Quel est l’avenir de l’énergie nucléaire ? Si la question n’est pas nouvelle, il est aujourd’hui urgent d’y apporter une vraie réponse. La recomposition à l’œuvre de l’industrie nucléaire y invite. Le contexte politique, technique et économique l’exige.
Un contexte global nouveau
Tout d’abord, la catastrophe de Fukushima survenue en 2011 a ébranlé beaucoup de certitudes. Cet événement invite à reconsidérer le recours à l’atome à l’aune de la sûreté des populations et de la protection de l’environnement. En France, si l’opinion publique demeure favorable à cette énergie, elle reste préoccupée, notamment par la crainte diffuse d’un accident ou d’un attentat.
Le risque associé à l’exploitation du nucléaire ne doit cependant pas occulter la contribution déterminante de cette source d’énergie non carbonée dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique. Soyons clairs : il est, à ce jour, irréaliste de prétendre se dispenser de l’atome si l’on souhaite contenir le réchauffement climatique en-dessous de 1,5°C, objectif que vient de se fixer la communauté internationale par l’Accord de Paris. Le seul essor des énergies renouvelables ne suffira pas, compte tenu de leur rythme de déploiement, de leurs problèmes de compétitivité, des défis techniques et des coûts additionnels qui résultent de leur intermittence. Leur développement, évidemment souhaitable, doit être accompagné de celui de l’énergie nucléaire, principale énergie non carbonée capable de produire de l’électricité massivement et de façon pilotable.
Il faut bien admettre que l’état de la filière française peut susciter des questions légitimes, tout particulièrement en ce qui concerne la défaillance industrielle et financière d’AREVA ainsi que les difficultés que rencontre EDF au vu des défis qui l’attendent. Efforts et remises en cause sont donc, aujourd’hui, parfaitement justifiés, pour redonner du crédit et de la compétitivité à l’offre industrielle, aussi bien sur le marché national qu’à l’exportation.
En bref, les défis de grande ampleur auxquels est confrontée l’énergie nucléaire sont à la mesure des ambitions qu’elle doit avoir, en tant que composante essentielle de l’offre énergétique française, européenne et mondiale.
Les défis de l’énergie nucléaire
Pour l’Institut Montaigne, l’énergie nucléaire fait donc face à une conjoncture nouvelle, la confrontant à deux défis majeurs. Tout d’abord, d’un point de vue technique, celui d’élever encore le niveau mondial de sûreté des installations et de maîtrise de la gestion des déchets radioactifs. Sûreté et gestion des déchets sont en effet déterminantes pour l’acceptabilité de l’énergie nucléaire. L’autre défi, de nature économique, concerne le financement de la construction de nouvelles centrales et l’amélioration de la compétitivité de l’offre énergétique, pour les entreprises et les ménages. Cela impose de refaire la démonstration de la viabilité de l’équation économique du nucléaire, dans un contexte où le coût des énergies ne s’arrête plus au seul coût de production mais doit prendre en compte toutes les externalités (prix du carbone, coûts des réseaux et du stockage, coûts du démantèlement et de gestion des déchets).
L’énergie nucléaire pourra jouer le rôle clé qui doit lui incomber dans la lutte mondiale contre le réchauffement climatique si ces deux types de défis sont relevés. Cela suppose, au niveau mondial, européen et français, que des choix éclairés et rationnels soient opérés sans attendre.
Pour l’Europe et la France, l’heure des choix stratégiques est arrivée
La volonté de la Commission européenne d’instaurer une « Union de l’énergie » doit être saluée, à condition d’admettre que tout ne se résumera pas au seul respect des règles de concurrence. Cela devra conduire à mettre en question le dogme de la souveraineté non partagée des États membres dans la détermination de leur bouquet énergétique. Le nucléaire devra trouver une place explicite dans l’éventail des sources qui permettra à l’Union européenne de se doter d’une stratégie énergétique moderne et ambitieuse. L’Union de l’énergie suppose également d’assurer une réelle efficacité économique aux mécanismes de tarification du carbone et de faire prévaloir le principe de neutralité technologique dans le financement des infrastructures de production d’énergie faiblement carbonée.
Pour ce qui concerne la France, sa production d’énergie nucléaire lui permet de s’inscrire pleinement dans une stratégie européenne reposant sur le triptyque sécurité d’approvisionnement, compétitivité économique et développement durable, dont la lutte contre le réchauffement climatique constitue la priorité absolue. Une bonne articulation entre le développement d’énergies renouvelables et celui du nucléaire devrait donc constituer une réponse évidente pour notre pays. La loi de transition énergétique, promulguée en août 2015, a d’ailleurs permis de fixer un cap et d’acter la diversification du bouquet électrique. C’est une avancée qu’il faut saluer. Pour autant, les objectifs fixés pour l’électricité d’origine nucléaire, en particulier le plafond de 50 % à l’horizon 2025 et la limitation à 63,2 gigawatts de la capacité totale autorisée de production, suppriment toute flexibilité, ce qui est préjudiciable aux intérêts de notre pays et à la réussite de la transition énergétique. Les appliquer entraînerait la fermeture de plusieurs centrales existantes, alors qu’elles pourraient continuer à produire une énergie compétitive et décarbonée, avec un niveau de sûreté approuvé par l’ASN. Ces fermetures anticipées seraient, au demeurant, assorties de surcoûts s’élevant à plusieurs milliards d’euros pour l’État, sans compter les conséquences sur l’économie, l’environnement et l’emploi, qui n’ont pas été évaluées.
L’Institut Montaigne déplore que la programmation du prolongement de notre parc nucléaire, qui produit 75 % de notre électricité, fasse l’objet de déclarations gouvernementales peu cohérentes, alors qu’elle est aujourd’hui inévitable pour continuer à bénéficier des atouts des centrales de deuxième génération. Au terme de plusieurs mois de travaux, enrichis d’une quarantaine d’entretiens avec des spécialistes et les parties prenantes, il nous est apparu que prolonger la durée d’exploitation des réacteurs de la génération actuelle n’est pas une option, mais une nécessité. Programmer le renouvellement d’une partie du parc d’ici 2017, puis construire de nouveaux réacteurs, pour une mise en service à l’horizon 2030 et en relevant les défis techniques et financiers mentionnés ci-dessus, nous semble en être une autre. Dans ce contexte et face à un discours public ambigu et changeant, l’État doit clarifier sa stratégie, donner de la visibilité sur son marché domestique et permettre à la filière de se préparer, afin d’assurer le développement d’une économie française moins carbonée, plus compétitive et dont les approvisionnements énergétiques seront sécurisés.
L’urgence de la décision
La principale et la pire menace pour cette filière d’excellence serait l’indécision, l’absence de choix politiques clairs. Les hésitations des gouvernements successifs suscitent des interrogations et sont perçues comme des menaces, non seulement pour EDF, AREVA et l’ensemble du secteur, mais plus généralement pour la cohérence de la politique énergétique de la France et, au final, pour son économie toute entière.
L’Institut Montaigne souhaite mettre en garde contre les dangers auxquels conduirait l’inaction des pouvoirs publics, aussi bien pour ce qui concerne la prolongation du parc et la programmation de son renouvellement partiel, que pour la santé financière d’EDF et sa capacité d’investissement, de même que pour l’évolution des prix réglementés et de la tarification du carbone. C’est d’une politique globale et ambitieuse dont l’industrie nucléaire française a aujourd’hui besoin. Le handicap majeur serait l’absence de choix politiques et de décisions opérationnelles, en France comme en Europe. ■
*Jean-Paul Tran Thiet, Avocat, président du groupe de travail qui a réalisé le rapport de l’Institut Montaigne Nucléaire : l’heure des choix