L’article 2 de la Constitution française proclamant que la langue de la République est le français a été introduit en 1992 par un amendement lors de la ratification du traité de Maastricht. Cet amendement émanait de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale dont j’étais alors le Président. Lors du débat dans l’hémicycle, la question des langues régionales fut posée et je répondis que cet amendement n’empêchait aucunement leur existence et leur valorisation par la loi, mais que la véritable question du moment était la préservation de notre langue commune face aux attaques de la langue de la mondialisation, à savoir l’anglais.
La question n’a rien perdu de son importance. Bien au contraire, n’a-t-on pas vu, depuis, une ministre de l’Economie, Christine Lagarde, écrire, paraît-il, à ses collaborateurs en anglais ? Et lorsque, attaquée en anglais par un député qui se moquait ainsi d’elle, ne l’a-t-on pas vu refuser l’insertion de l’intervention au Journal Officiel au prétexte de la langue employée ? La loi Fioraso autorise désormais des cours exclusivement en anglais dans les universités. Les exemples abondent et se multiplient.
Mais si le Parlement s’exprime officiellement encore en français, il vote des textes qui font à notre langue, jour après jour, le sort de la peau de chagrin. Ainsi, sous la pression des intérêts économiques mondialisés, le protocole de Londres a-t-il scellé le sort du français dans la fabrication des brevets. Bien pire, la question de la langue devient une source de conflits sociaux. Quand des salariés français sont forcés de parler anglais pour accéder à un emploi purement local, quand les modes d’emploi en anglais conduisent à des erreurs dramatiques comme on l’a vu, dans le début des années 2000, à l’hôpital d’Epinal où les doses de rayons mal interprétées ont gravement nui à la santé des patients, quand tous les produits affichés dans les rayons affichent leurs formules en langue étrangère, ce n’est plus une question de repli linguistique qui est en cause, mais une capacité à vivre en société. Ainsi, l’UNICE (le syndicat patronal européen) a fait part depuis des années officiellement à Bruxelles, de sa décision de promouvoir l’anglais comme l’unique « langue des affaires et de l’entreprise » ; ainsi certains états-majors d’entreprises communiquent-ils en anglais à l’interne… et s’efforcent même d’imposer le « tout anglais » à l’ensemble de leur personnel (1) !
Lorsque François Hollande remet sur le tapis la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, il appuie, de façon insidieuse, cette destruction de notre langue commune au prétexte de sauver les langues régionales. N’est-elle pas cohérente avec la vision d’une Europe des régions ? Au moment où la société se décompose, notamment sous le feu des inégalités sociales, ce texte fragilise un vecteur majeur de cohésion : la langue française. En France, il a été rejeté par le Conseil Constitutionnel le 24 juin 1999, s’ajoutant à l’avis négatif du Conseil d’Etat en 1996 ainsi qu’à celui du 30 juillet 2015. La question n’a pas été réglée pour autant et les pressions se sont poursuivies. Ainsi, M. Alvaro Gil-Robles, commissaire du Conseil de l’Europe aux droits de l’homme, avait appelé, dans un rapport rendu public le 15 février 2006, au « respect effectif des droits de l’homme en France » (rien que ça !) et, pour ce faire, lui avait demandé de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Cette position est peut-être plus adaptée à certains pays de l’Europe de l’Est ou des Balkans historiquement marqués par les conflits communautaires violents qu’à la République française dont l’Histoire est tout autre.
Il n’est pas question de reprendre à notre compte l’équation « langue minoritaire égale langue de division ». Jean Jaurès parlait patois, comme il disait alors, et en était fier. Le midi de la France fourmille de républicains farouches, néanmoins attachés à leur « petite patrie » et à sa langue. Le même phénomène se retrouve partout, en Provence comme en Bretagne. Certes, la question de la place de ces langues, en particulier dans l’enseignement, est longtemps restée ignorée par les pouvoirs publics. La loi Deixonne (Loi n°51 - 48 du 11 janvier 1951 relative à l’enseignement des langues et dialectes locaux) brisa cet oubli. Elle fut la première spécifique à l’enseignement des langues régionales. Elle constitua une reconnaissance officielle de l’existence de certaines langues régionales. Le décret n° 70-650 du 10 juillet 1970 prit en compte les langues régionales dans l'obtention du baccalauréat. Ces divers textes ont été ensuite intégrés dans différentes parties du code de l'éducation.
Depuis la loi Deixonne, d’après les chiffres livrés par la DGLFLF (2) en 2007, durant l’année scolaire 2005 - 2006 : 404 351 élèves ont bénéficié d’un enseignement en / de langue régionale (toutes formes d’enseignement confondues, public et privé sous contrat) : 282 894 à l’école, 96 295 au collège et 25 162 en lycée. La liste des langues concernées s’est aussi élargie : aujourd’hui basque, breton, catalan, corse, créole, gallo, occitan / langue d’oc, langues régionales d’Alsace, langues régionales des pays mosellans, tahitien et langues mélanésiennes.
Cette évolution montre que la question peut être prise en charge par la République et que celle-ci ne se présente pas comme l’horrible prédatrice que certains prétendent voir. La loi est apte à prendre en charge ces problèmes. Pourquoi alors cette volonté maladive de faire voter la Charte européenne des langues régionales et minoritaires ? Manière, pour un gouvernement plutôt pusillanime, de s’abriter derrière un décideur lointain ? Obsessionnelle soumission à dire « C’est européen, donc c’est bien » ?
La charte est en fait un instrument politique contre la langue nationale et contre la République. Car la charte veut, comme le dit son préambule, modifier la vie publique en y introduisant le rôle officiel de ces langues. On feint d’oublier que la langue française est d’abord celle de l’administration qui nous gouverne. Toucher à la langue, c’est toucher au droit et à l’égalité des citoyens. Bien sûr, le Président de la République et le Premier ministre diront qu’il ne s’agit que d’appliquer que « 35 paragraphes ou alinéas choisis parmi les dispositions de la partie III de la Charte (article 2) ». Mais la partie II de la Charte qui, avec le préambule, en formule la philosophie, est applicable intégralement. Or, cette dernière est meurtrière pour la République. En effet, le préambule affirme comme un « droit imprescriptible » le « droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée ou publique ». Quels que soient les articles signés, la Cour de justice européenne aura à juger en fonction du préambule qui, lui-même, aura été signé. Il n’en serait évidemment pas de même avec une loi nationale. On n’ose imaginer que des décisions aussi graves puissent relever d’un positionnement tactique d’un Président affaibli.
En fait, aujourd’hui, la langue française est attaquée autant que les langues régionales et minoritaires par ces nouveaux totalitarismes qui ne cherchent plus à préserver les citoyennetés parcellaires et leurs langues régionales que les citoyennetés nationales : ils cherchent à en faire des éléments de folklore sans portée politique. Si la charte européenne se donne pour objet la sauvegarde des langues régionales (basque, corse, breton, occitan,.....) ou minoritaires (ouolof, berbère, arabe,........), sa philosophie est, en germe, communautaire. On comprend mieux alors l’obsession de François Hollande à régionaliser tellement la vie publique (réforme des collectivités locales elle aussi imposée au pas cadencé), en contradiction avec toute la tradition républicaine. Et, face aux communautés, le seul élément de cohésion deviendrait la langue et la pensée de la mondialisation. Mais si une telle réforme peut évidemment être proposée, peut-elle être imposée par un gouvernement dont la légitimité est pour le moins chancelante ? Dans ces circonstances, un référendum est en tous cas absolument indispensable.
* www.pouruneconstituante.fr
1. Voir supplément économie, Le Monde, Mardi 6 mars 2007
2. Direction Générale de la langue française et des langues de France