menant des campagnes d’information sur les différences entre eaux minérales naturelles, eaux de source, eaux rendues potables par traitement et eaux de boissons rafraîchissantes sans alcool au travers du bilan annuel ainsi que des sites Internet des ministères chargés de la santé et de la consommation.
Enfin, le rapport met en garde contre des pratiques qui « attaquent la pérennité et la qualité de la ressource en eau minérale naturelle ». Et de citer notamment ces pressions qui affectent leur qualité et leur renouvellement (prélèvements excessifs, artificialisation des sols, émission de polluants issus des activités humaines, industrielles ou agricoles, etc.). Aussi, afin de disposer d’une meilleure information sur la soutenabilité et la vulnérabilité de la ressource, la rapporteure préconise de lancer une campagne d’études des hydrosystèmes exploités par les industriels, de rendre publique les quantités d’eau prélevée par les exploitants, mais aussi d’actualiser le plan d’action sur les micropolluants en y incluant les eaux conditionnées afin de disposer d’informations complètes sur leur niveau de pollution.
A l’initiative du groupe socialiste au Sénat, et en utilisant son droit de tirage, une commission d’enquête parlementaire sur l’affaire des eaux embouteillées a été demandée. « Il est évident que, dans cette affaire, seule une telle procédure peut permettre d’aller au bout de la vérité sur ce que les Français boivent. Nous pourrons obtenir des documents essentiels et des ministres auront à témoigner sous serment et à rendre compte de leur action » a indiqué Alexandre Ouizille, sénateur socialiste de l’Oise, à l’origine de l’initiative. « Tromperie commerciale c’est évident, scandale sanitaire c’est fort probable, est-ce qu’il y a un scandale d’Etat parce que cela aura été couvert ? Il faut qu’on connaisse la vérité » a ajouté le président du groupe socialiste au Sénat, Patrick Kanner. ■