Après avoir mené à bien leur mission en vue de guider la réflexion des députés à l’occasion des discussions du projet de loi relatif à l’accélération de la production des énergies renouvelables*, les trois corapporteures pourtant éloignées sur l’échiquier politique sont arrivées à un consensus sur au moins trois points. Elles s’accordent sur la nécessité « de planifier le développement des énergies renouvelables » mais également « d’impliquer les populations durant l’intégralité du déroulement du projet dans une démarche de coconstruction », et « d’accélérer l’instruction des projets, sans pour autant que cela se fasse au détriment de la démarche de concertation et de participation de toutes les parties prenantes ». Sans surprise, elles notent également que certaines sources d’énergies renouvelables « sont acceptées par tous, tandis que d’autres suscitent des débats ».
Pour Pascale Boyer (RE, Hautes-Alpes), le déploiement des projets d’énergies renouvelables qui font partie des solutions qui permettront à la France de décarboner sa production d’énergie, d’accéder à sa souveraineté énergétique et améliorer sa compétitivité économique et industrielle pour atteindre la neutralité carbone en 2050 ne pourra toutefois se faire qu’en veillant à son acceptabilité. Et cette acceptabilité passera par « la réussite de la planification ». « Si la loi de programmation quinquennale et la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) fixeront les objectifs de la politique énergétique nationale, une planification territoriale permettra d’inscrire le déploiement des EnR dans un projet de territoire » rappelle la députée des Hautes-Alpes. « Cette planification sera établie en concertation avec les élus locaux de chaque territoire et permettra de définir la spatialisation de l’implantation des EnR dans chaque région ». Mais surtout, l’acceptabilité du déploiement des EnR au sein des territoires ne pourra aboutir qu’avec l’accord des populations et des professionnels locaux, « après une période de concertation, afin d’obtenir un maximum de confiance, d’adhésion et de participation à la décision des futurs projets ». Et quoi de mieux que l’échelon municipal pour organiser les échanges entre les décideurs locaux, la population et les associations locales.
« Un partage de la valeur »
« La décision finale du choix d’implantation sur le périmètres de sa commune des EnR doit revenir au maire » tranche la députée. Pascale Boyer juge également que l’acceptabilité des projets passe par « un partage de la valeur ». Si aujourd’hui le produit de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (Ifer) photovoltaïque prélevée au profit des collectivités territoriales est réparti à 50/50 entre le département et l’intercommunalité, « le répartir entre 50 % pour la commune, 30 % pour l’intercommunalité et 20 % pour le département attribuerait des financements à la collectivité la plus impliquée dans le projet » suggère Pascale Boyer. Elle propose aussi un principe de modulation tarifaire pour tenir compte des spécificités des territoires, « se fondant sur la productivité et non sur la puissance produite ». Cela, juge-t-elle « rendrait le tarif d’achat plus équitable et éviterait une trop grande concentration de certains types d’EnR dans certains territoires ». Enfin, « la concertation et la participation des citoyens doivent se dérouler durant toute la durée de vie du projet explique la députée À ce titre, la Commission nationale du débat public pourra être consultée, si nécessaire, dans le cadre de ses compétences concernant la faisabilité du projet, et ce même pour des projets où sa consultation n’est pas obligatoire ». La rapporteure plaide encore pour la simplification des démarches administratives pour les projets de moindre importance et imagine avant la dépôt du projet, « la mise en place d’un comité réunissant le pétitionnaire, les services de l’Etat qui valideraient les objectifs et exposeraient les différents critères de recevabilité, les élus locaux et des experts qui donneraient des avis consultatifs, pour permettre d’identifier en amont les points éventuels de blocage. Ce temps de dialogue, limité à trois mois, permettrait d’apporter les ajustements nécessaires au projet déposé par la suite pour instruction ».
La « désirabilité » plutôt que l’acceptabilité,
Pour sa part, Clémence Guetté (LFI, Val-de-Marne) ne peut que déplorer le retard pris par la France dans le développement des énergies renouvelables, « pourtant, notre pays dispose, grâce à sa géographie et sa géologie, de l’un des potentiels de production d’énergies renouvelables les plus importants et les plus diversifiés en Europe » assure la député Insoumise qui pointe dans la foulée la responsabilité du gouvernement. « Le pays ne dispose pas d’une planification publique et démocratique des énergies renouvelables portée par une volonté politique forte » s’emporte la députée du Val-de-Marne. Elle regrette aussi que ne soit menée en France aucune politique d’appropriation par les Français de la bifurcation énergétique. « Plutôt que l’acceptabilité, c’est bien la « désirabilité » des énergies renouvelables qu’il faut atteindre » explique-t-elle. « Il est temps que l’Etat et les collectivités locales assument pleinement leur rôle de planificateurs de la bifurcation énergétique en accord avec les objectifs nationaux » poursuit l’élue. « Celle-ci est aujourd’hui largement pilotée par le secteur privé sur le marché de l’énergie. C’est la raison des effets de concentration d’énergies renouvelables dans certaines régions, comme le Grand Est et les Hauts-de-France. Les porteurs de projets privés déterminent la localisation des installations et la recherche de rentabilité écrase toute autre considération » déplore-t-elle. « Assurer l’égalité territoriale doit être un axe majeur de la planification écologique » estime alors Clémence Guetté qui propose que l’Etat fasse le choix d’ouvrir des appels d’offres « à une échelle locale », plutôt que pour tout le territoire national, « pour accélérer en tenant compte des potentiels et des capacités déjà installées ». « Pour développer les énergies renouvelables, il faut aussi permettre aux Français de s’approprier ces énergies » estime Clémence Guetté qui mise sur « une concertation approfondie et systématique ». « Il faut en effet le dire et le répéter. Non, la participation du peuple n’est pas un frein à une opérationnalisation rapide des projets d’énergies renouvelables, au contraire : plus la concertation est sérieuse et faite en amont, moins le risque contentieux est élevé » explique-t-elle, convaincue. Autre levier d’appropriation du développement des EnR : le développement de l’emploi local. Elle estime ce levier beaucoup plus « puissant » que la simple déduction forfaitaire sur la facture d’énergie prévue par le projet de loi, « à laquelle nous nous opposerons ». L’élue du Val-de-Marne veut aussi voir « s’accroître » le soutien public aux innovations énergétiques – énergies marines renouvelables et aux technologies de stockage de l’énergie.
L’impact négatif de l’éolien terrestre
Quant à Mathilde Paris (RN, Loiret), elle s’est tout d’abord intéressée au degré d’acceptabilité des énergies renouvelables au niveau local et selon leur type, « avec un consensus qui existe autour des difficultés liées aux installations d’éoliennes terrestres ». Les auditions sont d’ailleurs venues confirmer, dit-elle, l’impact négatif de l’éolien terrestre sur la biodiversité. Point noir auquel s’ajoute la question de la fabrication des pales en Chine avec des standards très éloignés des normes environnementales françaises et européennes, sans oublier la question de leur recyclage. « Enfin, l’implantation d’éoliennes entraîne une dévaluation du prix des biens immobiliers ou empêche leur vente lorsqu’ils sont situés à proximité d’éoliennes. Elle porte également atteinte à l’activité touristique en raison de l’impact des éoliennes sur les paysages » s’exaspère-t-elle. Elle estime donc indispensable la mise en place « d’un moratoire sur la construction de nouvelles éoliennes terrestres ou, au moins, dans un premier temps, de renforcer la réglementation pour enrayer leur déploiement anarchique ». La tendance serait donc plutôt au développement des éoliennes en mer même si « la distance aux côtes constitue un enjeu majeur d’acceptabilité ». Il importe également de bien appréhender les conflits d’usage avec les pêcheurs.
A noter que si le projet de loi d’accélération des EnR cible particulièrement le photovoltaïque, la député fait toutefois deux observations pour renforcer l’acceptabilité de ces installations photovoltaïques. La première est d’orienter le subventionnement public alloué à cette énergie vers le développement d’une véritable filière française ou, a minima, européenne et la seconde est de veiller à ce que le photovoltaïque n’implique pas d’artificialisation des sols, génératrice de tensions sur le foncier agricole. « Notre souveraineté alimentaire doit être préservée » souligne-t-elle avec insistance.
Trois autres énergies renouvelables sont plutôt bien acceptées par les Français et qu’il s’agit donc d’encourager : l’hydroélectricité, « première source d’énergie renouvelable » ; la géothermie. « Insuffisamment prise en compte par la programmation pluriannuelle de l’énergie, la géothermie ne fait pas l’objet d’investissements ambitieux » et l’hydrogène qui présente « un potentiel de développement très intéressant et rencontre une forte adhésion des Français. Il permet de stocker l’électricité produite par des énergies renouvelables intermittentes ».
Eviter de faire des énergies renouvelables une cause de clivage
Aussi, pour la députée du Rassemblement national, « le développement des énergies renouvelables, qui tend à notre souveraineté énergétique, ne peut éluder la question de notre souveraineté industrielle ». Et cela passe par « le développement d’une filière d’énergies renouvelables française compétitive, respectueuse de l’environnement et créatrice d’emplois ».
Mais quoi qu’il en soit, pour elle comme pour ses collègues rapporteures, il ne peut y avoir de développement des énergies renouvelable qu’à partir du moment où elles sont acceptées par les Français et « l’une des clés de l’acceptabilité des projets d’énergies renouvelables se trouve dans une coconstruction réelle avec les habitants et élus locaux ». Trop souvent, a pu constater Mathilde Paris s’appuyant sur les propos tenus lors des auditions, « les projets présentés étaient déjà figés avant l’organisation des consultations ». « Il faut éviter de faire des énergies renouvelables une cause de clivage entre des zones urbaines protégées, bien que consommatrices d’énergie, et des zones rurales sacrifiées pour la production d’énergie » commente-t-elle tout en souhaitant « consolider une planification territoriale des énergies renouvelables » qui doit reposer sur différents échelons locaux. « Il faut renverser la logique qui prévaut actuellement et qui laisse l’initiative du développement des énergies renouvelables aux acteurs privés sans réelle planification et avec une concertation aléatoire. Les projets d’énergies renouvelables envisagés dans les territoires doivent répondre à des critères de rentabilité énergétique et économique mais aussi d’intégration dans les paysages et, évidemment, d’acceptabilité » insiste-t-elle. ■
*Les rapporteures ont mené 18 auditions et tables rondes au cours desquelles elles ont pu entendre 60 organismes, dont des experts, des représentants des collectivités territoriales, des associations de protection de l’environnement, des collectifs d’opposants aux EnR, des syndicats de salariés, des représentants des entreprises concernées par le développement des EnR ou encore des services de l’Etat. Elles ont également reçu une trentaine de contributions écrites.
Solaire et éolien : Patrick Pouyanné vent debout contre le “marathon administratif”
Auditionné le 23 novembre par les députés de la commission d’enquête souveraineté et indépendance énergétique, le PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné a déploré les complications des procédures réglementaires pour autoriser des projets d’énergies renouvelables en France. « Il faut 14 autorisations pour pouvoir implanter une usine solaire en France » s’est il ainsi emporté. Patrick Pouyanné a feint l’étonnement face au paradoxe entre « l’urgence climatique » et l’accès au foncier qui ressemble à un « marathon administratif ». « Le ratio du nombre de personnes [… ] Dans notre filiale renouvelable en France et en Europe, par rapport aux mégawatts que nous installons est deux fois plus élevé que dans les autres pays, parce qu’il faut que l’on gère tout cela » a-t-il encore expliqué aux députés. « En ce moment en France, on installe la moitié par an de ce qu’il faudrait que l’on fasse pour être sur la trajectoire » des objectifs d’installations de renouvelables pour 2023. « Si l’on veut vraiment accélérer sur ces questions de construction d’énergies renouvelables, solaire et éolienne, il faut que l’on trouve un moyen d’articuler correctement la planification de l’espace qui peut relever des collectivités territoriales » a-t-il encore ajouté.
Traitement des projets d’EnR par les préfectures : La filière éolienne dénonce le statu quo
Pour répondre à une certaine urgence énergétique, le gouvernement avait demandé aux préfectures d’accélérer le traitement des projets d’installations d’énergies renouvelables. Mais, depuis cette circulaire du 18 septembre, rien n’a bougé dénonce la filière de l’éolien en France. « Il n’y a eu aucune accélération, aucun soubresaut même » a regretté Michel Gioria, le délégué général de la France énergie éolienne (FEE) qui indique que plusieurs projets sont en attente mais qui « faute de paraphe ne sortiront pas de terre cet hiver, où ils auraient pu contribuer à soulager les tensions sur l’approvisionnement électrique ». Pourtant, assure-t-on au ministère de la Transition écologique qui « suit ça de près », la ministre Agnès Pannier-Runacher a « repassé le message au corps préfectoral » et courriers sont prêts à partir « pour débloquer certains projets ».