En Juin 2015, Madame Corinne Lepage, missionnée par la ministre de l’Ecologie, a remis à celle-ci un rapport de 140 pages intitulé L’économie du Nouveau Monde, préparé par un groupe qu’elle a créé et présidé. A la page 25 de ce rapport on lit : « en 2014 l’énergie solaire représente 10% de l’électricité du monde ». En réalité, la part du solaire dans l’électricité était en 2012 de 0,4% (selon les chiffres de l’Agence Internationale de l’Energie). Cette grossière surestimation n’est pas anodine. Elle frappe d’abord par son ampleur : un facteur d’au moins 20. Ensuite il ne s’agit pas d’une erreur lâchée dans le feu d’une discussion, comme chacun peut en commettre, mais bien d’une phrase écrite, pensée, relue, contrôlée, qui exprime ce que croient vraiment ses auteurs. Troisièmement, l’auteure principale et signataire n’est pas n’importe qui en France: Madame Lepage, qui a été ministre de l’Environnement, est considérée comme une autorité en matière de climat et d’énergie, et très fréquemment interrogée en tant que telle dans les médias français. Quatrièmement, le rapport cité est le produit d’un groupe de 27 spécialistes (ou soi-disant tels), assistés par des fonctionnaires du ministère de l’Ecologie, qui en ont tous relu et approuvé le texte ; la grossière erreur évoquée ici n’est donc le fait de la seule Madame Lepage, elle est ce que croient et font croire des dizaines d’acteurs du domaine. Enfin, le texte qui la contient est explicitement adressé à la ministre actuelle de l’Ecologie, Madame Ségolène Royal, qui sera donc gravement désinformée.
La question de la part du solaire est directement liée à la vision dominante du réchauffement climatique : pour empêcher un réchauffement aux conséquences catastrophiques, il faut arrêter de rejeter des gaz à effet de serre, donc faire de l’électricité sans combustibles fossiles (et aussi pour d’autres raisons sans nucléaire), donc la produire avec de l’éolien et surtout du solaire, donc montrer que le solaire joue déjà un rôle essentiel, qui pourra facilement devenir principal. Peu importent les données, c’est le message qui compte. Loin d’être anecdotique, la bourde de Mme Lepage est représentative. De ce que pensent et en tous cas disent les élites sur le thème du climat et de l’énergie. Du fossé qui sépare leurs rêves des réalités. De leur méconnaissance du monde tel qu’il est. De leur mépris même pour la connaissance, les faits, les chiffres et la raison.
On retrouve ce chiasme dans d’autres domaines de la vie publique, comme l’éducation, la santé, l’économie, la sécurité ou la mobilité. Mais à un degré moindre. Le champ du climat apparaît particulièrement fertile pour les mauvaises herbes de la déraison. On a cherché à savoir pourquoi et comment on en est arrivé à ce degré zéro du bon sens. La réponse proposée (1) est la suivante : on est passé d’une science fragile, la science du climat, à une idéologie dangereuse, le réchauffisme.
La science du climat est en effet fragile. Le climat est un objet scientifique récent, et très complexe. Il y a seulement un demi-siècle, il n’existait pratiquement aucun cours, aucun manuel, aucune revue, aucune société savante de « climatologie ». Cette science était à construire. Pour se solidifier, elle avait, comme toutes les sciences, besoin de données, d’expérimentations, de théories, de remises en cause, de tâtonnements - c’est-à-dire de temps et d’indépendance.
Elle n’a rien eu de tout cela. Elle a été en quelque sorte préemptée, kidnappée. En 1978, les chercheurs sur le climat sont unanimes à prévoir un refroidissement prochain et considérable de la terre. En 1988, les Nations-Unies créent le GIEC, avec mission de « prouver » le réchauffement, ses causes et ses conséquences. En 1992, tout était plié. La science était établie. Les Nations-Unis affirmaient qu’un réchauffement était en marche, en précisaient la cause (anthropique), et les conséquences (effroyables), et créaient la CCNUCC (2), qui organise les COPs (3) (comme la COP21 de Paris) pour réduire les rejets de CO2 du monde.
Science express, donc ; science officielle aussi. C’est M. Pachauri, le patron du GIEC pendant 13 ans (4) qui le dit : « Reconnaissons-le, nous sommes une institution intergouvernementale, et la force et l’acceptabilité de nos productions viennent principalement de ce que nous sommes la propriété des gouvernements […] Bien évidemment, ils [les gouvernements] nous indiquent les directions à suivre » (Times of India, 3 septembre 2010). Le moins que l’on puisse dire est que l’équation : GIEC = Science n’est pas vérifiée.
Mais la dimension scientifique ne joue qu’un rôle ancillaire dans discours dominant sur le climat – le réchauffisme. La plupart des hérauts du réchauffisme, de la Madame Climat des Nations-Unies au pape François, ne sont nullement des scientifiques. Lorsqu’à Manille le président de la République française, flanqué de Nicolas Hulot et de Marion Cotillard, rend le réchauffement responsable des tremblements de terre et des tsunamis, ce n’est pas la science, même fragile, qui parle. Le réchauffisme est une doctrine, une idéologie, au sens où Hannah Arendt emploie le mot dans sa célèbre analyse des totalitarismes nazis et communistes. Il en présente toutes les caractéristiques.
Il est monocausal. Il s’appuie sur une relation simple et unique, au pouvoir explicatif infini. Tous les maux de la terre sont causés par l’impiété, ou le cléricalisme, ou le capitalisme, ou les races inférieures; Ici, par le réchauffement.
Il est scientifiste. Les idéologies prétendent s’appuyer sur la science, une science unique, dogmatique, fermée, irréfutable, définitive. Le communisme se flattait d’être le socialisme « scientifique » et développait « l’économie marxiste ». Le nazisme se donnait comme l’expression d’une soi-disant « science des races ». Ces prétendues sciences avaient une valeur prédictive : elles produisait la certitude de catastrophes finales.
Il est étatique. Les idéologies sont des doctrines épousées, capturées, instrumentalisées, par des Etats (ce qui les différencie des croyances populaires ou des religions). Elles disposent alors de l’appareil administratif, de la propagande publique, et du monopole de la violence légitime qui définissent l’Etat. La croyance devient alors obligatoire. Le réchauffisme n’a pas encore atteint ce stade, mais il s’y dirige d’un bon pas. Sa particularité est d’avoir été adopté, sinon inventé, par cet embryon d’Etat universel qu’est l’ONU.
Le réchauffisme est révolutionnaire. Les prédictions apocalyptiques des idéologies débouchent sur la nécessité de révolutions préventives ; Le devoir du vrai croyant est de tout faire (le mot important ici est : tout) pour arrêter la mécanique infernale si bien identifiée par la « science ». L’idéologue est un combattant, engagé dans la « lutte finale » ou porté par Mein Kampf. Il est naturellement intolérant à l’égard des mécréants, et même des sceptiques. Les réchauffistes, à la différence des nazis ou des communistes, n’ont encore assassiné personne (ce qui constitue une grande différence). Mais ils ne se gênent pas pour insulter, menacer, exclure, ceux qui ne pensent pas comme eux.
Il est enfin populaire. La plupart des idéologies ont été largement acceptées par les populations et en particulier par les intellectuels. Pour beaucoup d’entre eux, le communisme était, comme disait Sartre « l’horizon indépassable de notre temps ». De la même façon, le succès de l’idéologie réchauffiste est considérable, au moins dans les pays développés. Il est spontané, même s’il est amplifié par les propagandes publiques et médiatiques.
Le réchauffisme est enraciné dans une longue tradition d’analyses et de prédictions apocalyptiques, qui commencent dès les premières pages de la Bible. Coupables d’avoir voulu goûter à la connaissance, Adam et Eve sont chassés du paradis, et condamnés aux larmes et au sang. Quelques pages plus loin, la Bible décrit le Déluge : « Yahve vit que la méchanceté de l’homme était grande sur la terre et dit ‘je vais effacer de la surface du sol les hommes que j’ai créés – et avec les hommes, les bestiaux, les bestioles et les oiseaux du ciel‘. La pluie tomba sur la terre pendant quarante jours et quarante nuits, faisant disparaître tous les êtres qui étaient sur la terre ferme » (Genèse, 6). On trouve ainsi dans le Déluge les principaux ingrédients de l’idéologie réchauffiste : les fautes des hommes, la catastrophe climatique, le point de non retour, et l’élimination de la vie sur terre. ■
* Auteur de « L’idéologie du réchauffement – La tentation totalitaire de l’écologie » – novembre 2015 – Editions du Toucan
(1) Cette réponse est argumentée dans notre L’idéologie du réchauffement – Sciences molle et doctrine dure, ed. L’Artilleur, Paris, 2015.
(2) Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique.
(3) Conférences des (of) Parties.
(4) Il a donné sa démission en février 2015, à la suite d’accusations (non jugées) de harcèlement sexuel;