La publication du Rapport Brundtland, il y a presque 30 ans, fut l’effet d’une bombe dans la façon de penser l’avenir de notre planète, de gérer les secteurs économiques et de lier des thèmes qui semblaient jusqu'alors totalement séparés. Développement durable et armée. Pourtant, alors que la France va accueillir, à partir du 30 novembre, la Conférence des Nations-Unies sur les changements climatiques (COP21) à Paris ; le secteur de la défense, l'un des principaux acteurs mondiaux de la pollution ne va pas être partie prenante de cet évènement qualifié de dernière chance pour sauvegarder notre monde. Au-delà, une « Green Defense » pose le constat du lien entre la dégradation socio-environnementale et les conflits autant qu’elle se doit d’anticiper les risques encourus sur la sécurité. Les enjeux sont donc immenses.
Une armée "verte" ?
D'un premier abord, il peut apparaître assez surréaliste de vouloir « rendre les armées plus vertes ». Il est vrai que l'image du soldat défendant l'environnement est loin d'être familière. Au contraire, elle rime plus avec la destruction, au regard des traces que les multiples conflits des siècles passés, mais encore plus de ces dernières décennies, ont pu laisser sur des territoires entiers entre les pollutions au plomb (territoires d’Alsace, Lorraine suite à la Première Guerre mondiale), au mercure, au défoliant chimique (agent Orange utilisé par les États-Unis sur les forêts vietnamiennes), comme la présence de munitions non explosées (Irak ou en Serbie) et sur de nombreux territoires français, puisque chaque année plusieurs tonnes de munitions sont retrouvées.
Malheureusement, l'environnement est aussi atteint en période de paix. Cette pollution est principalement issue des manœuvres militaires que cela soit par l’émission de gaz issus des véhicules en entraînement (pensez à la consommation d'un char, d'un Rafale) ou par des contaminations aux métaux lourds (plomb, cuivre, …) du fait de l’utilisation de millions de balles durant des décennies sur des champs de tirs. Mais ces pollutions de sites par l’essai d'armes conventionnelles ne sont rien en comparaison des sites où des expérimentations nucléaires militaires ont été réalisées comme dans les îles Marshall, et l’atoll de Mururoa. Certains servent toujours de zones de stockages de déchets nucléaires pour des siècles. Les conséquences environnementales et sanitaires commencent d’ailleurs à peine à être admises et traitées.
Il ne serait pas honnête de dire que différentes armées à travers le monde (dont la nôtre) n'ont pas pris conscience du lien « climat et défense ». Cependant ce lien est trop souvent observé et réfléchi sous l’angle des risques sécuritaires pour l’État (« invasion » de réfugiés climatiques) et non pas sous l’angle de la protection de l’environnement (donc en amont) pour éviter et diminuer ces risques sécuritaires. Ce constat se retrouve d’ailleurs dans la conférence organisée par le Ministère de la Défense « Climat et défense : quels enjeux ? » le 14 octobre 2015. Les efforts sur cet axe primordial existent bien évidemment, mais ils restent faibles. Les armées tentent ainsi de réduire leur empreinte carbone et l'impact de leurs opérations militaires qu’elles peuvent avoir sur le climat et l'environnement. Si nous prenons le cas du Ministère de la Défense, cela s'est traduit par un Brienne de l'environnement (juillet 2008) et la publication d'un rapport Développement durable. Ces mesures ont engendré des actions importantes comme la gestion des déchets, la réduction de dépenses d’énergie ou le démantèlement d’équipements selon des procédures environnementales. Et les enjeux sont de taille. Ils touchent à la double nécessité de réduire certains postes de dépenses exponentielles et de mobiliser un potentiel de RD porté par un tissu dense d’entreprises incluant de nombreuses PME/PMI innovantes.
Le ministère de la Défense doit monter au front
Malgré le recours accru à des systèmes de simulateurs de vols et de conduite de chars, pour diminuer l’empreinte carbone, il faut bien constater que les actions réalisées de l'implantation de panneaux solaires, au classement « Natura 2000 » de certains sites, furent trop faibles au regard de la réalité des enjeux. À l’opposé, les industriels de ce secteur ont compris qu’il y avait un gain économique à réaliser en produisant des systèmes moins polluants ou en facilitant le démantèlement des navires contenant des matières très polluantes ; des mesures qui répondent à des normes de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE). L’engagement du ministère de la Défense au démantèlement de 290 000 tonnes de matériel sur la période 2009/2016 doit à ce titre être renforcé.
Le ministère de la Défense doit également tirer les enseignements de la réalité de nos menaces du XXIème siècle : par une implication directe sur les problématiques écologiques et environnementales. Les conflits en Afrique, qui poussent des milliers de personnes à fuir, comme d'un grand nombre d'États du Moyen-Orient ou d'Asie, sont alimentés par le manque de ressources en eau, la sècheresse et la prédation des matières premières. La protection de l'environnement doit être un nouveau pilier des missions de la défense, et doit devenir une réalité lors de ses interventions extérieures. Elle est un facteur clé de la résolution durable des crises. Nos armées doivent ainsi intégrer dans leurs méthodes d’engagement une planification écologique complète du moment où celles-ci entrent en action jusqu'à la fin des opérations armées. Cette politique répond en outre aux carences capacitaires de nos armées dont « le juste besoin technologique » ou l’interopérabilité sont des variables de nature à renouveler le cadre conceptuel et modifier l’équilibre budgétaire. Cela passe donc nécessairement par la création de nouvelles formations au sein de nos écoles d’officiers pour que nos militaires acquièrent pleinement ce postulat.
En impulsant une nouvelle branche au sein de la politique de défense de notre pays qui aura comme seul objectif de protéger et de prévenir la destruction de notre environnement, nous nous assurerons donc une meilleure sécurité. Cet engagement militaire existe d’une certaine manière déjà, puisque notre marine comme nos gendarmes par exemple protègent et surveillent une partie des zones les plus sensibles du monde face aux pêches illégales qui financent le crime organisé et face au pillage aurifère dans les forêts de Guyane. D’autres armées à travers le monde réalisent des pratiques similaires permettant ainsi de réduire les conflits. Même si le degré de coopération internationale en est à ces balbutiements pour la protection de l’environnement et la promotion d’une économie bleue, celle-ci est devenue une réalité sur notre toit du monde, l’Arctique. Cette zone géopolitique et environnementale de première importance, qui est de plus en plus attractive (sur les plans économiques, diplomatiques, militaires, touristiques) voit ainsi les États de cette zone (tels les Etats-Unis et la Russie) mettre en œuvre des procédures communes de sécurité et de protection environnementale depuis la Déclaration de Nuuk (12 mai 2011).
D'autre part, une politique de gestion du coût des sites en amont de toute implantation militaire doit être mise en place, induisant de prévoir une politique de reconversion (tant environnementale, qu'économique). La réflexion sur l’empreinte environnementale des systèmes d’armes produits comme des moyens de transport doit aussi être prise en compte sur l’ensemble de leur cycle de vie (de sa création à son démantèlement) sous peine d’une totale incohérence. La question récurrente des navires militaires souligne la nécessité d’une organisation industrielle de cette filière. Cette réflexion permettra enfin de connaître la réalité du coût complet d'un programme militaire, comme tout produit civil et de voir quel est son impact environnemental. Le gouffre économique des atolls polynésiens actuellement en dépollution suite au programme nucléaire militaire, en est un bon exemple.
Promouvoir ce nouveau pilier
La France s'est posée comme défi de réussir cette COP 21 ; exclure les « militaires » qui sont un des premiers pollueurs de la planète, les propriétaires de près de 3000 immeubles et qui doivent en être désormais les protecteurs serait donc un non-sens. A l’extérieur, les conflits, trop souvent coûteux se révèlent inefficaces parce que la phase de stabilisation – la plus sensible – est également la plus longue et la plus difficile. L’intégration de la question écologique au sens large procède d’une plus grande maîtrise de la reconstruction post-conflit. Elle favorise le nécessaire dépassement d’une doctrine valorisant l’avantage militaire qui annihile les coopérations européennes. Sans ennemi identifié à combattre sur le continent européen, la France peut être à l’initiative d’une meilleure prise en compte de l’effet déstabilisateur des risques climatiques. La fédération des moyens qu’elle suppose, leur rationalisation, sont des moteurs efficaces de prévention des conflits, de leur évitement et de leur règlement. ■