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Espace : quelle souveraineté européenne ?

Le lanceur Vega-C est aux abonnés absents pour une période indéterminée, Ariane 6 pas attendue avant la fin de l’année au mieux… L’accès autonome à l’espace pour l’Europe est menacé.

Ces derniers mois et semaines, le spatial a connu quelques déboires. L’un des derniers en date : l’explosion en vol de la fusée Starship d’Elon Musk est venu montrer à quel point l’accession à l’espace reste un rêve toujours difficilement atteignable. Mais Starship n’est que la suite de plusieurs autres incidents survenus dernièrement comme le raté de l’alunisseur du programme Hakuto-R de la startup japonaise Ispace. Mais c’est surtout l’échec de la fusée européenne Vega-C sacrifiée après avoir dévié de sa trajectoire initiale après plusieurs minutes de vol et les retards annoncés de la fusée Ariane 6 pas attendue avant la fin de l’année qu’il faut ici retenir.

Ariane 6 qui ne volera pas avant fin 2023, après trois ans de retard et Vega-C clouée au sol après avoir raté le lancement de deux satellites d’observation civilo-miliaires d’Airbus fin 2022, et voilà l’Europe confrontée à des difficultés majeures qui viennent mettre à terre une stratégie déployée depuis plusieurs années. En 2019, il avait été en effet acté la décision d’arrêter la production d’Ariane 5 afin de propulser Ariane 6, « car elle n’était plus adaptée aux marchés, et nous disposions, pour les satellites de l’Europe, d’un backup avec Soyouz en Guyane » tout en mettant en œuvre le lanceur Vega destiné à compléter l’offre d’Ariane 6 indiquait à nos confrères des Echos Stéphane Israël, le président d’Arianespace. Sur le papier, tout était fin prêt. Sauf que l’inattendu est survenu avec l’échec de Vega et la suspension par la Russie de tous les vols Soyouz en représailles contre les sanctions décidées en raison de la guerre en Ukraine. Une situation guère prévisible mais d’autant plus compliquée qu’elle survient dans un monde concurrentiel acharné qui a vu naître ces dernières années de très nombreux acteurs qui veulent en découdre, notamment la Chine qui a entamé la construction de sa propre station orbitale CSS qui vient faire de l’ombre à l’ISS en fin de vie ou l’Inde qui développe des lanceurs plus légers. Aujourd’hui, l’accès européen autonome à l’espace est donc gravement compromis et met l’Europe en totale dépendance. « Dans le domaine des lanceurs, la situation est très difficile, au point qu’on peut parler de crise » a reconnu devant l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques Josef Aschbacher, le directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESA) qui s’est fixé comme « priorité » « de rétablir un accès à l’espace. C’est indispensable pour des raisons d’ordre stratégique, économique et autres ». Pour être placés en orbite, les satellites européens sont condamnés, du moins pour un temps, à passer par un prestataire étranger étatique ou privé. A cela s’ajoutent les retards qui à ce stade n’en sont plus pris par l’Europe dans les fusées réutilisables – Les Etats-Unis font course en tête après avoir développé cette technologie depuis 2015 avec le Falcon 9 de Space X -, sans oublier notre dépendance pour les vols habités avec des spationautes européens soumis à Crew Dragon, le véhicule spatial développé par la société SpaceX pour le compte de la NASA, l’agence spatiale américaine. Faute de lanceurs, l’Europe prend un retard considérable dans nombre de domaines comme le déploiement des constellations de satellites utiles aux secteurs militaires (il est impensable de déléguer à un acteur étranger l’envoi de satellites sensibles), de géolocalisation, de communication, etc. Or, comme l’a très justement rappelé Nicolas Baverez, « l’espace est devenu clé pour la souveraineté des nations, la compétitivité des économies et la recherche scientifique ». « L’espace s’affirme comme une infrastructure essentielle. Il est au XXIème siècle ce que fut la mer au XIXème siècle : qui contrôle l’espace contrôle la terre » a-t-il poursuivi dans une chronique intitulée « la grande panne de l’Europe spatiale » parue dans Le Point début janvier.

En attendant, l’Europe spatiale cherche des solutions. Elle a par exemple choisi Space X pour le lancement du télescope spatial Euclid et réfléchit encore pour le déploiement des deux prochains satellites Galilleo : attendre Ariane 6 ou choisir un autre lanceur ? La mise en orbite du satellite EarthCare, né d’une coopération entre l’ESA et son homologue japonaise Jaxa est suspendue au prochain vol de Vega C, et s’il n’y en a pas cette année, son lancement pourrait être assuré par un lanceur japonais.

Devant l’OPCEST, le directeur du transport spatial de l’Agence spatiale européenne, Daniel Neuenschwander a précisé que trois conditions étaient nécessaires « à la restauration durable de l’accès à l’espace ». « D’abord, nous devrons suivre avec rigueur la préparation du vol inaugural d’Ariane 6, opération sine qua non pour l’Europe, dans la situation actuelle, et surtout la montée en puissance du programme de production, en vue de lancer des missions de souveraineté européenne a-t-il indiqué. Ensuite, il faut assurer le retour en vol de Vega-C et, au-delà de la solution technique, en assurer une exploitation robuste par la révision de l’industrialisation du produit. Enfin, il convient de créer une vraie compétition pour le lancement de missions performantes de l’ESA dans la gamme des micro-lanceurs, voire des mini-lanceurs ». À moyen terme, c’est-à-dire à l’horizon 2025, le directeur du transport spatial estime qu’il conviendra « de soutenir l’industrie dans les technologies clés ». « Le rattrapage en matière de réutilisation des lanceurs est clairement un must have » note-t-il. Et même si « nous disposons d’un certain nombre de briques » explique-t-il « le rattrapage est long et nécessite des investissements ». À l’horizon 2025, « Ariane 6 devra monter en puissance, ce qui posera la question du partage du risque d’exploitation entre secteur public et secteur privé. Ce sera un autre facteur clé de succès » poursuit-il. Et enfin, à plus long terme, à l’horizon 2030, « il faudra revoir le modèle européen d’accès à l’espace, basé sur des sources multiples, menant à des capacités compétitives sur le marché accessible ».

« Il faut comprendre la crise et en tirer les enseignements, et se préparer à une activité très soutenue à partir de 2025 » indique de son côté Stéphane Israël, le président d’Arianespace qui veut croire à des lendemains plus apaisés. Mais pour remettre l’Europe spatiale sur les rails, les observateurs avisés du secteur avancent plusieurs sujets. Ils pointent d’abord « le millefeuille administratif » qui ne fait que complexifier les prises de décisions avec des instances trop nombreuses (ESA, commission européenne, agences nationales) et plaident pour une NASA européenne présentée par un expert cité dans les Echos comme « le bras armé et expert technique de la commission ». Les mêmes s’interrogent sur la règle fondatrice de l’ESA du « retour géographique » qui exige d’accorder pour 1 e dépensé par un Etat membre, 1 e de retombées industrielles nationales. Pour beaucoup, cette règle est vue comme un frein à la compétitivité et peut créer des doublons. Des réflexions sur ce sujet sont en cours entre l’ESA et les Etats membres.

Enfin, inévitablement, la question du financement se pose. Le budget public européen consacré au domaine spatial était de 8,1 milliards d’euros, l’année dernière, contre 40 milliards de dollars pour le budget américain. « La modestie de notre budget peut susciter un doute quant à son efficacité » s’est ému le député (LR), Vincent Seitlinger, lors de l’audition du patron de l’ESA par l’OPCEST qui lui a répondu qu’en tant que directeur général, sa mission « est de passer au niveau supérieur ». Reste que « l’accès au financement est un problème en Europe ». « On voit des signes de développement, mais pas au rythme des Etats-Unis » a-t-il reconnu devant l’OPCEST. « La Silicon Valley est connue pour être un vivier de fonds accessibles bien plus rapidement que sur les plateformes européennes. [… ] La rapidité et la prise de risque font partie de la culture américaine ». Aussi, « l’ESA doit agir sur ce modèle et être plus réactive pour offrir des débouchés » a-t-il fini par admettre. 

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