Première et principale mission de service public confiée à la Poste, le service public universel postal - obligation de fournir des services de qualité de collecte et de distribution du courrier et des colis sur l’ensemble du territoire de manière permanente et à des prix abordables pour tous -, est à la peine. Alors que ce service était jusqu’en 2017 à l’équilibre, depuis 2018, ce compte est déficitaire rappellent les rapporteurs qui comme d’autres n’ont pu que constater la chute des envois de lettres depuis plusieurs années, et encore plus avec la crise économique et sanitaire. Le déficit est estimé à 1,3 milliard d’euros pour l’année 2020, « malgré la hausse des activités de livraison de colis » indique pourtant La Poste. Plus inquiétant, ce déficit pourrait encore varier de 700 millions d’euros à 2,4 milliards d’euros par an d’ici à 2025 ; l’estimation la plus faible ne valant que si l’entreprise « joue sur tous les paramètres, en prenant des mesures de fermetures de sites et de réductions d’effectifs » explique Patrick Chaize. Inquiets les co-rapporteurs indiquent que « sans compensation de l’Etat à compter de l’année 2021, une réduction du service public s’imposera dans les faits avec une diminution des services rendus aux usagers ». Pour éviter d’en arriver là, les rapporteurs envisagent « un mécanisme de compensation mixte, associant un levier fiscal, jusqu’à 270 Me, et un levier budgétaire complémentaire, jusqu’à 730 Me ».
Pour ce qui est des trois autres services publics assignés à la Poste, tous déficitaires, les rapporteurs demandent que l’on maintienne les compensations même si ces dernières sont loin d’être suffisantes. Il en est ainsi pour la contribution à l’aménagement du territoire et l’obligation de maintenir 17 000 points de contact garantissant une densité du réseau postal, une spécificité française principal atout de l’entreprise – en 2020, cette mission était compensée à hauteur de 177 Me pour un coût net évalué à 227 Me par l’ARCEP. Redoutant les effets d’une baisse des impôts de production qui contribuent au financement de cette mission à hauteur de 66 Me, les sénateurs préconisent alors un réajustement du fonds postal national de péréquation territoire dans le prochain projet de loi de finances. Même souci pour la mission de transport et de distribution de la presse à des tarifs préférentiels destinée à « favoriser le pluralisme des idées et des expressions » rappellent les rapporteurs, « sous-compensée » à hauteur de 96 Me pour un coût net évalué à 296 Me. Or, « malgré le développement de la presse en ligne, l’existence de ce service public demeure justifiée, expliquent-ils, mais le mécanisme de compensation doit être réformé dans la mesure où la hausse des tarifs n’a pas permis d’en assurer l’équilibre financier ». Pour faire des économies qui pourraient être réinjectées dans cette mission, les rapporteurs suggèrent de revoir le principe de la lettre au timbre rouge distribuée à J+1 qui deviendrait un service concurrentiel tout en privilégiant la lettre verte à J+2, J+3. « C’est un service qui coûte cher, mais qui ne correspond plus vraiment à l’attente des clients qui utilisent le mail s’ils veulent de l’instantanéité » note Patrick Chaize. Au-delà des économies, le facteur pourrait ainsi couvrir un territoire plus étendu.
L’accessibilité bancaire, quatrième mission de service public, est compensée à 230 Me pour un coût réel de 260 Me. Si cette mission qui permet notamment aux personnes précaires d’ouvrir un livret A et de s’en servir comme d’un quasi compte-courant « a démontré son utilité sociale avec environ 1,2 million de bénéficiaires », les rapporteurs demandent que des mesures supplémentaires soient mises en œuvre pour « favoriser l’accès aux espèces, en particulier dans les zones peu denses, rurales et touristiques ». Comment ne pas penser aux difficultés rencontrées lors du premier confinement pour de nombreuses personnes âgées et isolées pour aller chercher de l’argent dans les distributeurs de La Poste en nombre insuffisants et/ou pas réapprovisionnés. Reconnaissons à La Poste d’avoir alors très strictement respectée le confinement au point d’être souvent totalement fermée de très longues semaines.
Des obligations de service public
Pour autant, maintenir l’ensemble de ces compensations ne doit pas se faire sans exigence. Les rapporteurs militent d’abord pour un rôle de contrôle plus affirmé de l’Arcep « pour s’assurer du respect par La Poste de ses obligations de service public ». Cela nécessite de « sécuriser et compléter le cadre juridique » pour permettre à l’Arcep d’exercer pleinement son rôle de régulateur et de contrôle de La Poste, aujourd’hui « moindre que celui exercé vis-à-vis des opérateurs des télécommunications » constatent les élus. Des modifications législatives seront nécessaires comme confier à l’Arcep, une mission de calcul du coût net du service universel postal « afin de disposer d’estimations chiffrées indépendantes et contre-expertisées à partir desquelles la compensation de l’Etat sera déterminée ». Selon les sénateurs, il faudrait aussi confier à l’autorité une mission de calcul du coût net de la mission de distribution de la presse afin de garantir davantage de transparence et de lisibilité aux éditeurs de presse qui dépendent du réseau postal de distribution.
Une dégradation de la qualité du service
Les sénateurs vont plus loin et entendent fixer de nouveaux objectifs « contraignants » de qualité de service à La Poste. « Force est de constater que le sentiment des citoyens est celui d’une satisfaction globale mais d’une dégradation récente de la qualité des services postaux et d’une moindre présence postale sur le territoire » écrivent les sénateurs qui ne sont pas les seuls à le constater. Mais peut-être eux seront-ils entendus. Ce sentiment d’une dégradation de la qualité de service est également perçu par les éditeurs de presse. Aussi, pour mieux appréhender cette question, « une mission prospective de calcul du coût lié au manque de qualité de service pourrait être confiée à l’Arcep ».
Alors qu’est souvent pointée du doigt une moindre présence postale sur le territoire, les sénateurs qui aimeraient d’abord que les élus locaux soient mieux informés d’une éventuelle fermeture, privilégient, le cas échéant la constitution d’agences postales communales ou intercommunales. Ils suggèrent encore un renforcement du partenariat entre les maisons France Services et La Poste. Plus encore que l’augmentation du nombre de tournées de distribution du courrier et des colis, les sénateurs insistent sur l’importance du passage et du rôle du facteur qui est une attente forte des citoyens.
Une 5ème mission de service public ?
Voilà qui pourrait même devenir une 5ème mission de service public pour La Poste. Dans plusieurs domaines, le groupe via ses facteurs pourrait être amené à faire le lien entre des publics défavorisés et les administrations ad hoc. Les rapporteurs pensent notamment à la précarité numérique à domicile (13 millions de personnes ne maîtrisent pas les outils numériques en France) ou même « la galère administrative » (près de trois Français sur cinq se disent incapables de réaliser une démarche administrative en ligne, alors que l’objectif du Gouvernement est de dématérialiser à 100 % les 250 démarches administratives les plus utilisées d’ici le mois de mai 2022). Dans ce cas comme dans l’autre, les facteurs pourraient alors devenir d’utiles « détecteurs ». « Il ne s’agit pas de faire des facteurs des médiateurs numériques précisent les sénateurs, mais de leur permettre d’intervenir en amont : avant de pouvoir former, il faut pouvoir identifier ». « Les facteurs pourraient devenir de véritables représentants à domicile des maisons France Services » ajoutent les élus.
Enfin, le rapport souhaite voir généraliser sur le territoire national des expérimentations comme celle menée avec le CHU de Toulouse sur la détection par les facteurs de la perte d’autonomie fonctionnelle des personnes âgées et isolées. « Le facteur est le seul à se rendre tous les jours dans tous les foyers, il faut capitaliser sur cette interface » insiste Patrick Chaize. « Si l’on reste sur la seule distribution du courrier, on va dans le mur » conclut le sénateur. « Ce rapport rejoint notre analyse quant à l’attachement des Français et des élus aux missions de service public confiées à la Poste » et « la nécessité de leur juste compensation » a réagi Philippe Wahl PDG du Groupe La Poste. ■