“Ouvrons les yeux, arrêtons d’être naïfs, ayons le courage de sortir de l’obscurantisme vert ! Réveillons-nous avant qu’il soit trop tard !” a lancé dès l’ouverture des débats le sénateur de la Haute-Loire Laurent Duplomb, co-auteur avec Franck Menonville de la proposition de loi visant « à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Le ton était donné. Les discussions ont été vives mais le texte qui revient sur un certain nombre de contraintes environnementales a finalement été largement adopté par 233 voix pour, 109 contre, malgré l’opposition des élus écologistes, socialistes et communistes. Il a toutefois fallu de longues tractations entre la majorité sénatoriale et le gouvernement pour arriver à trouver un compromis autour de ce texte décrié.
Très vite, le débat s’est focalisé sur la réautorisation de l’usage d’un pesticide de la famille des néonicotinoïdes, l’acétamipride, pour certaines cultures. Pointé du doigt par les écologistes, « cette substance, autorisée dans toute l’Europe, a franchi toutes les évaluations de l’EFSA [Autorité européenne de sécurité des aliments] a pourtant assuré Franck Menonville. L’Europe n’est pas irresponsable, une matière n’est autorisée que si elle répond à des critères scientifiques, sanitaires et environnementaux objectifs ». Cette substance autorisée par l’Union européenne à titre provisoire jusqu’en 2033 avait pourtant été interdite en France en 2018. Mais le Conseil constitutionnel avait ensuite accordé une dérogation à la filière betterave-sucre. Or, aux yeux des rapporteurs, d’autres filières auraient également besoin de ce pesticide. « Sur la filière cerise : regardez les hectares de cerisiers que nous avons perdus pour nous jeter dans les bras des cerises turques. Sur la pomme : en dix ans nous sommes passés de 700 000 tonnes exportées à moins de 300 000 aujourd’hui » s’est longuement expliqué Laurent Duplomb en défendant une réintroduction globale de l’acétamipride, sans distinction de filières. Fermement opposée à cette réautorisation globale, la ministre a fait voter un amendement de suppression. Après d’âpres négociations, un compromis a été proposé et adopté, recevant un « avis de sagesse » d’Annie Genevard. L’utilisation de l’acétamipride est finalement autorisée uniquement par voie de dérogation, selon des procédures approuvées au niveau européen.
« Une dérogation peut être accordée si elle est limitée dans le temps, pour une substance active approuvée dans l’Union européenne, pour des produits pour lesquels il n’existe pas d’alternatives ou insuffisamment et s’il existe un plan de recherche d’alternatives au produit dans la filière » a ainsi précisé la ministre. « Réautoriser les néonicotinoïdes en 2025 est un non-sens historique qui frôle l’obscurantisme. Combien de temps allons-nous nier la science ? Ce texte est l’expression la plus sincère d’un populisme rétrograde, en rupture totale avec la transition écologique » s’est emporté le sénateur socialiste Jean-Claude Tissot.
Dans sa version initiale, la proposition de loi entendait également revenir sur la séparation des activités de vente et de conseil aux agriculteurs sur l’achat de produits mais aussi sur l’interdiction des rabais sur leur prix. Et là aussi les discussions sont allées bon train. Sur les rabais, le gouvernement s’y est opposé et a fait adopter un amendement de suppression. « Cette interdiction a montré son efficacité pour limiter l’importance de l’argument commercial dans le choix des produits » a souligné la ministre. Quant à la séparation de la vente et du conseil, les discussions entre majorité sénatoriale et gouvernement ont permis de trouver un compromis. Les fabricants de pesticides n’auront pas le droit de conseiller directement les agriculteurs, les distributeurs, oui.
Sur ce volet des pesticides, l’opposition a vainement tenté de résister en jugeant que ce texte n’était ni plus, ni moins « un retour en arrière de plus de dix ans » qui fait la part belle « au primat de l’économie sur la sécurité et la santé publique ». En résumé, pour la gauche, l’économie prend le pas sur la santé. « Sur l’acétamipride, nous parlons quand même d’un produit que le directeur scientifique agricole de l’INRAE a qualifié il y a moins de deux ans, devant notre commission des affaires économiques, de « chlordécone de l’hexagone » » a tenu à rappeler Jean-Claude Tissot.
Il était soutenu par le sénateur écologiste Daniel Salmon qui a souligné que « quelque 1 200 études ont montré le danger que représentent les néonicotinoïdes, des études indépendantes, en nombre et de qualité. Cette montée du déni environnemental, où les faits scientifiques ne sont qu’une opinion comme une autre, nous inquiète particulièrement ». Le sénateur a d’ailleurs tenté de faire adopter un amendement de rejet de l’ensemble du texte sans y arriver.
La proposition de loi s’est aussi penchée sur plusieurs normes en matière de construction de bâtiments agricoles mais aussi sur les mégabassines. Sur la question de bâtiments d’élevage, le texte prévoit désormais que les réunions d’information prévues à l’ouverture et à la clôture de la demande d’autorisation environnementale ne sont plus que facultatives. « On demande aux agriculteurs, à chaque fois qu’ils investissent des centaines de milliers d’euros dans un projet, d’organiser un débat avec leurs voisins au début de l’enquête publique, puis un deuxième débat à la fin de l’enquête, après que vous ayez vous-même fait monter la mayonnaise. À cause de vous, ces débats tournent au pugilat » a vertement lancé Laurent Duplomb, agriculteur de profession, le regard dirigé vers les bancs de la gauche. « Vous m’avez insulté gratuitement » lui a tout aussi vertement répondu Jean-Claude Tissot, lui aussi agriculteur de profession, « je fais le même métier que vous, nous n’avons juste pas la même vision ».
Si la question de l’usage de l’eau est et restera toujours un éternel défi, le texte sénatorial a acté le caractère « d’intérêt général majeur » des retenues d’eau afin de sécuriser l’usage agricole de la ressource. Avec un petit bémol apporté par la ministre qui a tenu à préciser que seuls les stockages d’eau « qui visent spécifiquement à répondre à un enjeu de stress hydrique pour l’agriculture » et qui ont été « décidés localement, dans un cadre concerté », pourront être déclarés d’intérêt général majeur.
« Ce texte ouvre une nouvelle page de l’agriculture française, une page qui permet de voir l’avenir en étant plus objectif, plus rationnel » s’est félicité Laurent Duplomb a l’issue du vote. La FNSEA et les Jeunes Agriculteurs ont eux aussi dans un communiqué « une proposition de loi ambitieuse » qui doit « apporter des réponses concrètes ». ■