* Gaëtane Morin est chef de service adjointe Enquêtes et Investigations au Parisien Magazine, en charge de la politique. Elle a publié trois livres avec Bernard Laporte, dont Un Bleu en politique, récit de son expérience au gouvernement (Presses de la Cité, 2009). Elizabeth Pineau est correspondante à l’Élysée et à Matignon pour l’agence Reuters. Passionnée de mode, elle a publié un livre consacré au photographe de Christian Dior, Willy Maywald, l’élégance du regard (Éditions de l’Amateur, 2002).
Le protocole, c’est le pouvoir
On n’a jamais une deuxième chance de faire une bonne première impression. En politique comme en amour, au théâtre comme au gouvernement, mieux vaut réussir son entrée. Ne pas rater son effet. Et, pour ce faire, choisir les bons atours.
Au sein d’une entreprise, la mise du salarié doit correspondre aux instructions de la direction et aux usages de la profession. Dans les palais de la République, il s’agit de faire honneur à son mandat par le respect d’un certain nombre de codes vestimentaires. Être le corps et la voix du peuple, telle est bien la définition du parlementaire, à qui la mission confiée pour quelques années d’écrire et de voter les lois suppose bienséance et savoir-vivre. On ne parle pas ici de mode– « usage passager qui dépend du goût et du caprice »,
dit le Dictionnaire de l’Académie française de 1740 – mais de représentation.
La règle est non écrite, ou si peu. En fouillant dans les archives des deux Chambres, on trouve quelques rappels à l’ordre. Au début des années 1980 par exemple, à l’arrivée de la gauche au pouvoir, un certain laisser-aller est constaté au point de voir le Bureau de l’Assemblée nationale mentionner l’exigence d’une « tenue correcte, qui suppose le port d’une cravate et d’un veston ». La mise en garde est réitérée dans une note du 9 juillet 2008 rappelant le « port obligatoire de la cravate dans l’hémicycle » et la « nécessité jusque-là observée d’avoir en toutes circonstances une tenue respectueuse des lieux ». L’habitude et les convenances, dont les élus sont les premiers garants, font le reste. « Quatre-vingt-dix pour cent des règles, c’est de l’usage. De loin le plus efficace », confirme un administrateur du Sénat.
Dans un univers aussi contraint, défier l’étiquette est à ses risques et périls. Patrice Carvalho l’a appris à ses dépens. Parce qu’il est le « seul député d’origine ouvrière à l’Assemblée nationale », ce petit-fils de charpentier, fils d’ouvrier, lui-même ancien de Saint-Gobain, avait décidé de passer sa première journée au palais Bourbon en bleu de chauffe. L’image fit, ce jour-là, le tour du monde.[…]
Repéré dès son arrivée à l’Assemblée dans cet inhabituel accoutrement par les journalistes, Patrice Carvalho l’est aussi par ses camarades du groupe communiste présidé par Alain Bocquet. L’accueil est plutôt frais. […] À l’approche de l’hémicycle, un huissier aux moustaches en guidon de vélo fait barrage. « Monsieur le député, vous ne pouvez pas entrer ainsi. » L’élu ne se démonte pas, argumente qu’il porte une veste, d’ouvrier certes, mais accompagnée d’une chemise et d’une cravate. « Je suis un élu du peuple et j’entends siéger dans cette tenue. Et hop, j’ai lancé mes cent kilos et ils n’ont rien empêché. » Les médias se régalent. […]
« Mode » in France
Le made in France, slogan que Jean-Guy Le Floch enjoint aux dirigeants de tous bords de « marteler », n’est entré dans les moeurs politiques qu’en tant qu’argument de com. Il représente un effet de mode plus qu’une réelle prise de conscience, certains élus n’y attachant même aucune importance. Si nombre d’entre eux nous ont dit veiller à choisir « des marques françaises », citant tour à tour Georges Rech, Apostrophe, Paule Ka et Gérard Darel, mais aussi les enseignes fashion et trendy Tara Jarmon, Comptoir des cotonniers, Agnès B, Sonia Rykiel, Carven, Paul & Joe, Courrèges, Sandro ou Maje, rares sont ceux qui regardent leurs étiquettes avant de payer. Or, ce n’est pas parce qu’ils achètent français qu’ils portent du cent pour cent « fabriqué en France ».
Cette distinction, Arnaud Montebourg la connaît bien : depuis qu’il a fait la promotion de la marinière en octobre 2012, il est l’un des plus vigilants sur la question. Sa conversion est néanmoins récente. Ce n’est qu’à l’automne de cette année-là, après avoir été alpagué par le patron de Smuggler sur le premier salon du Made in France (MIF), qu’il décide de faire tailler ses costumes dans l’usine de ce dernier, à Limoges. […]
Look de droite, look de gauche ?
Dis-moi comment tu t’habilles, je te dirai pour qui tu votes. En sweater à capuche ? socialiste, bien sûr !
En blazer sur chemise bicolore ? Ah, Républicain ! Mocassins à droite, col mal repassé à gauche, veste polaire en matière recyclée pour les écolos, écharpe rouge chez les communistes, etc. Sauf qu’en réalité, ce n’est pas si simple : à l’heure où les trois quarts des Français considèrent qu’il n’y a plus guère de différence entre droite et gauche dans le paysage politique, chez les élus comme parmi leurs électeurs, force est de constater que l’habit ne fait plus le moine.
En ce début juillet, il fait très chaud au Sénat. Jean- Vincent Placé défait sa cravate bleu marine assortie à son costume et la range dans la poche intérieure de sa veste posée sur un fauteuil près de lui. « J’ai longtemps assumé à moi tout seul la diversité vestimentaire du parti », poursuit l’ambitieux sénateur et futur secrétaire d’État, au moment de notre rencontre. Parfois montré du doigt pour sa mise qui ne colle pas tout à fait avec l’image d’un amoureux de la nature, il se considère comme la preuve qu’« on n’a pas besoin d’être en jean troué, en sandales et avec les cheveux gras pour être estampillé écolo ! » Il en a assez qu’on doute de sa sincérité parce qu’il est « en costard-cravate, qui est le look Sarkozy si j’ose dire, et maintenant le look de tout le monde, d’ailleurs… » […]
À droite aussi, le délit d’allure en agace plus d’une. « Bourge de quoi ? » Valérie Pécresse s’irrite d’être rangée d’emblée dans la case des égéries bon chic bon genre même si au fond ce que les autres pensent de son look, elle s’en fout (sic). « Je ne vais pas m’habiller en gothique pour ne pas avoir l’air d’être une bourgeoise ! » tempête l’ex-élue des Yvelines.
Moquée sur Twitter pour avoir porté un jean un week-end à l’Assemblée nationale, cible de railleries sur son air fatigué ou ses vestes colorées dans les émissions satiriques, la blonde présidente de région fait mine d’avoir abandonné le combat de l’image. « Avant, vous pouviez vous habiller comme un plouc ou comme une bourge pendant des années et personne ne le remarquait. Aujourd’hui vous êtes critiquée, quoi que vous fassiez », dit-elle en touillant son Perrier dans un coin sombre du Bourbon, le bar le plus proche de l’Assemblée. Quand on lui demande de lier allure et opinions politiques, Valérie Pécresse répond que l’expérience lui a appris à « arrêter le délit de faciès depuis longtemps ». […]
Plus qu’entre la droite et la gauche, la distinction se fait entre ceux qui se préoccupent de leur apparence et ceux qui s’en fichent. De ce point de vue-là, toutes les couleurs politiques se valent. Mais pour les rares animaux politiques qui atteignent la fonction suprême, les petits arrangements ne suffisent pas. Quand on est président de la République, on est l’image de la France.
Vu à la télé
[…] Sobriété et simplicité sont bien le fil conducteur des prestations télévisées des responsables politiques. Contrairement aux vedettes de cinéma, de la musique ou de la téléréalité, ils ne s’aventurent jamais à porter des décolletés extravagants, des minijupes, des T-shirts à messages ou même des jeans à la mode. Quelle que soit l’émission à laquelle ils participent, de la grand-messe du journal de vingt heures aux talk-shows de deuxième partie de soirée, ils gardent à l’esprit qu’ils sont en représentation : les Français attendent d’eux qu’ils portent l’habit de circonstance. Qu’ils y dérogent, par négligence ou par fantaisie, et leur carrière politique peut brutalement s’arrêter là.[…] La télévision a donc ses codes, auxquels les élus sont sensibilisés dès leurs premiers pas politiques. « Nous avons des formations pour apprendre à bien communiquer, confie Jean-Luc Romero, conseiller régional d’Île-de-France apparenté PS. Les premiers cours portent sur la forme : on nous dit de sourire, de ne pas porter du ton sur ton, de faire attention à être bien habillé, d’éviter certaines couleurs ou originalités comme les rayures et les imprimés… »
Des communicants dédiés à chaque personnalité prennent ensuite le relais dans les cabinets ministériels et les antichambres du pouvoir. Traumatisés par l’« affaire Mattéi » et soucieux de renvoyer la meilleure image de leur mentor, ils distillent à celui-ci leurs recommandations : à Myriam El Khomri, « le blanc qui lui va bien au teint » ; à Valérie Pécresse, « le rouge comme antidote à la mauvaise mine » ; à Bruno Le Maire, « l’orange ou le bleu électrique qui donne du peps »… Sans oublier la cravate, incontournable lors d’une prestation télévisée. Pierre Zarka, ancien député communiste de Seine-Saint-Denis, a un jour décidé de faire l’impasse sur cet accessoire. Motif invoqué : être en phase avec l’électorat ouvrier. « Ça a tellement déplu à ses administrés qu’ils lui ont envoyé des cravates à la mairie accompagnées d’un mot : “Si vous n’avez pas de quoi vous en payer une, voici pour vous”, se souvient le communicant Jean- Luc Mano. Il en a reçu cent ! » ■
© Avec l’aimable autorisation des éditions Robert Laffont
Le vestiaire des politiques - Gaëtane Morin et Elizabeth Pineau – 263 pages