Quelle est aujourd’hui la situation du commerce extérieur de la filière forêt-bois française ?
Alors qu’il avait dépassé les 7 milliards d’euros, le déficit commercial de la filière est en baisse depuis 2010 (-17% entre 2010 et 2013), enregistrant à nouveau une légère amélioration (1%) en 2014, où il s’établit à 5,76 milliards d’euros. Les deux secteurs des pâtes papiers cartons et de l’ameublement concentrent les trois quarts du déficit, chacun pour 38% en 2014. Si on s’arrête sur le secteur des sciages (sciages de résineux, de feuillus tempérés et de feuillus tropicaux, traverses) on voit qu’il représente 8% du déficit global. Le déficit propre à ce secteur s’est amélioré de 7%, passant de -521 millions d’euros en 2013 à -484 millions d’euros en 2014, du fait d’importations stables et d’une hausse des exportations. Mais ce résultat encourageant est l’arbre qui cache la forêt, si vous me permettez l’expression ! Car l’amélioration du solde des échanges provient essentiellement de la hausse des exportations de bois ronds non transformés (+154 millions d’euros en 2014 soit +77% en valeur et +61% en volume), ce qu’on appelle communément les grumes. Ainsi, entre 2000 et 2014, le volume exporté sous forme de grumes a été multiplié par trois pour le sapinépicéa et par 6 pour le chêne, ayant pour conséquence une hausse sensible la part de la récolte exportée (de 2% à 10% pour le chêne en 2013, et sans doute plus de 15% en 2014 – les chiffres n’étaient pas encore connus lors de mes travaux) en raison d’une baisse des récoltes en forêt non moins inquiétante. Enfin, sur la même période, la production de sciages a chuté de 20% (surtout après la crise de 2008), moins pour les résineux (13 %) que pour les feuillus tempérés (39 %, avec -35% pour le chêne). Nous avons perdu deux tiers des scieries entre 1980 et 2010, et cela se poursuit (-2% par an), renforçant les inquiétudes de notre industrie de première transformation.
La Chine est souvent montrée du doigt par les scieurs en tant que « pilleur » de notre matière première ; avez-vous pu obtenir des éléments chiffrés à ce sujet ?
La lettre de mission du Premier ministre demandait précisément à ce que soient étudiées « les flux de produits de bois brut et leur pays de destination », et c’est ce que je me suis attaché à faire non sans difficulté en raison d’un manque de traçabilité que j’ai souligné dans le rapport et contre lequel j’ai fait plusieurs préconisations comme le fait de rendre obligatoire le Document d’information phytosanitaire intra-communautaire (DIPIC) pour tout mouvement intra-communautaire de bois destinés à l’exportation vers les pays tiers (c’est-à-dire hors UE) ou encore le renforcement les contrôles physiques avant expédition de la marchandise depuis la France.
On peut dire aujourd’hui que la géographie des échanges des produits du bois a considérablement évolué depuis 10 ans, et le poids de la Chine est croissant, c’est une réalité. Elle est notamment devenue depuis 2005 le 1er pays importateur mondial de grumes, pour faire face à la fois à sa forte demande intérieure et pour approvisionner ses unités de transformation en vue de réexporter des produits sciés ou finis vers l'Europe et les ÉtatsUnis. Pour les grumes de chêne, la France est à présent le 1er pays fournisseur de la Chine, devant la Russie et les États Unis, et la Chine représente notre premier client, loin devant la Belgique, l’Italie et l’Allemagne. La hausse des exportations de grumes, conjuguée à une baisse de la récolte et à la hausse des prix, corollaire de la demande chinoise, engendrent une crise d’approvisionnement en difficulté notre industrie de première transformation et ses emplois, creuse à long terme notre déficit commercial et nous prive d’une matière première durable indispensable pour réaliser avec succès la transition énergétique vers laquelle nous venons de nous engager. C’est ce qui a incité le Gouvernement à déclencher une mission parlementaire sur le sujet.
Certes, mais on compte pourtant de nombreux rapports sur cette filière, le dernier en date émanant du Sénat en avril dernier ; qu’est-ce qui différencie votre rapport des autres publications, qui n’ont pas toujours été suivies d’effets ?
Il faut tout de même rappeler que le volet forestier de la loi d’avenir pour l’agriculture s’est très largement inspiré du rapport en 2013 de mon collègue Jean-Yves Caullet, désormais Président de l’ONF. Pour ma part, fidèle à une méthode de travail qui a fait ses preuves lorsque j’étais Vice-président du Conseil régional de Lorraine avec la mise en place du 1er observatoire économique régional sur cette filière, j’ai souhaité associer le plus tôt possible les professionnels du secteur, afin de m’appuyer sur leur expertise et leur expérience, pour mieux appréhender les difficultés rencontrées et établir un diagnostic précis, avant de réfléchir à des réponses adaptées et concrètes.
Et preuve qu’il ne s’agira pas d’un énième rapport venant prendre la poussière au milieu d’une étagère, le Ministre a d’ores et déjà retenu plusieurs des mesures que je propose et a engagé leur mise en œuvre (voir encart ci-dessous ■
2 mesures d’urgence du rapport Franqueville déjà appliquées par le Gouvernement :
• Soutien à l’industrie de première transformation : le principe de l’inclusion d’un critère de durabilité imposant aux acheteurs de chêne sur pied (ventes publiques de l’Office national des forêts) une transformation dans l’UE, qui a vu le jour par le décret en Conseil d’Etat pris le 11 septembre dernier, donne d’ores et déjà un peu d’oxygène aux scieurs et doit assurer une meilleure valorisation de la matière première sur notre territoire.
• Réforme des modalités de certification phytosanitaire des grumes partant à l’export : en raison des risques sanitaires et des écueils relevés dans le rapport en matière de traçabilité à l’exportation, une instruction de la Direction générale de l’Alimentation (DGAL) a été publiée le lendemain de la remise du rapport ; elle met concrètement en œuvre les recommandations émises par le Député en interdisant, à partir du 1er novembre prochain, le traitement par insecticides et en forêt des bois destinés à l’exportation, et en exigeant en conséquence un traitement par fumigation en enceinte confinée. De plus, pour avoir l’assurance d’un traitement phytosanitaire conforme, le document d’information phytosanitaire intra-communautaire (DIPIC) va être rendu obligatoire pour tout mouvement intra-communautaire de bois à destination des pays tiers (hors UE) et devrait ainsi permettre d’obtenir des statistiques plus fiables en matière d’exportations de grumes.
Parmi les 25 propositions qui sont faites, autour de 4 enjeux structurants pour la filière, on notera surtout :
1. Sécuriser l’approvisionnement des scieries, tout en assurant des débouchés réguliers pour les propriétaires
• Développer dès maintenant et à moyen terme les contrats d’approvisionnement en forêt domaniale et communale pour les bois de chêne de qualité sciage (qualités C et D).
• Introduire une clause visant à s’assurer que les scieurs bénéficiant d’un contrat transforment en France une part importante (80%) de tous leurs achats de bois.
• A titre temporaire et transitoire, autoriser la création d’un label « sciage UE » pour le chêne,
2. Créer les conditions pour que les qualités des bois français, résineux comme feuillus, soient mieux reconnues, tant sur le marché national qu’à l’étranger
• Enclencher une dynamique d’investissement par un dispositif de provision pour investissement sur 3 ans minimum.
• Permettre aux scieries d’intégrer des unités de cogénération au sein de leur outil de production
• Elaborer un guide mettant en valeur les atouts du matériau bois dans la construction, la rénovation et l’agencement bois, dans l’esprit de celui diffusé aux élus et donneurs d’ordre gestionnaires de la restauration collective publique.
3. Mobiliser davantage la ressource bois, tout en garantissant son renouvellement, pour une forêt française répondant aux objectifs de la transition énergétique et écologique, comme à ceux de l’adaptation au changement climatique
• Veiller à ce que les Plans simples de gestion (PSG), à l’occasion de leur renouvellement, soient suffisamment ambitieux en matière de mobilisation des bois (aspects renouvellement et sylviculture) et comportent un volume prévisionnel de récolte ;
• Faire une place accrue aux essences résineuses à l’occasion du renouvellement
4. Substituer des exportations de sciages et d’autres produits à valeur ajoutée aux exportations de bois bruts et participer ainsi à l’utilisation durable de la ressource bois, en respectant la hiérarchie des usages (bois d’œuvre, bois d’industrie, bois énergie)
• Interdire le traitement des bois destinés à l’exportation par insecticides ; mise en place sur le sol national, de manière systématique et obligatoire, d’un traitement normé par fumigation en enceinte confinée pour toute exportation de grumes non écorcées.
• Mettre en place une redevance « bas-carbone » assise sur le volume des bois ronds exportés, et affecter son produit au Fonds stratégique de la Forêt et du Bois.