C’est dire si l’heure est grave, c’est dire s’il faut y prêter attention. C’est ce que firent, en septembre 2022, quatre sénateurs, auteurs d’un rapport sur la compétitivité agricole intitulé « Une urgence pour redresser la ferme France ». Dans ce document, les parlementaires s’aperçoivent que les 2/3 des pertes de marché sont imputables à une chute de compétitivité. A cela, rajoutons la hausse des charges, mais aussi « une faible défense par l’Etat dans les accords de libre-échange » et « un climat politico médiatique qui vitupère un modèle agricole, pourtant le plus vertueux du monde ».
Concernant les différents leviers qui pourraient permettre d’accroitre cette fameuse compétitivité, même s’il vaut mieux tard que jamais, pour beaucoup de maraichers, d’arboriculteurs ou de viticulteurs, à l’avenir ce sera toujours trop tard et plus jamais. Puisque, pour recueillir le témoignage de ces paysans reconvertis, il faut désormais se rendre devant les écoles où ils font la circulation et partout où ils ont pu embaucher quand l’Espagne, l’Italie, le Portugal ou le Maroc sont venus usurper leurs marchés.
Avec, entre autres chiffres : 400 000 tonnes de pêches produites en France à l’aune des années 90, plus que 160 000 aujourd’hui. 250 millions de pieds de salades produites chaque année voilà 30 ans dans le seul département des Pyrénées-Orientales, plus que 30 millions désormais…
Depuis 1992 et les distorsions de concurrences dues à la dévaluation de la peseta, celles bien entendu imputables aux salaires variant du simple au double selon que l’on se trouve d’un côté ou de l’autre des Pyrénées, et enfin avec l’application à géométrie variable des normes environnementales entre pays européens, la paupérisation de certaines filières agricoles n’a cessé de vider nos campagnes depuis la fin des années 80.
Quarante ans d’abandon politique ont eu raison de ces arpents autrefois prospères où la friche a remplacé le jardin, où le no man’s land et le lotissement ont définitivement chassé le paysan. Ce paysan qui, lorsqu’il est (encore) maraicher, arboriculteur, vigneron, aviculteur ou éleveur porcin ne perçoit, contrairement aux grandes cultures, aucune aide à produire (dignes de ce nom) venant de la PAC et du premier pilier, mais seulement, via le second pilier, des aides aux investissements. Des investissements qu’il ne peut, la plupart du temps, plus réaliser car surendetté et devenu persona non grata auprès des banquiers.
Pour s’en convaincre, il suffit de visiter les marchands de matériel agricole établis en Beauce ou en Brie et se rendre, dans la foulée, chez ceux qui vivotent dans le Midi pour s’apercevoir que, si les premiers vendent à tour de bras des engins à six chiffres, les seconds se sont reconvertis dans les tondeuses à gazon et les gyrobroyeurs tirés par des tracteurs qui tiennent avec du fil de fer.
De toute évidence, la très timide convergence des aides initiée par la PAC voici quelques années n’a pas produit l’effet escompté. Car, le gâteau n’étant pas toujours facile à partager, il n’y a « au sommet » aucune volonté politique et syndicale déployée pour l’encourager. Concernant les fruits et légumes ce secteur subit une forme de compétition effrénée, probablement anticipée dès 1957 lors du Traité de Rome et progressivement actée par les gouvernements successifs obéissant aux impératifs d’une géopolitique que rien, n’y personne ne pouvait entraver. Certains agroéconomistes ont baptisé ce concept : « Eaux virtuelles de la Méditerranée ». Il s’agissait alors d’envoyer des céréales au sud pour remplir les greniers, du moins jusqu’au Printemps arabe, et contenir les révoltes, tout en laissant remonter vers le nord ces fruits et légumes qui permettaient de fixer, in situ, les populations avec de la main d’œuvre bon marché.
Plusieurs accords de libres échanges ont été signés depuis, notamment avec les pays du Maghreb où la main d’œuvre au Sahara occidental par exemple et concernant les récoltes de tomates vendues sur les étals européens est rémunérée moins de 10 euros par jour. Alors, comment inverser cette tendance toutes productions confondues, car le secteur de l’élevage avec le Mercosur et celui des céréales avec l’Ukraine vont être, à leur tour, progressivement sacrifiés sur l’autel des compétitions déloyales ?
Eh bien, tout simplement en diminuant les charges corrélées, entre autres, aux dogmes environnementaux. Ce qui permettrait de relancer la compétitivité et de rendre plus accessible, à l’étal, les productions françaises. Sachant qu’un dispositif permettant de réduire les charges et le coût des intrants devrait systématiquement être adossé à une meilleure répartition des marges qui doit passer par la mise en place d’un coefficient multiplicateur. Lequel pourrait contraindre la distribution toujours prompte à juguler le pouvoir d’achat sur le dos des producteurs. Sachant que l’immuable loi de l’offre et de la demande ne se soucie guère des « Consultations citoyennes » et autres « Loi alimentation », gadgets placebos, usines à gaz ou serpents de mer inapplicables et, finalement, inappliqués dans une société où le moins disant dicte ses règles.
Résumons-nous ! A ce stade du propos le redressement de l’agriculture française passe, toutes filières confondues, par une redistribution des aides PAC plus équilibrée entre secteurs de production. Mais aussi par une réduction des charges franco françaises notamment et par la mise en place d’un mécanisme permettant de réguler les marges. Des amortisseurs économiques qui doivent être décidés sans délai avec, pour étayer ces dispositifs, l’arrêt de toute stigmatisation à l’égard du monde paysan.
Car si, concernant les causes énoncées précédemment, plus aucune filière n’est épargnée, c’est un autre mal tout aussi implacable qui menace la profession avec une bonne partie de la classe politique prompte à abdiquer face au dogme imposé par les environnementalistes. Le récent exemple d’un agent de l’OFB établissant (sur une radio du Service public …) un parallèle entre agriculteurs et trafiquants de drogue ayant été très mal vécu par le monde paysan.
En 2020, dans une tribune publiée dans le journal Le Point, je titrais : « Dans vingt ans les agriculteurs Français auront disparu ! » Je voulais parler, bien évidemment, des « vrais paysans ». De ceux qui sont capables de produire quantitativement et qualitativement en garantissant les volumes nécessaires aux besoins journaliers d’une population. Et non de ces idéalistes irresponsables qui misent, entre autres superfluités, sur la permaculture et le retour à la traction animale pour envisager un monde à la fois parfait et pittoresque où l’agriculteur serait en « représentation ».
Le folklore a ses limites et nos campagnes ne vivent ni de l’air du temps, ni de celui des accordéons. Le coefficient d’adaptation auquel sont contraints nos agriculteurs n’est en rien compatible avec une époque qui, pour un oui ou pour un non, tire, sur son économie, des chèques sans provision.
Et pourtant le paysan français est celui que l’on va sacrifier car il vit de son métier, dans sa campagne, à côtoyer l’immensité d’un ciel plus souvent sans Dieu que sans nuages, à accepter son destin et les caprices de l’âge, à ne rechercher ni la fable ni l’effet. Ceux qui veulent sa contrition en lui imposant le retour du loup et du coquelicot que des générations de ruraux ont passé leur vie à combattre, en veulent à son quotidien, parce qu’ils n’y ont pas accès.
Voilà où en est le paysan aujourd’hui, cerné entre son obligation de résultats et les caprices de quelques gourous en mal de campagne qui ne savent de l’outil, car il faut beaucoup trop de courage pour cela, ni l’usage ni le prix. ■
* Journaliste, chroniqueur au Journal Le Point et auteur de plusieurs ouvrages, vient de publier « Le Sacrifice paysan – Dans 20 ans, les agriculteurs français auront disparu », aux éditions Erick Bonnier.