Cette « révolution », on la doit à l’action de René Dosière. Durant vingt-cinq ans de vie parlementaire, l’ancien député n’a cessé de lutter pour une plus grande transparence de la gestion publique. Désormais à l’écart de la politique active, et fort d’une expertise unanimement reconnue, il révèle les coulisses du combat mené pendant six ans pour percer le « secret-dépense » de l’Élysée – objectif atteint en 2008 avec Nicolas Sarkozy. Déplacements, réceptions, salaires, logements, sécurité, chasses… autant d’aspects de la vie quotidienne à l’Élysée que l’auteur évoque dans un récit rempli d’anecdotes, du général de Gaulle à Emmanuel Macron, sans oublier les « premières dames » et les anciens chefs de l’État. Un sujet d’une criante actualité à l’heure où beaucoup s’interrogent sur les dépenses de l’ère Macron (frais de rénovation de la salle des fêtes et déplacements en avions entre autres).
Le budget de la présidence de la République s’élève à 110 millions d’euros, dernier chiffre officiel ; si l’on y ajoute quelques rares dépenses encore prises en charge par des budgets ministériels, dont le montant reste incertain, ainsi que le coût des moyens accordés aux anciens présidents de la République (5 millions d’euros), on obtient une somme proche de 120 millions d’euros qui correspond au budget de fonctionnement d’une commune de 80 000 habitants, par exemple Pau ou Versailles, et représente une dépense inférieure à 2 euros par habitant et par an. La dépense n’est donc pas excessive ; d’où vient, alors, que la population a une opinion exactement contraire ?
J’y vois deux raisons : d’une part, les Français ne connaissent pas le budget de l’Élysée, car il n’existe que depuis dix ans. Auparavant régnait le mystère le plus complet : on ne savait rien, le « secret dépense » était absolu. Dans ces conditions, les réticences de l’Élysée à communiquer sur ses dépenses ne pouvaient que susciter l’inquiétude de l’opinion : « Que cherche à cacher la présidence ? » [...] D’autre part, pour le citoyen, la présidence de la République s’identifie à un palais du XVIIème siècle (l’hôtel d’Évreux, son nom d’origine) avec des salons de réception aux multiples dorures, dotés de splendides peintures et tapisseries, d’un mobilier et de tapis remarquables ; bref, un lieu majestueux et fastueux qui témoigne de la richesse et de la beauté de notre patrimoine historique tel qu’on peut le visiter sur le site internet de l’Élysée, modernisé par Emmanuel Macron.
En outre, chaque visite de chef d’État ou de gouvernement étranger donne lieu à un cérémonial au protocole immuable : huissiers en frac noir ou bleu, garde républicaine en tenue d’apparat qui rend les honneurs, invités en tenue de soirée qui foulent le tapis rouge sous les flashs des photographes. Un monde de fêtes et de rêves dont les dépenses sont donc élevées. La réalité est différente. Aujourd’hui, on sait ce que représente le budget de la présidence : sur 1 000 euros de dépenses publiques, il compte pour 10 centimes d’euros. Oui, 10 centimes d’euros. Même si, comme le dit la sagesse populaire, il n’y a pas de petites économies, ce ne sont pas celles de la présidence qui permettront de réduire notre dette. Parlons-en, justement, de la dette : les intérêts que nous payons chaque année à ce titre, représentent 37 euros pour 1 000 euros de dépenses publiques ; le rapprochement avec le budget présidentiel est instructif : le montant des intérêts payés en une journée équivaut au budget annuel de la présidence de la République ! [...]
La rémunération du Président
[...] Surréaliste est en effet la rémunération du président de la République. Alors que celle de tous les décideurs publics – élus locaux, parlementaires, ministres – est fixée par un texte législatif ou réglementaire, aucun texte ne détermine la rémunération du chef de l’État. C’est donc lui-même qui en fixe le montant. L’habitude a été prise de s’en tenir au niveau retenu par le prédécesseur, moyennant une légère réévaluation. Pour donner un habillage administratif à cette étonnante coutume, le Premier ministre me répondra en juin 2004 que « le traitement attribué au président de la République est traditionnellement liquidé sur la base du groupe hors échelle G de la grille indiciaire des traitements de la fonction publique. La totalité du traitement est soumise à l’impôt sur le revenu ». En application de ce mode de calcul, Jacques Chirac percevait, en avril 2007, une rémunération nette de 7 084 euros (y compris une indemnité de 966 euros).
En réalité il s’agissait, comme pour ses prédécesseurs, d’argent de poche, puisque toutes les dépenses du président de la République étaient prises en charge par le budget de l’Élysée. Comme le disait François Mitterrand : « On m’ouvre les portes, on paie mes dépenses, je n’ai plus un franc à dépenser, même plus besoin d’argent » [...]
Radiographie du budget présidentiel
Le premier budget plein d’Emmanuel Macron (2018) est en rupture avec ceux de son prédécesseur, puisqu’il augmente de 6,9 %, soit un rythme huit fois et demie supérieur à celui de l’État. Certains postes enregistrent une progression à deux chiffres, qui atteint + 35 % pour le fonctionnement courant des services ; la masse salariale augmente sensiblement, par suite de la hausse des effectifs qui ont en charge la sécurité des personnes et la sécurité informatique ; enfin les déplacements présidentiels sont également plus dispendieux. Au total, le budget 2018 atteint 110 millions d’euros. Ces hausses résultent d’une activité accrue de la présidence, nous dit la Cour des comptes, qui souligne toutefois un coût unitaire des déplacements plus élevé.
Quelles sont les principales dépenses du budget présidentiel ? [...] Les frais de personnel constituent la principale dépense : plus des deux tiers du budget. Au 1er juillet 2019, les effectifs présents s’élèvent à 794. [...] Les déplacements représentent le deuxième poste de dépenses. [...] en 2018, le montant global des déplacements présidentiels a pour la première fois dépassé 20 millions d’euros.
Le troisième poste de dépenses concerne le fonctionnement courant de la présidence, détaillé en cinq domaines et qui représente un sixième du budget ; ce sont les dépenses qui ont connu, au fil du temps, les diminutions les plus fortes par suite de la mise en concurrence des fournisseurs. Enfin le dernier poste de dépenses regroupe les gros travaux d’entretien et de remise à niveau des installations intérieures, ce que l’on nomme en langage budgétaire les « investissements ». Il ne s’agit pas des très gros travaux de restauration des bâtiments qui sont financés au titre des monuments historiques par le ministère de la Culture et dont le montant n’a pas à figurer dans le budget présidentiel. [...]
Une cave d’exception
Mais il ne faut pas oublier les vins. Que serait la gastronomie sans l’oenologie ? La cave de l’Élysée est réputée pour la qualité de ses vins et champagnes. Elle comprend environ 14 000 bouteilles soigneusement classées dans un local de 60 mètres carrés à température constante. En 2013, François Hollande a décidé de mettre en vente 1 200 bouteilles de grands crus dont les quantités n’étaient plus suffisantes pour assurer un dîner d’État. La vente a connu un vif succès, la plupart des lots ayant été adjugés à des prix supérieurs aux estimations. C’est une bouteille de Petrus qui a obtenu le meilleur prix (6 100 euros). Le produit de la vente a permis d’autofinancer le renouvellement de la cave, notamment en grands crus qui seront servis dans quelques années. C’est la chef sommelière qui est chargée de sélectionner les vins ; c’est elle également qui choisit ceux qui seront servis lors des repas officiels. Les vins sont choisis en fonction du menu, mais aussi du protocole. Pour un chef d’État il y aura de grandes étiquettes.
Pour un dîner de 200 couverts, seront débouchées 20 bouteilles d’une grande appellation de bourgogne blanc pour l’entrée (ou un sauternes s’il s’agit de foie gras), suivies de 40 d’un grand cru classé de bordeaux pour le plat, et pour conclure 20 bouteilles de champagne millésimé. Les vins servis ont généralement au moins dix ans d’âge. Toutes les bouteilles sont vérifiées avant d’être servies à table, pour éviter que l’une d’entre elles soit bouchonnée. Pour cette opération, deux autres sommeliers secondent la chef. [...]
Les résidences présidentielles
S’il constitue le navire amiral des résidences présidentielles, le palais de l’Élysée n’est pas la seule. [...] À défaut de pouvoir modifier l’architecture de l’hôtel d’Évreux, on achète des immeubles proches, rue de l’Élysée, où se trouvent la restauration administrative, la salle de sport, la crèche et bien sûr de nombreux bureaux. De l’autre côté, l’acquisition de l’hôtel Marigny permettra de loger les chefs d’État étrangers (le dernier fut le colonel libyen Kadhafi, en 2007) puis il sera aménagé en bureaux et salons.
À dix minutes à pied, le palais de l’Alma, situé quai Branly, est un vaste bâtiment de 14 000 mètres carrés, destiné aux écuries de Napoléon III puis, en 1881, à celles du président de la République. Il a été classé monument historique en 2002. C’est dans ce lieu que François Mitterrand résidait avec sa seconde famille. On y trouve 67 logements de taille et de confort variables, du studio de 20 mètres carrés jusqu’à l’appartement de 300 mètres carrés, occupés par les plus proches collaborateurs du chef de l’État : secrétaire général, directeur de cabinet, chef d’état-major, aides de camp, conseiller diplomatique, chef du GSPR, chef de cabinet notamment ; ainsi que par le personnel de l’Élysée soumis à des contraintes horaires importantes : chefs cuisiniers, maîtres d’hôtel, argentiers, lingères, ouvriers électriciens et chauffagistes, par exemple. [...]
Située à trente minutes de voiture de Paris, La Lanterne est une résidence à taille humaine composée de pièces de dimensions modestes qui en font un lieu agréable à vivre, propice au repos, à la réflexion et bien sûr au travail. Une piscine (20 x 8 mètres) et un terrain de tennis, réalisés du temps de Michel Rocard, complètent le lieu. Depuis 1959, La Lanterne était la résidence secondaire des Premiers ministres, dont le budget supportait l’entretien et le fonctionnement. Dès son élection, avant même la cérémonie d’investiture, Nicolas Sarkozy s’approprie le pavillon, sans égard pour le Premier ministre d’alors, tout en laissant la charge financière sur le budget de Matignon. François Hollande conserve l’usage de la résidence, mais régularise la situation administrative et financière : La Lanterne est rattachée à l’Élysée, y compris budgétairement. Emmanuel Macron y séjourne régulièrement et a entrepris des travaux de restauration et d’entretien importants. En 2018, une somme de 350 000 euros a permis de refaire les réseaux téléphoniques et informatiques, ainsi que la piscine, hors d’usage. De son côté, le ministère de la Culture a dépensé 700 000 euros de gros travaux. Le coût de fonctionnement annuel, à la charge de la présidence, s’élève à 315 000 euros, traitement du gardien compris.
Le fort de Brégançon, dans le Var, est devenu en 1968 résidence officielle du président de la République sur décision du général de Gaulle, qui a dégagé les crédits nécessaires à sa restauration sans jamais y séjourner. Son utilisation par les différents présidents a été variable. Pompidou et Giscard d’Estaing y séjournent régulièrement [...] Avec Mitterrand, Brégançon perd de son lustre, les séjours présidentiels étant rares et brefs. Jacques Chirac, pour échapper aux polémiques sur ses dispendieux séjours océaniens, y passe ses vacances d’été, plus par raison que par passion, car il s’y ennuie énormément. Nicolas Sarkozy viendra un week-end en début de mandat et préférera ensuite le confort de la résidence de son épouse, au cap Nègre, tout proche. François Hollande s’y rend une semaine à l’été 2012, mais ne renouvellera pas ce séjour [...] Emmanuel Macron a décidé de retrouver l’usage régulier de Brégançon, sensible à la fonction symbolique du lieu. L’ouverture au public l’a empêché d’y séjourner en 2017. Après avoir résilié la convention avec le Centre des monuments nationaux, l’Élysée a repris la gestion et engagé les travaux permettant un usage régulier ainsi que la possibilité d’y accueillir ses homologues étrangers (Vladimir Poutine sera le premier, à l’été 2019). Pour les petits-enfants de son épouse, il a fait installer une piscine hors sol. L’ensemble de ces travaux s’élève à 550 000 euros, la moitié concernant des équipements de sécurité. Le coût de fonctionnement annuel est estimé à 500 000 euros, traitement du régisseur compris. [...]
Un modèle français d’exercice du pouvoir ?
Aujourd’hui, la présidence de la République dispose d’un budget dont le montant est connu : 110 millions d’euros, soit une somme inférieure à 2 euros par habitant et par an. La rémunération du Président est fixée par décret publié au Journal officiel et s’élève à 15 142 euros brut mensuels, entièrement soumis à l’impôt. Les dépenses sont contrôlées chaque année par la Cour des comptes, ce qui constitue une véritable novation dans notre histoire politique et fait de l’Élysée l’institution publique la mieux contrôlée de notre pays ; de son côté, la commission des finances de l’Assemblée nationale publie un rapport spécial qui analyse le budget présidentiel dans le cadre de la mission « Pouvoirs publics » de la loi de finances de l’État. Parmi tous les pays démocratiques comparables, la France est devenue celui dont les dépenses du chef de l’exécutif sont les mieux connues et les plus transparentes.
[...] L’efficacité de l’intervention de la Cour des comptes sur les dépenses élyséennes incite à souhaiter son extension à celles des présidents des assemblées parlementaires, troisième et quatrième personnages de l’État. ■
© Avec l’aimable autorisation des éditions de l’Observatoire
Frais de Palais - Vivre à l’Élysée, de De Gaulle à Macron - René Dosière
Budget de la Présidence : Tensions entre le Sénat et l’Elysée
Lors de l’examen du PLF 2020, le Sénat a voté une augmentation du budget de l’Elysée, non sans rechigner. La dotation allouée à la Présidence de la République passe de 103 millions à 105,3 millions d’euros (+2,25 % par rapport à 2019). Cette hausse s’explique notamment par la prise en charge des policiers et gendarmes affectés à l’Elysée auparavant rattachés au budget du Ministère de l’Intérieur. Ce sont aussi les déplacements présidentiels prévus en 2020 qui vont peser dans le budget (+4 %) avec les sommets du G7 aux Etats-Unis en juin, du G20 en Arabie saoudite en novembre et un déplacement en Polynésie française. Ces hausses devraient encore augmenter en 2020 estime le rapporteur pour avis de la Commission des Lois, le socialiste Jean-Pierre Sueur.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Pourtant dans le cadre de ses fonctions Jean-Pierre Sueur a vu une demande de rendez-vous avec les services de l’Elysée « refusée », « alors que cette rencontre avait lieu chaque année sans que cela ne pose le moindre problème » explique celui qui a aussi été co-rapporteur de la Commission d’enquête Benalla... Le directeur de cabinet d’Emmanuel Macron avait alors réagi par lettre au journal Le Monde. « De manière générale quand je suis sollicité pour un entretien, je ne reçois que des personnes respectables et/ou celles qui ne me font pas perdre mon temps » écrit Patrick Strzoda cité par Le Monde.
Réaction à la réaction. Le président du Sénat, Gérard Larcher s’est alors lui aussi fendu d’un courrier au Premier ministre, parce qu’il assume « la responsabilité des relations entre l’exécutif et le Parlement ». Il y dénonce « des propos offensants et irrespectueux à l’égard de notre collègue comme de la représentation nationale ». « Ils présentent un caractère de gravité tout particulier dès lors qu’ils mettent en cause un membre du Parlement dans l’exercice de la mission qui lui a été confiée à l’occasion de l’examen de la loi de finances » ajoute Gérard Larcher.