Dans le débat sur l’amélioration de la sécurité, vous avez souligné que chaque français devait se sentir concerné « Face à une menace qui se banalise, chaque français avait un rôle à jouer ». Qu’est-ce-à dire ? Comment cela pourrait-il se traduire concrètement ?
La sécurité est l’affaire de tous et pas seulement de l’état. Il faut sortir de cette fausse répartition laissant penser que l’état peut tout faire et que le citoyen n’est qu’un spectateur des manœuvres de l’administration. Non seulement la menace provient de l’environnement immédiat des citoyens (notamment dans certaines communautés), mais de plus, ce sont aujourd’hui les citoyens qui en sont majoritairement victimes. Enfin, l’état doit admettre que face à une menace intérieure globale, multiforme et banalisée, seule la mobilisation de l’ensemble des français pourra lui permettre de s’en sortir.
Plusieurs pistes sont envisageables, mais je peux déjà citer celle reposant sur la fin du cloisonnement trop hermétique entre le secteur privée et le secteur public dans le domaine de la sécurité. D’énormes marges de progression existent, sans aucun coût pour l’état, mais qui sont impossibles aujourd’hui pour des raisons de blocages plus psychologiques ou idéologiques que techniques. Il faut rapidement réglementer et faire émerger une offre de sécurité privée durcie, avec moyens létaux, pour que demain chaque points sensibles, chaque entreprises ou lieux regroupant un public sensible, puissent s’organiser autour d’une véritable sécurité capable de défendre les citoyens. Aujourd’hui, l’état a organisé la sécurité des lieux sensibles sur un principe de réaction extérieure face à une attaque. Mais les terroristes ont compris la faille de cette approche : on attaque donc avec le maximum de nuisance immédiatement, afin que l’opération soit quasiment terminée au moment de l’arrivée des forces de sécurité ; Aujourd’hui, le seul concept tactique qui permette de protéger, est celui de la capacité de riposte interne à l’objectif et non pas extérieur à celui-ci : 2 hommes armés, en tenue civil, discret, positionné dans le Bataclan, aurait sans doute permis de sauver des dizaines de vie : voila vers quoi il faut tendre.
Allons-nous donc de facto vers un modèle de sécurité « à l’israélienne » ?
Ce qu’il faut comprendre quand on parle de sécurité à l’israélienne, est justement ce concept qui fait du citoyen une personne responsable de la sûreté nationale. Je rappelle que ce principe est un principe d’abord français, qui a vu le jour avec la naissance de la République. C’est sur cette idée qu’a reposé pendant 200 ans notre système de service nationale mis en place en 1798 avec la Loi Jourdan qui affirmait que « tout français est soldat et se doit à la défense de la patrie ». D’ailleurs, ce principe reposait sur une valeur suprême, fondant la communauté nationale et qui provenait d’une vertu morale, à savoir que dans certains situations, l’intérêt collectif est supérieur à l’intérêt individuel. C’est de cette vertu que repose la militarité – au sens de la sacralisation de l’intérêt collectif - , organisation essentielle qui devrait , dans son esprit, être à nouveau instauré rapidement comme ciment et moteur de la Nation.
Dans le débat sur le dispositif de lutte contre le terrorisme, certains ont regretté que les Renseignements Généraux aient disparu à la fin des années 2000 parce qu’ils permettaient de remonter les « signaux faibles », notamment des « quartiers ». Est-ce votre avis ?
Aujourd’hui, nous nous trouvons confronté à un dilemme : nous refusons d’accepter la réalité, à savoir l’émergence de communautés très fortement identitaires, au sein de la communauté nationale. Cet « évitement » de la réalité nous empêche de construire une relation fluide et efficace avec les membres de ces sous ensembles. On peut le déplorer, le critiquer, le dénoncer, mais aujourd’hui qui va contester l’existence d’une communauté musulmane, avec ses territoires, son organisation, ses codes de vie, ses revendications, sa logique de développement ? Pour ceux qui le contestent, il aurait peut-être fallu prendre les décisions en amont pour éviter ce fait, mais aujourd’hui nous y sommes. Aussi, je pense que nous devrions avoir une approche sécuritaire différente, à savoir la prise en compte de nouveaux paramètres plus culturels, parfois ethniques , religieux dans notre organisation de la relation avec ses citoyens. C’est le principe d’une « police des communautés » mis en place dans certaines parties du monde, ou des personnes issues de ces communautés participent à la collecte de renseignement, à la police de proximité, à la sécurité. C’était aussi la philosophie des RG, à savoir une capacité de côtoyer, s’intégrer, ou s’infiltrer, dans des sous ensemble assez fermés et homogènes ; il nous manque probablement aujourd’hui ce savoir-faire. Il y a probablement une réflexion à mener dans la décennie à venir sur notre relation avec ces communautés, car les signaux faibles dont nous avons besoin aujourd’hui pour anticiper les menaces, sont à chercher au cœur de ses communautés dont les conflits internes (notamment sur l’Islam) rejaillissent sur toute la Nation.
Sur le volet répression, faut-il selon vous, regrouper en prison tous les prisonniers radicalisés ? Ou au contraire ce regroupement ne fait que les renforcer ? Croyez-vous à l’efficacité des centres de déradicalisation ?
C’est un sujet complexe et il n’y probablement pas de solution parfaite. Mais il me semble que l’organisation la plus compliquée à gérer est le regroupement des radicalisés dans un lieu unique. Au risque de leur donner la possibilité de reformer leur communauté et les dynamiques internes de motivation, se rajoute la complexité sécuritaire de leur surveillance. Un étalement, un morcellement une répartition avec d’autres détenus de droits communs, me semble être une posture plus contraignante pour ces criminels. Il faut les mettre en situation de fragilité et de vulnérabilité, et éviter de les renforcer en leur permettant de se soutenir dans leur incarcération.
Un débat est né sur la manière de « traiter » les « fichés » S. Faut-il selon vous les assigner à résidence préventivement comme demandent certains responsables politiques ?
Il me semble qu’il faut surtout légiférer en interdisant et condamnant les propos religieux extrêmes. Aujourd’hui, l’antisémitisme, la propagation d’un discours raciste ou nazi, sont condamnables. Nous devons aller sur le terrain des idées et combattre la radicalisation beaucoup plus en amont. La société doit mettre en place des « pare-feux » citoyens qui vont mettre la pression sur les candidats aux postures anti-républicaines. Avec un tel arsenal, nous aurons des moyens légaux pour empêcher qu’un volontaire sur le chemin de l’islamisation devienne un fichier S dont nous ne savons pas quoi faire…
De manière plus générale, quelles sont, selon-vous, les mesures nouvelles à mettre en place ou des mesures existantes à renforcer afin d’améliorer la lutte contre le terrorisme ?
Arrêtons de penser technique uniquement et ouvrons nos œillères. Le problème de la sécurité de nos citoyens n’est plus uniquement du ressort de la police, de l’armée ou du renseignement. Il se réglera à un niveau politique au sens premier de ce terme. Nous devons assumer nos erreurs et les corriger rapidement, et collectivement.
Dans cet esprit, je peux évoquer déjà deux axes principaux :
D’abord le contrôle aux frontières. Nous ne pouvons pas demander aux services de police de traiter les problemes de criminalités sans revoir les flux entrants et sortants de notre territoire. C’est un peu comme si vous demandiez de vider une baignoire avec une petite cuillère, tout en laissant le robinet grand ouvert. Aussi, nous devons repenser la notion de frontière, non pas comme un obstacle contraignant mais comme une nécessité indispensable pour la sécurité et la paix de demain. Les politiques doivent faire leur chemin sur ce sujet ; autrement le sujet leur reviendra en boomerang dans les années à venir…
Enfin, je pense que nous devons entrer plus fortement dans le débat avec l’islam de France. Nous devons avoir plus de fermeté et soutenir les musulmans qui dénoncent en interne la crispation de leur religion. Notre discours sur la relation avec les musulmans n’est pas clair, hésitant, peu structurant. Nous laissons ainsi l’espoir à certains croyants que la république pourrait finalement s’accommoder avec l’installation d’un mode de vie fortement religieux dans la société. Notre faiblesse intellectuelle, historique voire philosophique, motive des individus en quête d’absolu et qui trouve dans l’islam politique un rêve de conquête qu’il faut stopper au plus tôt. ■