L’alimentation est devenue un défi stratégique qui engage notre souveraineté, notre résilience climatique, notre justice sociale et notre avenir collectif. Encore récemment, le cyclone qui a dévasté Mayotte a dévoilé nos vulnérabilités face aux aléas climatiques et leurs conséquences sur la sécurité alimentaire de notre territoire.
La pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine nous ont surtout montré, d’un côté, l’impératif vital de renforcer notre souveraineté alimentaire pour réduire les dépendances stratégiques, et de l’autre, le rôle de l’alimentation comme un levier pour la paix et pour favoriser des échanges justes dans une économie mondialisée.
Face à ces enjeux globaux, nous avons mené, avec ma collègue Éléonore Caroit, une mission d’information au sein de la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale. Ce travail nous a permis de dresser un état des lieux de l’alimentation mondiale et de formuler une trentaine de recommandations ambitieuses pour positionner la France et l’Union européenne comme des acteurs majeurs d’un système alimentaire résilient et équitable, à toutes les échelles.
Une coopération internationale grippée
Après de nombreuses auditions et un déplacement à Rome pour rencontrer les trois agences onusiennes dédiées aux questions agricoles et alimentaires, nous avons constaté des dysfonctionnements persistants dans la coopération internationale, en matière de négociations commerciales et de sécurité alimentaire.
Sur le plan des négociations commerciales, le système multilatéral traditionnel, incarné par l’Organisation mondiale du commerce, est grippé. Dans un contexte international marqué par des tensions géopolitiques exacerbées et des rivalités commerciales qui risquent de s’accentuer suite au retour de Donald Trump à la présidence des Etats Unis, l’exigence d’un consensus unanime paralyse le système commercial multilatéral et empêche de répondre collectivement aux urgences alimentaires mondiales. Pendant ce temps, les accords bilatéraux et régionaux se multiplient, souvent au détriment des filières agricoles, des normes environnementales et des droits de nos agriculteurs. C’est justement pour éviter des conséquences néfastes sur nos éleveurs, notre planète et notre souveraineté alimentaire, qu’une quasi-majorité de l’Assemblée nationale s’est prononcée contre l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur.
Pour que le commerce international soit respectueux des normes sociales et environnementales européennes, nous devons impérativement conditionner les accords commerciaux à des critères précis. Cela passe notamment par l’introduction de conditionnalités tarifaires, l’application de mesures miroirs dans la législation européenne et le renforcement des moyens de contrôle. À ce jour, trop nombreux sont les quotas ou contingents de produits, notamment de viande, qui ne sont pas systématiquement contrôlés lorsqu’ils partent des pays tiers ou lorsqu’ils arrivent sur le sol de l’Union européenne. Plus généralement, il apparaît indispensable de protéger davantage les agriculteurs européens, en particulier dans les filières agricoles sensibles comme le lait et la viande bovine, pour préserver la souveraineté alimentaire européenne. Nous avons d’ailleurs recommandé dans le rapport d’exclure les produits les plus sensibles des accords commerciaux, à l’image de ce qui a été fait pour la volaille dans le CETA.
Une gouvernance mondiale à refonder
La gouvernance mondiale de l’alimentation elle aussi, est largement perfectible. Bien que la FAO, le PAM et le FIDA ont des mandats ambitieux dans la gouvernance mondiale de l’alimentation, leurs actions souffrent d’un manque criant de coordination et d’un enchevêtrement de compétences. D’autres outils viennent ajouter à la confusion, comme des plateformes multilatérales qui compliquent encore les mécanismes de coordination. Ainsi de l’initiative « résilience alimentaire et agricole », dispositif promu par la France pour faire face en particulier aux conséquences de la guerre en Ukraine. Dans ce contexte, il devient crucial d’assurer une approche plus cohérente et coordonnée à l’échelle internationale, pour que les ressources soient mieux distribuées et les actions plus efficaces.
Un devoir d’exemplarité sur le territoire national
En tant que première puissance agricole européenne, la France doit montrer l’exemple, notamment en matière de lutte contre l’insécurité alimentaire et contre le gaspillage alimentaire.
La FAO révèle qu’environ 13 % des denrées alimentaires sont perdues tout au long de la chaîne de distribution, depuis l’après-récolte jusqu’au stade précédant la vente au détail. La France a été à l’avant-garde dans la lutte contre ce gaspillage alimentaire, notamment grâce à la loi de 2016, dont j’ai été à l’initiative. En établissant une hiérarchie des actions à privilégier pour limiter le gaspillage et en interdisant de jeter des aliments encore consommables, cette loi a posé les bases d’une politique nationale qui n’existait pas jusque-là. Ces avancées ont été renforcées par les lois « Egalim » de 2018 et « AGEC » de 2020, qui ont permis de structurer un cadre juridique solide.
Cependant, malgré ces progrès, le gaspillage alimentaire persiste puisque 4 millions de tonnes d’aliments comestibles sont encore jetés tous les ans. Il est impératif d’approfondir la mobilisation en rassemblant l’ensemble des acteurs concernés. C’est dans cet esprit que j’ai décidé d’organiser des États généraux du gaspillage alimentaire, qui se tiendront le jeudi 13 mars prochain à l’Assemblée nationale. Cette initiative réunira des acteurs locaux, associatifs, économiques et institutionnels pour dessiner les prochaines étapes de la lutte contre le gaspillage alimentaire.
Dans le même temps, l’enjeu de la précarité alimentaire exige une approche volontariste. Depuis plusieurs années, des acteurs de la société civile militent pour des réformes ambitieuses, telles que la mise en place d’un chèque « alimentation durable » ou d’une véritable « sécurité sociale de l’alimentation ». À l’échelle locale, de nombreuses collectivités territoriales innovent en expérimentant des dispositifs concrets, souvent avec succès. Cependant, au niveau national, les politiques publiques souffrent d’un manque de coordination entre les dispositifs existants et manquent d’une réflexion structurelle pour éradiquer durablement la précarité alimentaire. Il ne s’agit pas seulement de garantir l’accès à une quantité suffisante de nourriture, mais de reconnaître l’accès à une alimentation saine, locale et durable comme un droit fondamental. C’est dans cette optique que j’ai proposé, dans le cadre de notre rapport, l’expérimentation du dispositif « Territoires Zéro Faim ». Ce projet vise à généraliser, dans les territoires volontaires, un accès équitable à une alimentation de qualité, tout en mobilisant l’ensemble des leviers disponibles : tarifs sociaux dans les restaurants scolaires, éducation alimentaire, soutien aux producteurs locaux, et lutte contre le gaspillage.
Face aux défis alimentaires mondiaux, la France et l’Europe doivent assumer leur rôle d’exemple et garantir à chacun l’accès à une alimentation saine, durable et équitable. C’est par des choix politiques courageux, une ambition collective et des actions concertées que nous construirons un système alimentaire à la hauteur des enjeux. ■
*Auteur du rapport d’information sur l’enjeu alimentaire publié au nom de la commission des affaires étrangères.