Créés par la loi de 2016, les groupements hospitaliers de territoires s’inscrivaient dans le prolongement des communautés hospitalières de territoires (CHT) proposées sur la base du volontariat aux hôpitaux publics par la loi hôpital, patients, santé et territoires de 2009. Forts d’une ambition renouvelée marquée par le caractère obligatoire de la participation des établissements publics de santé, ils ont pour missions d’accroître l’efficacité de l’offre de soins et de rechercher une rationalisation des modes de gestion. L’article L. 6132-1 du code de la santé publique assigne au GHT la mission de permettre aux établissements qui le composent de mettre en œuvre une stratégie de prise en charge commune et graduée du patient dans le but d’assurer une égalité d’accès à des soins sécurisés et de qualité. Ce nouvel instrument était donc censé, en marquant une nouvelle étape, remédier aux carences de ses prédécesseurs et produire par là même enfin des effets significatifs au bénéfice des populations.
Se pose dès lors la question de savoir si les GHT ont réussi là où les précédents dispositifs avaient échoué ou s’ils ne sont qu’une étape dans un processus encore en devenir de structuration de l’offre hospitalière publique en réponse aux besoins de santé.
Après quatre ans de déploiement des groupements hospitaliers de territoires, l’enquête demandée à la Cour des comptes par la commission des affaires sociales du Sénat tire un bilan contrasté : leur mise en place a certes fait progresser la coopération entre les acteurs mais, face aux enjeux, notamment, du développement des maladies chroniques liées au vieillissement de la population, le dispositif a encore des effets insuffisants sur la territorialisation de l’offre de soins. La Cour notait ainsi que les GHT n’apportent pas une réponse suffisante à la question de l’égal accès aux soins entre territoires, qu’ils n’ont produit qu’un faible niveau d’intégration des établissements et qu’ils n’ont pas eu d’impact significatif sur l’offre et la consommation de soins.
D’une certaine manière, cette insuffisance des résultats pouvaient être anticipés. La structuration de l’offre hospitalière publique ne pourrait par exemple offrir à elle seule des réponses aux questions exogènes de démographie médicale sur les territoires ou mettre un terme à des logiques d’établissement construites en fonction du mode de financement.
Surtout, les GHT ont été mis en place dans un contexte de pression financière forte sur l’hôpital marqué par une faible progression de l’Ondam hospitalier et une volonté de réaliser des économies, évaluées à 400 millions d’euros sur les trois premières années, par la mutualisation des achats et des fonctions support. Cette démarche a suscité une forte défiance à l’égard du dispositif considéré comme le vecteur de restructurations hospitalières forcées.
Les GHT sont donc le résultat d’un compromis marqué en particulier par l’absence de personnalité morale et une gouvernance complexe, peu à même de produire en elle-même des résultats. Les projets médicaux partagés qui définissent les orientations stratégiques des GHT ne constituent pas un outil insuffisamment intégrateur et ne semblent exercer qu’un effet très marginal sur l’organisation de l’activité. La Cour note ainsi que « sur le plan médico-technique, l’attentisme semble la règle ». Elle souligne aussi la prise de décision est marquée par une complexité excessive et que « l’absence de personnalité morale des GHT continue à faire de l’établissement de santé le principal point focal des acteurs dans les territoires qu’ils soient élus, médecins, directeurs ou citoyens ». De fait, ce dernier effet était bien celui recherché par le compromis du texte mais il contribue à affaiblir ses effets. La Cour note ainsi que pour le surmonter, certains établissements membre de GHT ont fait le choix de la fusion.
Sur le plan territorial, si les GHT ont parfois coïncidé avec des territoires cohérents en termes de bassin de vie et de besoins de santé, notamment lorsqu’ils sont structurés autour d’un centre hospitalier universitaire, certains n’ont qu’une cohérence limitée et comprennent des établissements éloignés et sans complémentarités.
Au sein de structures s’inscrivant dans le même dispositif, l’hétérogénéité est très importante et reflète les inégalités entre les territoires. Des GHT de petite taille, dotés de faibles moyens, situés dans des territoires défavorisés ne sont pas en capacité de répondre de manière autonome aux besoins de santé de ces territoires et sont forcés d’avoir recours à des structures extérieures au groupement. La Cour relève également que l’offre de soins est hétérogène : « 38 GHT ne disposent pas d’un plateau technique leur permettant de prendre en charge efficacement les infarctus du myocarde et 24 ne disposent pas d’une unité cardiovasculaire permettant de délivrer les soins les plus appropriés en cas de survenue d’un AVC ».
Il reste difficile de partir des besoins de santé d’un territoire pour structurer une offre de soins régie par d’autres critères. Si les établissements doivent générer de l’activité pour se financer, ils restent inciter à conserver un panel d’activités large, sans incitation à se focaliser sur celles où ils ont le plus de pertinence.
En dépit de véritables réussites sur certains territoires ainsi que la crise sanitaire a pu le démontrer, les GHT n’ont à ce jour pas atteint leur objectif et peuvent même être gagnés par une bureaucratisation décourageante. Une étape supplémentaire est donc nécessaire.
Il apparaît nécessaire, afin de « remédicaliser » ce dispositif, de mieux préciser les attendus en termes de gradation des soins. La clé d’entrée doit être la sécurité du patient et la qualité de la prise en charge dont le critère n’est pas forcément, selon les pathologies, la proximité mais bien plutôt l’adéquation au besoin.
Au service du patient, il est aussi nécessaire d’associer d’autres acteurs à la coopération : le secteur médico-social ; les communautés professionnelles territoriales de santé mais aussi le secteur privé. Si la structuration de l’offre hospitalière publique apparaît difficile, l’absence de l’offre privée ne fait du dispositif un outil d’organisation de l’offre sur un territoire donné. C’est notamment les cas lorsque le secteur privé représente une part importante de l’activité dans certains domaines, comme la psychiatrie ou l’hospitalisation à domicile.
En termes de gouvernance, l’attribution de la personnalité morale serait un moyen de simplifier les procédures et d’éviter la bureaucratisation excessive du dispositif.
En termes de financement, aucune évolution substantielle ne semble pouvoir intervenir sans sortir d’une logique d’établissement et d’une prédominance excessive de la tarification à l’activité. Le maintien sur un territoire donné d’une prise en charge de proximité doit pouvoir donner lieu à une tarification adaptée tandis que la prise en charge du patient à distance de son domicile doit pouvoir être mieux organisée pour les questions matérielles de transport et de logement.
L’évolution de la démographie médicale et la répartition géographique des professionnels de santé contraindront certainement davantage les évolutions ultérieures que les dispositions législatives. Pour ne pas les subir mais au contraire les orienter, l’implication des régions, au côté des ARS, apparaît indispensable à l’appropriation par les élus et les citoyens d’évolutions nécessaires.
Pour lever les réticences légitimes, ceux-ci devront avoir l’assurance que ce sont bien les besoins de santé qui président aux réorientations et non la recherche court-termiste d’économies de structures.
Porters d’une belle ambition, les GHT doivent aujourd’hui évoluer pour tenir la promesse de réduction des inégalités de santé et de meilleure qualité des prises en charge. À défaut, ils rejoindront un catalogue déjà fourni des dispositifs de coopération inaboutis qu’il n’est plus temps de compléter. ■
* Les GHT : un outil mal adapté à la territorialisation du soin - Rapport d’information n°22 d’Alain Milon, fait au nom de la commission des affaires sociales - 8 octobre 2020