Aujourd’hui, le traitement d’un nombre croissant d’infections telles que la pneumonie ou la septicémie est devenu difficile, voire impossible, suite à la perte d’efficacité de nombreux antibiotiques. Et la résurgence de certaines maladies comme la tuberculose, devenue extrêmement difficile à traiter en raison de l’apparition de multirésistance, pose d’énormes problèmes de santé publique dans certains pays.
La résistance aux antibiotiques est un phénomène dont on parle trop peu : c’est une pandémie silencieuse, responsable de 700 000 décès chaque année dans le monde selon les chiffres de l’Organisation Mondiale de la Santé. Cette dernière a même classé l’antibiorésistance parmi les dix plus grands défis qui menacent la santé humaine.
L’une des causes de décès les plus importantes dans le monde d’ici 2050 ?
Un rapport alarmant, réalisé par l’économiste anglais Jim O’Neill et publié en 2016, va encore plus loin. Selon ses estimations, si aucune mesure significative n’est prise, d’ici à 2050, la résistance aux antibiotiques pourrait causer la mort de 10 millions de personnes par an. Elle deviendrait ainsi l’une des causes de décès les plus importantes dans le monde, devant le cancer, le diabète ou les accidents de la route. A cela s’ajouterait un impact économique considérable que Jim O’Neill évalue à 100 000 milliards de dollars en termes de perte de production mondiale.
Le sujet dépasse la santé humaine stricto sensu, car il concerne également la santé animale et l’environnement. Pour adresser ce défi mondial majeur, on parle volontiers d’approche « One Health » en anglais ou « Une seule santé » en français.
Nous avons besoin d’une réponse globale « One World » pour faire face à ce phénomène, et il est primordial que les différents acteurs publics et privés – autorités de santé, industriels, académiques, scientifiques, médecins et professionnels de santé - travaillent main dans la main. Nous avons été capables de le faire dans le cadre de la lutte contre la pandémie de COVID-19, le combat contre l’antibiorésistance doit pouvoir s’appuyer sur une approche collective similaire, au service du progrès scientifique, médical et social.
En France : un programme de recherche prioritaire et une interface nationale
En tant qu’industriels engagés dans la lutte contre les maladies infectieuses depuis plus de 50 ans, nous constatons clairement une évolution de la prise en compte de ce défi majeur de santé publique que représente la résistance aux antibiotiques.
La France est un pays reconnu sur le plan international pour l’excellence de son savoir-faire en microbiologie. Une mission nationale à l’antibiorésistance définit l’action des pouvoirs publics. Depuis 2019, le Contrat Stratégique de la Filière santé inclut un projet dédié à l’antibiorésistance afin de renforcer les efforts de la France et permettre à notre pays d’occuper la place qu’il mérite sur la scène internationale dans ce combat.
Parmi les projets soutenus dans ce cadre : la création de l’Interface nationale ANTIBIORESISTANCE. Destinée à la communauté scientifique, cette plateforme intersectorielle et interactive, identifie les acteurs publics et privés, plateformes et réseaux, activités de coordination et d’animation, et recense les projets de recherche relatifs à l’antibiorésistance (https://ppr-antibioresistance.inserm.fr/fr/).
L’Inserm, qui a élaboré et assure le développement de l’interface, a fixé des objectifs clairs : identifier l’ensemble des forces en présence en recherche fondamentale, environnementale, vétérinaire, clinique, santé publique, sciences humaines et économiques ainsi que dans le domaine de l’innovation, incluant les industriels ; élaborer et maintenir une base de données en accès libre et interopérable de tous les acteurs et programmes de recherche financés (public–privé) ; et interconnecter le très large éventail de compétences et d’expertises présentes sur le territoire.
L’interface s’est enrichie récemment de nouvelles fonctionnalités, avec la mise en ligne d’une version anglaise, permettant de l’ouvrir à l’international, d’attirer des talents et développer les compétences ainsi que de faciliter la mobilisation de toutes les énergies autour d’un objectif commun. C’est ce dont nous avons besoin pour faire face au problème de l’antibiorésistance qui frappe tous les pays du monde quel que soit leur niveau de vie.
En France, le Programme Prioritaire de Recherche (PPR) national antibiorésistance piloté par l’Inserm et doté de 40 millions d’euros par le Secrétariat général à l’investissement (SGPI) a permis, dès cette année, la mise place de 11 consortia dont les objectifs principaux sont de proposer des nouvelles stratégies pour lutter contre l’antibiorésistance et pour un usage raisonné des antibiotiques. Ce programme a permis également de renforcer les réseaux et plateformes existants dans une approche « One Health ». Ainsi 4 millions d’euros ont été dédiés à la création et au développement d’une plateforme multi-omique, d’un méta-réseau de professionnels de santé et d’un observatoire rassemblant les sciences humaines et sociales (SHS) et acteurs de santé (contact : ppr-antibioresistance.inserm.fr).
Malgré tout, il reste du chemin à parcourir pour éloigner la menace, car l’antibiorésistance est exacerbée par l’absence de développement de nouvelles classes d’antibiotiques depuis la fin du 20ème siècle. La plupart des grandes entreprises pharmaceutiques ont abandonné leurs programmes de recherche dédiés aux antibiotiques car les retours sur investissement sont nettement moins importants que dans d’autres domaines comme l’oncologie ou les maladies chroniques par exemple. Les innovations en la matière sont principalement portées aujourd’hui par des start-up qui n’ont souvent pas les capacités financières suffisantes pour investir dans des études cliniques longues et coûteuses.
Vers un nouveau modèle économique
Une réflexion sur un nouveau modèle économique doit être menée, afin de permettre à l’industrie de la santé de valoriser ses innovations et de l’inciter à découvrir de nouvelles classes thérapeutiques, pour compenser des investissements importants générant des retombées commerciales peu satisfaisantes. La question du remboursement est cruciale, tout comme celle de la simplification et de l’accélération des règles d’accès au marché.
Le financement des tests diagnostiques est également un sujet primordial. La lutte contre l’antibiorésistance ne repose pas uniquement sur le traitement. Les solutions diagnostiques permettent un usage raisonné des antibiotiques en identifiant, pour chaque patient, la bactérie responsable de l’infection, sa sensibilité aux différents antibiotiques afin d’administrer la molécule la plus adaptée, à la bonne dose et sur la bonne durée. Une médecine de plus en plus personnalisée permettra d’optimiser et de diminuer la consommation d’antibiotiques. C’est là toute la valeur médicale et économique du diagnostic in vitro.
Alors, comment financer l’innovation si l’on consomme moins d’antibiotiques ? L’idée d’un modèle dit d’abonnement ou de souscription est intéressante, des sommes forfaitaires pouvant être sécurisées au niveau national indépendamment de leur prescription réelle, comme cela a déjà été mis en place dans quelques pays.
Lors du dernier sommet du G7 en Grande-Bretagne, les ministres de la santé ont discuté de la résistance aux antibiotiques au même titre que d’autres menaces pour la santé. Cela témoigne d’une prise de conscience internationale. Il est important de poursuivre cet effort pour favoriser le développement de nouvelles molécules et la mise en place d’un nouveau modèle économique. La France peut revendiquer un rôle majeur dans ce domaine-là. ■