Le bio : une promesse de pureté
Le réchauffement climatique et autres catastrophes écologiques (pollution, déforestation, disparition des abeilles et des oiseaux…), ainsi que les scandales alimentaires récents (affaire Lactalis, lasagnes au cheval, steaks hachés polonais…), incitent les consommateurs à des comportement globalement plus responsables, et à privilégier des aliments plus sains et plus écologiques.
Or, dans l’esprit des consommateurs, aidé en cela par d’habiles campagnes de promotion, voire de propagande, les produits biologiques sont les alternatives idéales aux produits équivalents conventionnels. Ils ont intégré que les productions agricoles certifiées AB ou Eurofeuille, sont obtenues sans engrais ni pesticides de synthèse, sans ionisations, ou encore sans OGM, et que les produits transformés bio contiennent moins d’additifs. Ces produits, en quelque sorte « à l’ancienne », leur apparaissent plus « naturels », donc évidements bons pour eux et la planète.
Un marché en forte croissance
Confidentielles il y a vingt ans, les ventes de produits bio ont été multipliées par dix depuis lors pour atteindre aujourd’hui les 11 milliards d’euros dans notre pays, et cet engouement a été encore plus marqué lors de la crise actuelle du Covid.
La manne du bio a attiré ces dernières années un nombre croissant de producteurs et des entreprises de plus en plus importantes, et les quelques militants engagés du début sont aujourd’hui largement dépassés par de puissantes coopératives, de gros groupes industriels et la grande distribution.
Si on ne peut reprocher à des entreprises de vouloir faire des affaires, car après tout faire du profit est leur raison d’être, force est de constater que ces puissants acteurs appliquent sans état d’âme les lois classiques du marché aux produits biologiques (normalisation, massification, optimisation des process, automatisation, importations, marketing…), et n’ont que faire de la philosophie initiale du bio et de la démarche écologique qui a prévalu à ses débuts.
Un marché gangrené par des opportunistes et des profiteurs
On ne compte plus aujourd’hui les références bio dans les rayons. Les radios et TV diffusent à longueur de journée des publicités qui nous promettent que telle enseigne a éliminé tout additif « controversé » des produits à sa marque, que telle autre propose des produits locaux, ou vend exceptionnellement du bio à prix coûtant. C’est à qui sera plus vert, plus éthique, plus bio, plus écolo que son concurrent.
Pourtant, lorsqu’on l’on regarde les origines des produits bio, les listes d’ingrédients, les emballages ou le bilan carbone, force est de constater que les promesses ne sont pas tenues et que le greenwashing est plus la norme que l’exception.
Plus grave, comme mon enquête récente l’a démontré, beaucoup de produits bio ne le sont pas véritablement et des fraudes à grande échelle sont encore courantes.
Cela n’est pourtant pas le plus scandaleux, et le pompon est atteint lorsque la grande distribution française est prise la main dans le sac, par plusieurs associations de consommateurs dont l’UFC et 60 Millions de Consommateurs, pour ses pratiques de fixation de marges abusives sur les produits bio. Cela leur est facile car les consommateurs ont intégré que les produits bio sont plus chers à produire que les produits conventionnels équivalents, mais sans savoir précisément de combien.
La rapacité des grandes enseignes de distribution, celles-là même qui ont le plus profité de la loi Egalim d’octobre 2018, a pour effet de rendre les produits les plus sains inabordables pour nos concitoyens les moins favorisés. N’ayant pas d’autre choix que de consommer les produits emblématiques de la malbouffe, les consommateurs les plus pauvres sont les plus exposés aux problèmes de santé liés à une mauvaise alimentation (obésité, diabète, maladies cardio-vasculaires…).
Un bio à deux vitesses
Le règlement européen qui définit les exigences relatives aux productions biologiques indique qu’un produit est bio… s’il répond aux exigences du présent règlement. En clair, un produit n’est pas intrinsèquement bio, il l’est par convention, s’il a été produit en respectant certaines règles en vigueur à ce moment-là et dans cet espace précis.
Or, ces règles ne sont pas définies une fois pour toute ; ce sont des compromis, le résultat de négociations, dont les motivations sont souvent très éloignées de la philosophie originale des précurseurs du bio du début du vingtième siècle.
Les groupes de pression les plus puissants, ceux de l’industrie et de la grande distribution, qui ont intérêt à ce que les normes soient les moins contraignantes possibles, ont obtenu une règlementation sur mesure, laxiste sur de nombreux points (rien sur le bilan carbone des produits, rien sur les normes sociales minimales, rien sur l’équilibre nutritionnel, pas de limitation de la surface des exploitations, pas d’interdiction des exploitations mixtes bio/non-bio…). Ils ont également obtenu un système de contrôle a minima, presque exclusivement entre les mains de sociétés privées, largement inefficace.
En réaction, les acteurs engagés du bio ont développé des labels propres plus exigeants (Nature & Progrès, Bio cohérence, Demeter…) pour des produits de meilleure qualité qui, généralement distribués en enseignes spécialisées bio, sont souvent plus chers.
Le résultat de cette divergence idéologique est que cohabitent deux offres bio distinctes lancées sur des trajectoires opposées ; un « vrai » bio, de qualité mais peu accessible et réservé aux plus aisés, et un bio « standard » trop souvent de mauvaise qualité, voire faussement bio.
Vers un bio de qualité pour tous
Pour permettre un jour à tout un chacun de consommer des produits biologiques de qualité, il faut en premier lieu que les décideurs politiques changent de paradigme. Le bio ne doit plus être considéré comme un simple marché à réguler avec la croissance économique comme seule horizon. Car une croissance de cette sorte ne pourra se faire que par l’industrialisation du bio, par un nivellement par le bas au détriment de la qualité au sens large, c’est à dire intrinsèque au produit lui-même, mais aussi de ses externalités sociétales et environnementales.
Il convient également de définir plus clairement et précisément ce que doit être un produit bio, à quelle philosophie se référer, à quelles problématiques il doit répondre, quelles sont les priorités, les enjeux, afin que les règles de production soient mieux définies qu’aujourd’hui.
Ces règles devront être beaucoup plus strictes en suivant l’exemple de certains labels bio exigeants. Outre une amélioration de la qualité, cela permettra de lutter contre l’industrialisation rampante de la filière.
Pour mieux lutter contre les fraudes et donner pleine confiance aux consommateurs, les états doivent mieux contrôler les opérateurs du bio et ne plus déléguer à des acteurs privés les missions de certification, de contrôle et de sanction.
Enfin, pour rendre le bio accessible au plus grand nombre, les marges des distributeurs doivent être transparentes, raisonnables, et encadrées si nécessaire. Le coût de la certification et des contrôles devrait être pris en charge par les industries polluantes, comme l’avait fait la Suède en taxant les engrais de synthèse.
Des produits véritablement bio, bons pour la santé et la planète, seront la norme tôt ou tard, que nous l’ayons sagement décidé et planifié lorsque nous avions du temps, ou que la planète ne nous l’impose dans l’urgence. Car ne nous y trompons pas, il ne peut y avoir de transition écologique cohérente et efficace, si on oublie la composante alimentation, et donc sans un changement des pratiques agricoles et la mise à disposition du plus grand nombre d’aliments véritablement sains et écologiques. ■
* Christophe Brusset Vient de publier « Les imposteurs du Bio » (Flammarion). Il est un ancien dirigeant au sein de groupes internationaux de l’agroalimentaire. Il est l’auteur de « Vous êtes fous d’avaler ça ! » (Flammarion, 2015)