L’agriculture française est à bout de souffle, aussi bien d’un point de vue physique qu’économique et social. Face à ce défi, The Shift Project propose son analyse de la situation, des leviers de transformation du secteur et des voies possibles pour concilier réduction de l’empreinte environnementale, résilience des systèmes agricoles et viabilité économique des exploitations.
Un système agricole fortement contraint par des limites énergétiques, climatiques et écosystémiques
L’activité agricole s’inscrit dans un système fortement émetteur de gaz à effet de serre (GES). Représentant 18 % des émissions nationales, l’agriculture doit se décarboner si la France souhaite atteindre ses objectifs climatiques.
L’agriculture est de plus excessivement tributaire des énergies fossiles et d’importations d’intrants : engrais dont la production est elle-même émettrice de GES, produits phytosanitaires aux effets délétères sur la santé et la biodiversité, protéines pour l’alimentation animale et pétrole pour transporter les productions.
Fondés sur les contextes pédoclimatiques, les systèmes de production agricole, qu’il s’agisse d’élevage ou de culture, présentent une très grande vulnérabilité au changement climatique qui exacerbe les problématiques de gestion de l’eau et de préservation des sols.
Si le secteur agricole est l’un des rares secteurs à pouvoir stocker naturellement du carbone, il doit contribuer aux objectifs nationaux d’atténuation et anticiper les évolutions des autres secteurs. La biomasse agricole est en concurrence entre plusieurs usages (production alimentaire, d’énergie, de matériaux de construction, etc.) et ne pourra pas répondre à toute la demande.
Tous les leviers physiques de transformation doivent être déployés : une reconfiguration profonde du secteur est indispensable
Il est nécessaire de mobiliser simultanément les leviers les plus efficaces et dont les impacts sont les plus sûrs, tout en évitant des choix délétères : décarboner et faire évoluer les pratiques de fertilisation, réduire les émissions et accroître la résilience des systèmes d’élevage, réduire la demande énergétique et décarboner l’énergie utilisée, préserver la biodiversité, augmenter le stockage de carbone par l’agriculture, assurer la circularité des systèmes agricoles et le rebouclage des cycles biogéochimiques, et enfin repenser les flux logistiques pour plus de résilience.
Transformer le système agricole d’ici 2050 implique de définir un cap et de planifier dès aujourd’hui la transformation
The Shift Project a imaginé des projections possibles de transformation du système agricole en explorant trois scénarios : un premier scénario donnant la priorité à l’autonomie agricole et alimentaire nationale, un deuxième donnant la priorité à l’indépendance énergétique nationale, et un troisième assurant le maintien de capacités exportatrices pour contribuer à la sécurité alimentaire mondiale.
Cet exercice a mis en évidence un besoin de pragmatisme et de compromis, d’où la construction d’un quatrième scénario dit « de conciliation » fondé sur le respect d’objectifs climatiques et énergétiques, mais aussi de résilience, proposant un arbitrage entre les différentes priorités stratégiques.
Ce scénario montre qu’il est urgent de faire un choix de société dès aujourd’hui concernant l’agriculture que nous souhaitons en 2050 pour initier les changements sans attendre et permettre aux parties prenantes d’inscrire leurs actions dans une trajectoire fiable. Cela permet également d’accompagner au mieux les acteurs qui auront le plus d’efforts à fournir.
The Shift Project formule cinq recommandations pour engager cette transformation
1. Clarifier le cap national et accompagner les acteurs ;
2. Garantir la sécurité économique des agriculteurs ;
3. Anticiper les besoins en compétences, en recherche et en connaissances ;
4. Mobiliser les acteurs territoriaux (filières, collectivités) ;
5. Engager les agriculteurs dans l’agroécologie ;
Un projet collaboratif qui invite au débat
Démarré en 2023, ce projet s’est appuyé sur un conseil scientifique et un collège d’agriculteurs et s’est attaché à écouter les points de vue de toutes les parties prenantes. Plus de 150 organisations ont participé à la concertation (organisations professionnelles, instituts techniques, associations, etc.), sans compter les nombreux agriculteurs et professionnels du secteur. Au total, près de 300 personnes ont contribué aux travaux.
Une consultation ayant recueilli l’avis de plus de 7 700 agriculteurs
Afin de s’assurer de faire écho aux réalités vécues par les agriculteurs partout en France, The Shift Project et l’association The Shifters, réseau des bénévoles, ont aussi mené « La Grande Consultation des Agriculteurs », une étude qualitative suivie d’une enquête quantitative auprès de 7 711 agriculteurs et agricultrices sur l’avenir de leur secteur. L’enquête a bénéficié du relai d’une centaine d’organisations agricoles (chambres d’agriculture, syndicats, filières, associations, entreprises, collectifs, etc.).
La grande majorité des agriculteurs sont près à mettre en œuvre des pratiques environnementales plus vertueuses, à certaines conditions
La Grande Consultation des Agriculteurs révèle que plus de 80 % des répondants souhaitent adopter des pratiques agronomiques plus durables, et seulement 7 % déclarent ne pas souhaiter s’engager ou accélérer la transition environnementale de leur exploitation.
Le changement climatique, le prix de l’énergie et les risques liés aux produits phytosanitaires sont trois préoccupations majeures des agriculteurs : 86 % des répondants considèrent que le changement climatique représente un risque pour la viabilité de leur exploitation, la hausse du prix de l’énergie et la dépendance aux énergies fossiles sont des sources d’inquiétude pour plus de 70 % des sondés, et 75 % des répondants s’inquiètent des effets des produits phytosanitaires sur leur santé.
L’enquête révèle aussi que les agriculteurs ne pourront pas mener cette transition sans une vision claire pour l’avenir du secteur et sans un soutien massif de la société et des pouvoirs publics : 86 % des répondants réclament des objectifs clairs et stables, et 87 % posent une condition financière pour s’engager ou accélérer leur transition, en particulier en étant rémunérés pour les services environnementaux rendus et en étant protégés contre une concurrence internationale qu’ils jugent déloyale.
Enfin, 87 % des agriculteurs se sentent mal représentés dans le débat public.
Considérer les aspirations et compétences des futurs agriculteurs pour l’avenir du secteur
Le rapport complémentaire « Quels actifs avec quelles compétences pour une agriculture bas carbone, résiliente et prospère ? », publié en parallèle, insiste sur la nécessité de se préoccuper des aspirations des agriculteurs (rémunération, temps de travail, pénibilité, etc.) afin de proposer des métiers qui répondent à leurs attentes, et de les former massivement à des pratiques résilientes. Une priorité à l’heure où le renouvellement des générations et la transmission des exploitations constituent une urgence pour le secteur.
Mettre l’innovation technologique au service de la transition sans risquer de la compromettre
Le rapport complémentaire « Quelles technologies pour une agriculture bas carbone, résiliente et prospère ? » propose pour sa part des clés méthodologiques pour réfléchir à la place de l’innovation technologique dans cette transition, tout en évitant les effets non désirés (consommation énergétique, dépendances, etc.). Il est notamment exprimé que les technologies doivent être considérées au cas par cas, et qu’il est nécessaire d’en évaluer les impacts directs, indirects, et systémiques. ■
The Shift Project est un groupe de réflexion qui œuvre en faveur d’une économie post-carbone. Association loi 1901 reconnue d’intérêt général et guidée par l’exigence de la rigueur scientifique, sa mission est d’éclairer et d’influencer le débat sur la transition énergétique en Europe.
The Shifters est une association loi 1901, créée en 2014 pour apporter un soutien bénévole au groupe de réflexion The Shift Project, qui œuvre à la décarbonation de l’économie. Les Shifters sont aujourd’hui plus de 25 000 bénévoles répartis sur tout le territoire français et à l’étranger.
Contact : Clémence Vorreux, coordinatrice du programme Agriculture, Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.