Nous en sommes là, aujourd’hui, dans notre rapport à notre agriculture.
Sondage après sondage, année après année, nos concitoyennes et concitoyens réaffirment leur soutien massif au monde agricole. Ce monde agricole, patrimoine français que l’on a en partage, est aujourd’hui à la croisée des chemins.
A la croisée des chemins alors que nous sortons d’une année climatique dramatique pour nos cultures où les précipitations hors normes ont fait chuter les rendements, où les épizooties (FCO, MHE) se succèdent à un rythme effrénés, les revenus agricoles sont, une fois de plus, en berne.
A la croisée des chemins, à l’heure où, un an après des manifestations inédites, leurs causes ne semblent pas avoir été entendues et résolues,
A la croisée des chemins alors que je constate, avec désolation, que depuis ma dernière tribune où j’alertais sur le danger de mort imminent de notre modèle d’élevage extensif français, c’est bien désormais l’ensemble de notre agriculture française qui est menacée de disparition.
Alors, où allons-nous ? Que faisons-nous ?
Prenons tout d’abord le cadre européen, et la politique agricole commune, si essentiels à notre agriculture aujourd’hui. Hors période de crise, les aides PAC représentent en effet 60 à 80 % du revenu agricole en France.
Les discussions sur le futur de la PAC s’ouvrent, et la première bataille s’annonce budgétaire. Lors de la dernière programmation, le budget de la PAC a durement été préservé grâce au plan de relance, mais uniquement en euros courant ; son calcul ne tient absolument pas compte de l’inflation.
Le budget actuel est insuffisant pour répondre aux enjeux de l’agriculture, qui doit s’adapter aux effets du changement climatique et à une volatilité accrue des marchés. Pour pallier cette insuffisance, les aides de crise nationales se multiplient. Depuis 2021, c’est plus de 18 milliards qui ont été dépensés ainsi, sans vision stratégique, sans concertation, et qui ont créée de nouvelles distorsions entre les états membres.
Quel futur pour la PAC ? En dehors de la nécessité de disposer d’un budget suffisant, va se poser la question de la forme que prendront les aides agricoles. Le dialogue stratégique, qui est sensé servir à l’élaboration de la future PAC, semble pour le moins à côté des réalités.
La feuille de route envisagée remet en avant les paiements pour services environnementaux rendus mais n’aborde que trop peu les questions de souveraineté alimentaire de l’Union européenne et son rôle stratégique. La gestion des risques, enjeu principal de la décennie à venir, n’y est abordée que sous l’angle climatique et laisse de côté le risque économique lié à la volatilité des prix des marchés des matières premières.
Ne pourrait-on pas changer de logiciel, et imaginer une PAC dont le but premier soit de sécuriser le revenu agricole, à la manière du Farm Bill américain ?
Aux grands maux les grands moyens. Certes, cela reviendrait à chambouler la Politique Agricole commune, mais cela serait sans doute bien plus pertinent pour faire face aux aléas climatiques, économiques et sanitaires qui tendent à se multiplier et dont nous dressons le constat chaque année.
Si l’on venait à suivre ce modèle, en mobilisant des aides variables selon les conditions de prix des marchés, les agriculteurs pourraient mieux s’adapter aux risques et s’assurer un revenu ou un chiffre d’affaires, voir même une marge.
Cela semblerait beaucoup plus adapté au contexte économique et international actuel qui est extrêmement instable. Et rien n’empêche d’inclure des clauses de respect de l’environnement et des contraintes de production dans ces contrats mais cela permettrait d’améliorer la résilience des exploitations agricoles et leur aptitude à faire face aux crises de toute sorte.
Dans un monde de plus en plus dangereux, marqué par la multiplication des conflits et le retour au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis (qui semble vouloir mettre à bas les règles de l’Organisation mondiale du Commerce), l’Europe n’a plus le choix et doit sortir de sa naïveté libre-échangiste. Force est de constater que le compte n’y est pas, et que nous n’aurons bientôt plus le choix !
La signature du traité Mercosur annoncée par la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen est d’ailleurs venue remettre une pièce dans la machine des incohérences des politiques agricoles européenne et française.
Lors des manifestations de l’hiver dernier, ces contradictions qui pèsent sur notre agriculture furent pourtant fortement mises en avant.
Nous voulons tout à la fois ; à la fois une agriculture vertueuse (et aujourd’hui, nous pouvons fièrement dire que nous avons la plus vertueuse au monde) mais aussi une agriculture qui puisse produire suffisamment pour nourrir nos concitoyennes et concitoyens, tout en la positionnant dans un système concurrentiel où les règles ne sont pas les mêmes pour tous. Cette quadrature du cercle vire à la schizophrénie et épuise nos agriculteurs qui ne savent plus où aller.
Pourtant, des signes positifs ont été envoyés au monde agricole ;
• Un grand travail de simplification des normes a été engagé par les différents ministres de l’agriculture
• L’examen de la proposition de loi Duplomb / Menonville devrait également faciliter cette nécessité absolue de bénéficier d’un socle commun de normes sur le marché unique européen.
Notre agriculture est en concurrence avec des agricultures encore plus subventionnées que la nôtre : la Chine, les États-Unis, l’Inde et l’UE représentent respectivement 37 %,15 %, 14 % et 13 % du total des subventions versées à l’agriculture dans le monde. Mais alors qu’en moyenne dans le monde, la moitié des soutiens est apportée sous la forme de soutien des prix et que seul 5 % de ce soutien encourage l’adoption de mesures environnementales facultatives, l’UE persiste seule dans un modèle vertueux déconnecté des prix internationaux, qui s’ouvre toujours davantage à la concurrence extérieure.
Les prix agricoles sont liés aux conditions du marché mondial. Les lois EGALIM ne peuvent donc pas tout régler, mais elles doivent permettre d’atteindre un but : mieux répartir la valeur créée sur le territoire, celle sur laquelle nous pouvoir agir.
Jusqu’ici, les lois EGALIM se sont concentrées sur les rapports de force dans les négociations commerciales. Elles ont eu des vertus, comme celle d’amener à enfin parler et prendre en compte les coûts de production en agriculture, mais la construction du prix en marche avant trouve ses limites.
Il est peut-être temps de faire un pas de côté.
Les annonces pour de futures lois EGALIM et agricoles pleuvent, mais pour quoi faire ?
S’il s’agit de rigidifier encore davantage le cadre des négociations commerciales attention, que le plus ne devienne pas l’ennemi du mieux.
Mieux prendre en compte les coûts de production dans toutes les productions est une nécessité, mais il faut prendre garde à ne pas déconnecter les prix agricoles des prix de marché (on l’a vu récemment avec l’affaire Lactalis qui réduit son approvisionnement français au profit d’approvisionnement européen).
Nos plus gros concurrents risquent d’être nos voisins plutôt que les Brésiliens.
Un travail sur la compétitivité de la ferme France est indispensable.
Évidemment que nous ne concurrencerons jamais les fermes géantes d’Amérique du Sud ou du Nord, mais est-ce une fatalité de se faire damer le pion par les fermes espagnoles, italiennes ou allemandes ?
D’autres solutions pour le partage de la valeur ne sont-elles pas possibles ?
Mais avant de partager la valeur, encore faut-il la créer.
Et cela s’opère au niveau de l’intégralité de la filière, chaque maillon y a une part.
Comment ensuite, la redistribuer ?
Ne peut-on pas imaginer, comme c’est déjà le cas dans certaines filières, un prix de base qui corresponde peu ou prou au prix de marché moyennant une prise en compte des coûts de production et payé à l’achat, complété d’un complément de prix versé en fin d’exercice et fonction des performances économiques de l’ensemble de la filière ?
Ce dont l’agriculture française a besoin aujourd’hui, et ce n’est pas valable uniquement pour l’agriculture, ce n’est pas de “réformettes”.
Ce dont notre agriculture a besoin, ce dont notre pays a besoin, c’est d’une vraie vision à moyen et long terme, c’est d’un vrai travail de fond, et de vraies réformes structurelles à l’image de celles que je propose dans cette tribune pour répondre à cette vision.
Nous devons cesser le cabotage, où les réformes sont davantage dictées par le buzz médiatique du moment, un coup plus de normes environnementales, un coup des aides ponctuelles sur telle ou telle crise, un coup un coup de pouce pour telle ou telle filière en difficulté.
Notre vie économique meurt des politiciens qui pensent à la prochaine élection au lieu de penser à la prochaine génération.
Pour changer les choses, nous avons besoin de travailler tous les sujets avec les acteurs de terrains, de réfléchir tous ensemble car s’il existait des solutions simples à des problèmes complexes, elles auraient déjà été adoptées.
Il faut ré-associer chaque citoyen à la vie politique de notre pays.
Pour cela il faut sortir de la politique politicienne et partisane.
La première vocation de l’agriculture française est de nourrir notre population.
Cette affirmation ressemble à une véritable lapalissade, mais hélas elle ne l’est plus.
On a voulu lui faire endosser l’entièreté de la lutte pour la préservation de l’environnement alors qu’on sait très bien que la vraie lutte contre le changement climatique ne peut passer que par notre changement de mode de vie.
Redonnons-lui donc sa vocation nourricière, donnons-lui la force de résister aux aléas climatiques et économiques, permettons lui d’être plus solide dans la concurrence internationale en la protégeant des agricultures destructrices de l’environnement.
Tout cela ne nécessite que du courage politique et du travail collectif associant tous les citoyens de la base au sommet. ■